UNE SI BELLE FIN…

Certains joueurs vous renversent tout, gagnent tout. D'autres traversent la discipline et laissent à leur talent le soin de dire le reste. Certains sont Messi et Ronaldo, d'autres sont Steven Gerrard. Samedi, Gerrard a fermé une carrière entamée à Liverpool il y a dix-sept ans. Il l'a finie à Liverpool, dans un match perdu contre Crystal Palace (1-3).
On peut se dire que ce garçon n'a pas été de la génération des Keegan qui a enflammé l'Europe à la fin des années 1970. Qu'il n'a pas vécu Hesley et ses morts en 1985, pour la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions. Qu'il n'a pas, qu'il n'a pas… Mais on ne marque pas en finale de Fa Cup, de Coupe de la League, la Coupe de l'Uefa et de Ligue des champions pour des nèfles.
L'Angleterre ne lui a pas offert les honneurs d'un sacre, mais depuis 1966 "Les trois Lions" courent derrière l'ombre d'une finale majestueuse. Jamais ils n'ont assujetti l'Europe, le monde leur refuse une domination et Steven Gerrard, capitaine en 2010, n'a que le but de Lampard, refusé par l'arbitre, comme étendard d'une énième déception anglaise.
Ayant vu le jour en 1980, Gerrard a vu Gérard Houiller le porter dans le monde du foot dix-huit ans plus tard. C'était un Liverpool-Blackburn dont on ne souvient pas du résultat, pas plus que personne ne se souciait du gosse. Le reste appartenait à l'avenir. Il s'est écrit de majestueuse manière.
Fidèle à un club, attaché à un maillot. Dix sept ans durant, Gerrard a senti tomber sur ses épaules la lourde charge du You'll never walk alone pour en faire un levier de triomphe. Les années n'ont pas toujours été belles, mais à chaque nouvelle entame de saison Liverpool était attendu dans la "short list" finale. Il en sera ainsi pour 706 matches. Jamais sacré champion, mais béni par les siens. Il en a été ainsi avec l'équipe d'Angleterre dont il a porté le maillot 114 fois. Dans la haute compétition qui a été son jardin, le fait est sublime.
Le milieu de terrain de Liverpool avait une place en toute autre équipe. Mais à certains moments, partir aurait été mourir un peu. Il n'a jamais souscrit à une telle éventualité.
Il en pinçait pour Ferguson et à 13 ans il a fait un test à Manchester United. Mais c'était juste pour le fun. En 2002, Sir Alex reviendra. "J'ai évidemment refusé, j'avais pris les choses trop à cœur".
En 2005, Mourinho a tapé à sa porte. La réponse ne fut pas simple : "Je suis profondément un joueur de Liverpool, mais je dois admettre que leur offre m'a un peu chamboulé. De grandes choses se passaient à Chelsea à ce moment-là. Ils dépensaient énormément d'argent pour recruter et, de mon côté, les performances de Liverpool étaient un peu en baisse, de même que ma relation avec Rafael Benítez. Je suis obligé d'admettre y avoir pensé, mais je peux aujourd'hui reconnaître, du fond du cœur, que la meilleure décision que j'ai jamais prise a été de rester dans ce club que j'aime."
Aimer un club est un fait, vivre et mourir milieu de terrain des "Reds" a été une longue histoire. C'est une identité qui disparaît. Le football connaitra rarement une telle fidélité. Dans la durée comme dans l'attachement. La volatilité des carrières porte à la bougeotte. La prime à la signature est une excellente motivation en la matière. La prime à la fidélité existe, mais on en entend rarement parler.
Aujourd'hui que Gerrard s'en va, que sa carrière va sans doute se poursuivre du côté des Etats Unis, ce que le monde du football laisse à son endroit est la preuve de sa dimension.
Coach de Liverpool, Brendan Rodgers a laissé entendre : "Steven Gerrard va me manquer en tant qu'homme. J'ai demandé aux membres de mon staff de décrire Steven en un mot. Moi, je choisirais le mot "Liverpool". Ce qu'il a donné à cette ville, les hommes politiques ne l'ont jamais donné. C'est un merveilleux symbole pour les gens."
José Mourinho a ajouté : "C'est à mon tour d'honorer le champion. C'est à mon tour d'honorer Steven Gerrard et de dire que c'est avec des adversaires comme lui que je suis l'entraîneur que je suis. J'ai appris avec mes joueurs et aussi avec mes meilleurs adversaires, pour les problèmes qu'ils m'ont posés et la façon dont ils m'ont fait réfléchir et les analyser pour savoir comment jouer contre eux. Steven Gerrard est certainement l'un de mes ennemis préférés et certainement mon plus cher ennemi, celui qui a fait de moi un meilleur entraîneur. J'ai besoin de gens comme lui pour être un meilleur coach. (…) J'ai essayé de l'emmener à Chelsea, j'ai essayé de l'emmener à l'Inter, j'ai essayé de l'emmener au Real Madrid mais il a toujours été avec l'ennemi."
Zinedine Zidane a déclaré : "Est-il le meilleur du monde ? Il n'a peut-être pas l'attention d'un Lionel Messi ou d'un Ronaldo mais oui, je pense qu'il pourrait l'être. Si vous n'avez pas un joueur comme Gerrard, qui est la salle des machines, cela peut affecter toute l'équipe (…) Il a une grande qualité de passe, il peut tacler et marquer des buts, mais le plus important, c'est qu'il donne la confiance et la foi aux joueurs autour de lui. Vous ne pouvez pas apprendre ça, les joueurs comme lui sont juste nés avec cette présence."
Il s'appelait Steven George Gerrard, il est né le 30 mai 1980…