HABIB FAYE, LA FAMILLE ET MOI
C’est un deuil national - En bon musulman, je m’étais déjà préparé au pire - Youssou Ndour a été très sincère - Il n’y a pas eu de mesquinerie, ni de mascarade dans ce qu’il a fait - ENTRETIEN AVEC VIEUX MAC

Quand Vieux Mac Faye parle de ses frères, ça donne ça ! Sous des airs de guitare, il replonge dans le royaume de leur enfance avec à la clé beaucoup d’anecdotes. Pendant une heure d’ambiance conviviale oups d’entretien, il raconte comment sa famille est composée presqu’à cent pour cent de musiciens, les petits secrets entre les Faye. Une ambiance dans laquelle suintent des notes tristes, posthumes en l’endroit de Habib Faye, l’ancien bassiste du Super étoile de Dakar, décédé le mercredi 25 avril passé. Un bel hommage à cette super étoile de la basse !
Cela fait une semaine que votre frère Habib, ancien bassiste du Super étoile, a disparu. Comment l’avez-vous vécue et continuez de la vivre ?
Ce sont les gens autour de moi qui m’ont fait ressortir le deuil. En fait, c’est comme si j’avais déjà consommé mon mal depuis longtemps. Quatre jours avant le décès de Habib, j’étais déjà (il ne termine pas sa pensée). J’ai été mis devant le fait accompli que Habib était atteint. Cela m’a été dit par sa femme qui était à son chevet. Brave qu’elle est, celle-ci a supporté la maladie de son mari. Elle avait reçu la consigne de ne rien dire là-dessus, de tout faire dans la discrétion la plus absolue. Et sa femme a joué le jeu. D’ailleurs, ça lui a valu ma petite colère. Parce qu’étant à Dakar et eux en France, je n’y comprenais rien. Au téléphone, en sanglots, la femme de Habib m’a expliqué que son mari était gravement malade. Habib, je le savais malade mais pas à ce stade quand même. Parce que Habib a récemment fait la scène du Bercy. Après, il est revenu à Dakar. En aucun moment donné, nous n’avons décelé une quelconque maladie en lui. Il n’a pas non plus donné un quelconque signe de fatigue. Et là brusquement, sa femme me téléphone pour m’informer sur la maladie de Habib. J’ai donc senti que ça devait être grave alors. Surtout que la voix de sa femme était à peine audible avec ses sanglots. En bon musulman, je m’étais déjà préparé au pire. Mais je dois avouer que ça n’a pas été facile. Ce n’est pas un deuil qui frappe ma seule personne. C’est un deuil national. Parce que Habib, toutes les familles qu’il a eu à côtoyer ont compati. Exit la famille biologique, il y a eu la famille artistique –personne n’était en reste et certains artistes ont même annulé des programmes- qui a honoré la mémoire d’Habib. Sans compter sa famille maraboutique parce que Habib était un fervent talibé. D’ailleurs, il y avait une petite dispute sur le lieu d’enterrement à propos du fait qu’il devrait reposer à Touba ou à Dakar. Finalement, la raison a prévalu.
Vous disiez qu’il y avait une dispute sur le lieu d’enterrement. Comment êtes-vous alors parvenu à un consensus ?
Des amis de Habib ont rapporté la confidence qu’il leur avait faite sur son vœu d’être enterré à Touba une fois mort. Peut-être bien qu’il a eu à le dire. Mais il y avait aussi une certaine volonté des parents proches notamment sa dame qui souhaitait voir son mari être enterré à Dakar. Pour certainement faciliter ses moments de recueillement. Finalement, la raison a prévalu sur toute autre chose. Moi, je n’avais pas de décision propre à donner. Et en tant qu’aîné de la famille, je me suis plié à la décision des uns et des autres.
Habib Faye qui est né le 2 novembre 1965 porte le nom de l’ancien président tunisien Habib Bourguiba. Feu votre père avait-il expliqué les raisons de son choix ?
Jamais ! D’après une confidence qui m’a été faite lors de la présentation des condoléances par une dame du nom d’Adèle Coly qui habite Liberté I, son père aurait inspiré le mien à donner le nom d’un de ses fils au président Habib Bourguiba. Pour la petite histoire, d’après cette dame, la naissance de Habib a coïncidé avec une visite officielle du président tunisien à Dakar. Et donc, mon père lui a donné le nom de Habib qui signifie en arabe l’Ami de Dieu. Et à travers sa disparition, on peut dire que Habib Faye était l’ami de Dieu.
Comment appréciez-vous le geste de Youssou Ndour ?
J’ai appris à mieux connaître Youssou Ndour durant ces moments-là. Et c’est quelqu’un d’extraordinaire. Je ne pouvais pas savoir qu’il recelait en lui autant de potentialités, de valeurs humaines. Il a eu à prendre sur lui toutes les charges afférentes à l’administration, la finance. Et je dois dire que c’est très sincère. Il n y a pas eu de mesquinerie, ni de mascarade dans ce que Youssou Ndour a fait. Moi, j’essaie toujours de sonder les personnes à travers leurs yeux. Parce qu’à mon avis, ce n’est pas trop sincère. Youssou Ndour a même bloqué le chef de l’Etat qui devait partir en voyage (pour Brazzaville, Ndlr). Et le président de la République en tant que protecteur des Arts et des Lettres a montré à travers son geste qu’il était là au service des artistes.
Il est vrai que feu votre père était un féru de guitare. Mais qu’est ce qui a été le déclic au point que vous avez une famille presque cent pour cent artiste ?
Adama qui était plus piano a été le premier à faire de la musique. Peut-être qu’une autre fois, j’aurais le temps de plus m’expliquer sur cela. C’est très long à expliquer. La famille est dans les arts de façon générale. Le don, on ne peut pas l’expliquer. Je sais tout juste que mon père était artiste – musicien, mais ce n’était pas sa profession. Il le faisait juste à ses heures perdues. Néanmoins, il jouait de la guitare et il avait même fait des enregistrements à la radio avec feu Ousmane Mbaye. Mais il le faisait en cachette. Il avait toujours sa guitare qu’il évitait de toucher en notre présence. De peur que l’envie nous gagne. Finalement, par la force des choses, presque toute la famille a fait de la musique. Et il a fini par accepter. Maisil nous avait défendu de nous regrouper ensemble. C’est peut-être ce qui a fait échouer notre volonté de faire un produit commun. Pourtant les initiatives n’ont pas manqué. Nous-mêmes n’avons pas compris pourquoi cela n’a pas pu se faire. On a tout essayé, mais cela n’a pas marché. Parce qu’il ne faut pas mourir idiot.
Votre père ne voulez- pas que vous fassiez de la musique. Comment a-t-il alors réagi lorsqu’il a senti qu’Adama était sur la voie ?
Mon père a très mal réagi. Adama que Dieu ait pitié de son âme, c’était le rebelle de la maison. C’était un musicien né. Il s’était donné à fond dans la musique. Peu importe qu’on le paye ou pas. Alors qu’en tant qu’enseignant, mon père ne voulait que ses enfants fassent une belle carrière en dehors de la musique. Et le contraire s’est réalisé. En dehors de ma sœur Mame Marie qui a été contrôleur ou inspecteur à la Poste. Avant d’aller émigrer aux USA.
Objectivement, selon vous, qui est le meilleur musicien de toute votre famille ?
Les bons sont partis. Et c’étaient Adama et Habib Faye. Ensuite vient Lamine. Et moi, je suis le moins bon. Il faut quand même souligner que le génie de la famille, c’était Adama. D’ailleurs, il nous a ouvert la voie. Et il a inventé des choses qui sont restées et qui le sont encore. Le « Marimba », c’est lui. En fait, Adama a créé le « Marimba. Et c’est Habib qui l’a vulgarisé parce qu’il a eu la chance de voyager.
Des anecdotes sur vos frères particulièrement Habib ?
Il y en a plusieurs. Je sais qu’étant adolescents, on aimait être entre frères autour du bol de midi. Ensuite venait le thé. Et durant ces moments de détente, il y avait toujours la guitare pour nous accompagner. On s’amusait en jouant, en se rectifiant. Il était interdit à tout un chacun de faire de fausses-notes. Pour la petite histoire, Adama ne jouait pas sur des éléments de la percussion. Il le faisait sur les rebords des bancs. (Il mime le geste). Et cela donnait des sonorités particulières. Adama jouait également sur des ustensiles. Que ce soit avec la main, la paume de la main, le doigt, il avait vraiment sa manière de jouer. Adama pouvait jouer avec des instruments monocordes qu’il fabriquait lui-même. Il jouait là-dessus et c’était extraordinaire. Entre frères, il nous arrivait d’aller à l’école un peu plus tôt les après-midi pour faire de la percussion. Ce qui avait le don d’irriter mon père. Qui s’égosillait à ne plus finir. Parce que pour lui, il ne fallait pas faire comme les griots. Parce que la musique était assimilée à du griotisme. Chez nous, il y avait une ambiance conviviale. Et la plupart des musiciens ont habité chez nous, que ce soit Omar Pène, Ismael Lo, Salam Diallo, Fallou Dieng, Alioune Mbaye Nder. Tout cela dans une ambiance bon-enfant. Les anecdotes sur Habib ? J’en ferai après. Parce que là, on est encore submergé par le décès. Et je n’ai pas envie de rigoler. Il faut souligner qu’Adama a ouvert la voie. Parce que moi, en tant que l’aîné de la famille, je jouais au gendarme. Et je veillais à ce que personne n’enfreigne les règles édictées par papa. Du coup, à chaque fois que je voyais Habib jouer de la percussion, je le menaçais de tout révéler à mon père. Du coup, lui se cachait pour aller jouer. Et un beau jour, de passage au Centre culturel Blaise Senghor, j’ai eu droit à un spectacle où l’on jouait de la bonne musique. Il y avait cette note de basse qui pouvait plaire à n’importe quel mélomane. J’étais loin de douter qu’il s’agissait de mon frère. En m’approchant, j’ai pu apercevoir la frêle silhouette de Habib avec une grosse guitare. Et je n’en revenais pas qu’il pouvait jouer une si bonne musique. J’étais émerveillé, sous le charme de son talent que je n’ai pas pu le dénoncer à mon père.
Est-ce qu’il vous arrivait d’échanger musicalement ?
Bien sûr. Habib était créatif. Et il avait l’imagination fertile. Il m’arrivait de faire mes propres compositions. Une fois l’arrangement fait, je le sollicitais pour un avis avant d’aller faire le mixage. Il le faisait avec un tel doigté que je le laissais faire. Moi, j’aime partager. Je me souviens que Habib avec Ablaye Cissokho, ils ont mis en place un nouveau style. Il m’envoyait toutes ses compositions via Watshapp. Et on échangeait beaucoup comme on le faisait avec mes propres produits. Parce que tous les deux, nous étions portés sur le jazz. Même si lui a poussé beaucoup plus loin. Puisqu’il a eu la chance de beaucoup voyager. Le jazz, c’est la meilleure des écoles. Si on veut vraiment évoluer en musique, il faut né- cessairement, absolument passer par le jazz.
Pensez-vous que Papis, le fils d’Habib, puisse porter dignement l’héritage musical de son père ?
S’il reste dans les rangs, s’il travaille comme il se doit, il n y a pas de problèmes. Il n y a pas de secret, il faut travailler. Vous savez, il y a ce que l’on appelle le don. Et à côté du don, il y a le travail. Le don c’est une prédisposition. Mais à lui seul, ça ne suffit pas. Habib avait un talent très particulier. Et il sera très difficile de l’égaler voir le dépasser. C’est un grand homme, un gros instrument qui est parti. Youssou Ndour, c’est lui qui est le flambeau de la musique sénégalaise. Et il reposait sur des gens comme Habib pour faire éclore tout cela. Parce que Youssou Ndour c’est la voix et l’instrument, c’était Habib. Il faut qu’il y ait d’autres bassistes comme lui. Il y a des bassistes qui sont là. Mais il ne suffit pas simplement d’être bassiste. Il faut être polyvalent, bon dans d’autres domaines musicaux.
Quels sont les qualités, les défauts des uns et des autres ?
Comme on dit, la perfection n’est pas de ce monde, il y en partout de la qualité, des défauts chez les uns et les autres. Il est vrai que je n’étais pas trop toujours en de bons termes avec Habib parce qu’il avait sa façon de faire. Et c’est toujours après coup que l’on se comprenait.
Parlons d’autres choses. En tant que membre de la Sodav qui a remplacé la Bsda, pensez-vous qu’elle puisse jouer le rôle qu’on attend d’elle ?
Aujourd’hui, la Sodav a changé de main. Parce que l’ancienne structure était dirigée par des fonctionnaires. Alors que la Sodav est une institution privée, dirigée par les artistes eux-mêmes. Aujourd’hui, on fait tout pour ne pas tomber dans les travers de la division, de l’incompréhension. Les artistes sont dans un même bateau qu’il faut mener à bon port. Heureusement que nous sommes bien organisés. Et aujourd’hui, au niveau du conseil d’administration, nous avons une capitaine en la personne de Ngoné Ndour qui abat un travail de monstre. Même si par ailleurs, elle est un chef d’entreprise. L’avantage de la Sodav, c’est de la transparence. Et c’est le maître mot dans ce que nous faisons.
On ne voit plus votre production ‘’Rirou tribunal’’. Où en êtes-vous ?
Ces temps-ci, on est en berne. Rirou tribunal promet des choses. Et il y a de belles perspectives. Je ne veux pas avancer de date. Mais ce sera pour bientôt.
Dans une de vos compositions musicales, notamment ‘’le bluzz du juge’’, vous aviez eu à dénoncer une justice à deux vitesses. Est-ce que vous le pensez toujours ?
Bien sûr, il y en a partout. Il y a une justice à deux vitesses même dans nos propres familles. La maman a tendance à avantager la personne qui amène le plus de sous dans la maison. Le bluzz du juge, c’est une façon très innocente de décrire l’ambiance qui prévaut au sein de la justice. Entre le magistrat qui est aux commandes et à qui on demande d’être partout en même temps, c’est impossible.