''UNE UNIVERSITÉ QUI SE VEUT MODERNE DOIT APPORTER DE L’INNOVATION DANS SES MÉTHODES ''
PR ÉTHIENE EHOUAN EHILE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'AUA

Secrétaire général de l’Association des universités africaines (Aua), le Pr Etienne Ehouan Ehile, estime, dans cet entretien, que les universités doivent sortir de leur tour d’ivoire et s’ouvrir sur la société afin d’apporter des solutions aux préoccupations des populations. Selon lui, les changements et l’innovation constituent même l’essence de l’université, voire de toute organisation.
Le thème principal de cette rencontre porte sur « L’internationalisation de l’enseignement supérieur ». N’est-ce pas une aberration si l’on sait que université suppose universalité ?
C’est vrai, l’université rime avec universalité, mais il faut comprendre qu’aujourd’hui nous évoluons dans un monde encore plus globalisé, un monde de partage. Jusque-là, nous savons que, dans nos universités, les idées sont universelles, cependant, les activités qu’on y réalise doivent aussi l’être.
Les possibilités sont énormes. Il n’est plus possible de vivre en vase clos. Il faut partager les histoires et succès de chaque université, pour que les uns et les autres puissent en bénéficier.
L’internationalisation est un concept nouveau, mais qui permet d’aller de l’avant dans la mesure où, si nous avons des principes de base, nous pouvons nous entendre.
Et que recouvre réellement le concept d’internationalisation ?
Il y a plusieurs aspects dans l’internationalisation qui ont été développés au cours de cette conférence. L’université implique des échanges, la mobilité des étudiants et des enseignants. Mais, si l’étudiant bouge, il faudrait que ce qu’il a appris soit dans les normes, dans les standards internationaux.
Le dénominateur commun est donc l’assurance qualité qui permet de comparer un diplôme obtenu à Dakar à celui obtenu à Niamey.
L’assurance qualité jouera donc le rôle de gendarme. Il faut qu’on sache que l’harmonisation n’est pas la standardisation. Toutefois, il nous faut des outils de comparaison.
Justement, l’Aua et l’Ua travaillent ensemble pour mettre en place un cadre d’harmonisation et des équivalences. Que couvre-t-il ? La stratégie de l’Union africaine
(Ua) pour l’harmonisation de l’enseignement supérieur, qui est également soutenue par l’Union européenne et l’Aua, va permettre de créer un espace d’enseignement supérieur africain et d’harmoniser également les curricula.
Harmoniser, c’est partir sur des bases communes qui permettent le transfert des crédits, la mobilité des étudiants...
Vous venez de le dire, la construction actuelle de l’enseignement supérieur n’autorise pas l’enfermement sur soi-même. Pourtant, l’université est très réfractaire au changement ?
C’est vrai, l’université est très réfractaire au changement, mais l’innovation est l’essence même pour la survie de toute organisation. Et toute organisation qui refuse l’innovation, c’est comme si elle cherchait à résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec les solutions d’hier.
Dans ce contexte, l’innovation doit être permanente de telle sorte qu’on s’adapte au changement. Nous avons actuellement de nouvelles méthodes d’enseignement (Tic). Ce sont des innovations que veulent les jeunes qui ne peuvent pas comprendre qu’un professeur vienne dicter son cours pendant deux tours d’horloge et partir.
Maintenant, le cours est centré sur l’étudiant, et le professeur n’est que l’animateur de groupe. Donc, les méthodes d’enseignement doivent changer et les mentalités avec. Une université qui se veut moderne doit être prête à apporter des changements et de l’innovation dans ses méthodes.
On a beaucoup encouragé, au cours de cette conférence, la création de centres d’excellence avec une grande inquiétude quant à leur pérennisation ? Que compte faire l’Aua ?
L’Aua coordonne les centres d’excellence de la Banque mondiale, mais il faut apprendre aux gens à pêcher que de leur donner du poisson tous les jours. L’Aua organise des ateliers de formation de fund raising (recherche de fonds) pour pérenniser ces centres d’excellence qui auront un financement pour seulement quatre ans.
L’Aua apprend aux institutions bénéficiaires à lever des fonds pour leur durabilité.
Dans les réformes actuelles, nous avons l’impression qu’on veut faire des universités uniquement des machines à professionnaliser en reléguant au second plan presque la formation générale qui a pourtant fait ses preuves. N’est-ce pas un problème ?
Ce n’est pas un problème. Dans une université donnée, quoique vous fassiez, vous allez former des enseignants, des juristes, des pharmaciens, des docteurs, bref, tous les corps. En Amérique, les policiers et les brancardiers sont formés dans les universités.
Aujourd’hui, on trouve que nos universités forment des étudiants qui ne retrouvent pas de boulot. Mais, quand vous ne formez que des magistrats, des médecins, il y a combien de postes de magistrats dans l’administration ?
Voilà le problème. Il est temps que l’université s’ouvre davantage sur le monde et descend dans la communauté pour voir ses besoins. C’est pour cela qu’il ne faut pas rester dans sa tour d’ivoire pour fabriquer des cours donnés aux étudiants et on ne sait pas où ils vont après.
Pour pouvoir élaborer des programmes, il faut faire référence aux employeurs pour connaître les besoins réels.
A beau réformer les universités et les systèmes d’enseignement, si la croissance et le développement ne suivent pas, la question de l’emploi ne sera pas résolue. Qu’en dites-vous ?
En Afrique, le secteur informel représente 70 % de nos économies. Si vous prenez un licencié qui s’en va griller des alocos au bord de la route, vous verrez qu’avec les idées qu’il a, au bout de trois mois, il va développer son industrie plus que celui qui n’a jamais été à l’école pour qui il suffit juste d’avoir sa marmite, son huile et sa banane.
Celui qui a été à l’école va vouloir moderniser son coin, mettre un peu de musique, des jeux afin d’attirer les jeunes. C’est dire que le secteur informel peut être développé par ceux qui sont formés à l’université. Aussi, la création de l’auto-emploi doit être enseignée à l’université.
Vous êtes le secrétaire général de l’Aua. Comment reconsidérer, aujourd’hui, le pilotage de l’enseignement supérieur face au défi de la gouvernance universitaire, de la recherche et de la globalisation ?
Je crois qu’aujourd’hui on a plus de moyens pour gérer les universités. Pas les moyens financiers, mais intellectuels. Nous avons formé plusieurs personnes. Et la recherche, c’est avant tout la réflexion. Pour trouver des moyens pour la recherche, il faut se déplacer et faire des projets dont beaucoup sont financés par des bailleurs.
En tant que chercheur, on ne peut compter que sur les fonds étatiques, l’Etat lui-même n’ayant pas les moyens. Le chercheur doit aller au-delà. Si le projet scientifique est intéressant, c’est possible qu’il soit financé par d’autres gens.
Il y a des chercheurs qui ne font aucun projet et attendent le peu que le gouvernement donne. Dans ce cas, on n’ira pas loin. La gouvernance de la recherche dans les universités doit évoluer dans ce sens. Il ne faut pas attendre que tout tombe du ciel.