SOULEY KEITA S'EN EST ALLE SAMEDI DERNIER
PEINTRE DE LA MEDITATION ET DE LA QUETE DE SOI

Les artistes plasticiens ont rendu un dernier hommage à Souleymane Keita, décédé le samedi 19 juillet 2014. Il fut l'un des peintres qui ont donné à l'art contemporain sénégalais sa splendeur. Son œuvre associe dessin, couleur, collage et couture. La nature l'a beaucoup inspiré. Si on le classe dans « l'Ecole de Dakar », sa démarche artistique ne relève pas d'une telle approche.
Souley Keita avait l’âme d’un îlien. La musicalité de sa voix était toute goréenne. Il est né sur cette île de Gorée où l’ocre des maisons se marie au bleu de l’océan. Il y a grandi et travaillé. Sa peinture porte les couleurs et l’apaisement de cette île. Au temps où il vivait sur l’île avant de rejoindre le continent, sa maison au flanc de Castel était empreinte de cette quiétude que transportent les vents du sud, d’une pointilleuse douceur aussi. La décoration intérieure de cette charmante demeure était un compromis entre style ancien et style moderne, plus ancien que moderne. Il trouvait dans la broderie fait main d’admirables motifs au charme bucolique exécutés attentionnèment par les grands-mères.
Sa collection de malles de boucaniers et de meubles des années 50, taillés dans le pitchpin, témoignaient de sa passion de tout ce qui pouvait procurer une agréable sensation au toucher. Tout dans cette maison qu’il habitait avec Khady, son épouse saint-louisienne relevait de la composition ; respirait l’ordre et soulignait le bon goût de l’artiste. Son raffinement.
En venant s’installer sur le continent, il y avait amené son île. Souley avait dessiné la pochette du premier album de l’orchestre Xalam, se souvient Henri Guillabert l’un des musiciens du mythique groupe. Une manière pour l’artiste plasticien Souleymane Keita, décédé à l’âge de 67 ans, de soutenir l’émergence d’une musique sénégalaise dans les années 70 qui plaçait la barre un cran au-dessus et dans une nouvelle orientation.
Souleymane Keita que tout le monde se plait à appeler Souley Keita était amateur de jazz. Il peignait sous l’impulsion de cette musique. Peintre discret, spirituel à souhait, sa palette a des accents soufis par la quiétude et la sérénité qui s’en dégage. Ce qu’avait perçu la philosophe Aminata Diaw de l’UCAD qui, dans sa présentation à l’exposition de Souley Keita en 2007 et intitulée « Ndokalé Gorée », écrit « Son œuvre trouve sa force dans cette incertitude qui lui tient lieu d’impulsion originelle et transforme la peinture en expérience esthétique et existentielle. Peindre devient une rencontre avec la vie, une expérience de l’âme à travers des formes , des couleurs , de la matière, des émotions… une quête de soi. » Elle conclut en disant : « Le travail de Souleymane force le respect tant il est empreint aujourd’hui de la sérénité et de la justesse qui invitent à méditer sur soi et sur la vie »
Loin des coteries, des courants à la mode, il tirait de la nature, qu’il savait observer et qui le lui rendait bien des formes, des ambiances, des atmosphères. Pleine Lune à Gorée (1987), Souvenirs du Cap-Vert (1988), Voyage au Mali (1985), il arrachait à chacun de ses voyages un lambeau du pays visité pour les fixer dans la mémoire de ses toiles. Il plaçait sa création au confluent de ce qui apparaissait aux yeux des autres comme des oppositions. Qu’est- ce qui en effet peut unir un papillon et une méduse. Ont-ils la chance de se croiser en chemin ? Ils ne sont ni du même milieu ni de la même forme. Souley Keita voyait dans les couleurs de leur revêtement des pigments que peut saisir l’œil de l’artiste pour les projeter sur la toile. Ainsi naquit la collection Papillons et Méduse revêtue de camaïeu, de pastel et d’aqua marine.
Les Criquets sont d’une autre facture. Sa première exposition personnelle date de 1969. C ‘est le hall de la BIAO, une banque de Dakar, qui avait accueilli ses œuvres. Une exposition qui allait se déplacer au Centre culturel français de la même ville. Deux ans après c’est au tour de Nouakchott de recevoir sa peinture. De 1972 à 1991, Souley keita a presque montré sa palette, tous les ans, dans divers lieux avec des changements de formes dans ses supports et dans son approche picturale, mais toujours fidèle à l’art abstrait porteur de sens. Ouagadougou, Creusot Loire, Toronto, France, Cap-Vert, les galeries new-yorkaises (Randall gallery Madison ; Phelps Stoke Fumb, The Uptown Gallery; Joan Wood Land, Spectrum IV Gallery, Charles gallery Brooklyn, Robonart ltd gallery, Kenkeleba gallery, Diane Brewer arts work gallery, International Monetaey Washington DC,), toutes ces galeries ont salué son travail.
Les créations de Souley Keita n’ont pas seulement l’accent du terroir mais portent les marques de l’ailleurs. Voyage au Mali en 1985 sacre un tournant dans la peinture de Souley Keita , une découverte des origines en quelque sorte et l ’apparition de scarifications, de fil de coton, de nœud, de couture dans son travail. Le pays Dogon et les habits du chasseur ouvraient ses yeux sur une autre façon de percevoir l’art en Afrique. La chemise du chasseur en témoigne. Ce qui le pousse à aménager un petit atelier de recherche dans son propre atelier. Apparition de l’encre de chine, couleur goudron et technique monocolore, fruits de ses recherches.
Souley Keita était un peintre naturaliste. A sa manière, il militait pour la protection de la nature et avait fondé avec Marie Josée Crespin et d’autre amis goréens une association pour reverdir l’ile. Il était aussi dans la culture bio avec son épouse. Céramiste de formation , il a souvent travaillé en complicité avec les Ateliers Almadies de Maoro Petroni, avec ses amis Amadou Sow, Anta Germaine Gaye . C’est un grand peintre qui disparait et dont Jo Ouakam Issa Samb disait, dans son texte « La lumière éclatée » : « Sa peinture propose de reconsidérer le trait même s’il se refuse à être confiné à l’essentiel »