LA CASAMANCE EST UN TERREAU FERTILE POUR LA CULTURE
Président du Gie Goorgoorlou, Khalifa Dramé invite également l’Etat du Sénégal à intégrer le festival Koom-Koom et son projet de développement dans le Plan Diomaye pour la Casamance (Pdc)

Artiste-designer de profession et promoteur culturel, Khalifa Dramé a fait de la calebasse un symbole de renaissance africaine. A Ziguinchor, où il organise chaque année, depuis 2008, le festival Koom-Koom, ses objectifs sont clairs : protéger l’environnement, contribuer au développement socio-économique du pays et faire de la Casamance une destination touristique internationale. Président du Gie Goorgoorlou, Khalifa Dramé invite également l’Etat du Sénégal à intégrer le festival Koom-Koom et son projet de développement dans le Plan Diomaye pour la Casamance (Pdc).
Le festival Koom-Koom de Ziguinchor en est à sa 17è édition. Comment est née l’idée de ce festival, et qu’est-ce qui fait sa force ?
L’idée de ce festival est née d’une expérience en 1988. J’étais à Paris pour une autre raison. Je voulais faire des études en diplomatie, car j’aime beaucoup ce domaine. Je me suis inscrit à l’université pour cela. Mais un jour, en rentrant chez moi, j’ai allumé la télé et regardé une émission sur la dégradation de l’environnement. On y expliquait que cette dégradation aurait des conséquences terribles sur l’agriculture, la santé et bien d’autres choses. Mais ce qui m’a particulièrement choqué, c’est qu’ils disaient que cette situation toucherait surtout l’Afrique et que cela durerait jusqu’en 2050. Et ce que le reportage montrait comme calamités, nous sommes en train de le vivre aujourd’hui. Alors, je me suis dit qu’il devait exister dans le patrimoine culturel africain des matériaux, des outils et des instruments pouvant contribuer à régler ce problème. Deux semaines plus tard, je ne pouvais plus rester en France. J’ai plié bagage et suis rentré en Afrique avec la mission de trouver quelque chose pour résoudre ces problèmes. La première chose que j’ai faite a été de mettre en place une structure que j’ai appelée Goorgoorlou. Pour moi, Goorgoorlou est une référence ; cela me permettait, chaque fois que j’étais fatigué ou découragé, de me rappeler que ce nom signifie persévérance. C’est ainsi que j’ai commencé mes recherches. J’ai officiellement lancé la structure le 10 octobre 1990, puis j’ai entamé une tournée. J’ai visité 33 pays africains, mais aussi l’Inde, l’Australie et les Etats-Unis. Je suis allé à la recherche d’éléments et d’outils qui avaient été perdus, que ce soit à cause de l’esclavage, de la colonisation ou des migrations. Et dans tous ces pays, j’ai remarqué un point commun : la calebasse. Parfois, on me donnait des informations qui, au départ, me semblaient être des légendes, presque impossibles à croire. Alors, ce qui a confirmé mes découvertes, c’est lorsque j’ai commencé à organiser des symposiums avec des experts et des personnes-ressources. Ces cadres de réflexion m’ont éclairé sur les multiples aspects de la calebasse, que ce soit en matière d’agriculture, de santé, d’énergie ou d’environnement. Etant designer, j’ai commencé à créer des œuvres à partir de ce matériau. Je me suis alors rendu compte que la calebasse est multidimensionnelle, et je ne pouvais pas garder cela pour moi seul. J’ai donc décidé de créer un événement pour inviter tous les acteurs travaillant sur la question, afin de présenter de manière optimale ce matériau. C’est ainsi qu’est né le festival Koom-Koom en 2008 à Ziguinchor. Avant cela, j’ai fait un test avec l’Union européenne et le ministère de la Culture. Nous avons organisé une tournée qui nous a menés à Fatick, à Saly et à Dakar. Mais je me suis dit qu’à ce moment-là, la région qui avait le plus besoin de soutien était la Casamance, pour des raisons que l’on connaît : le conflit. Donc, pour moi, la viabilité, la lisibilité, la visibilité et la mise en œuvre de ce projet ne pouvaient se faire qu’en Casamance. Et nous l’avons placé au mois de décembre pour que ça participe également au renforcement de la visibilité de cette région comme destination touristique.
La Cedeao s’est encore invitée cette année dans le cadre des activités du festival. Pourriez-vous nous en parler ?
La Cedeao a aujourd’hui besoin de relais pour réellement promouvoir ses idéaux. Beaucoup de personnes critiquent cette institution, souvent sans raison. Pour que l’Union européenne devienne ce qu’elle est aujourd’hui, au départ, les populations n’étaient pas d’accord. Et pourtant, aujourd’hui, elle est devenue incontournable. C’est exactement la même dynamique qui se passe avec la Cedeao. Seulement, à ses débuts, cette organisation était perçue comme élitiste. Mais la Cedeao a compris que, pour atteindre ses objectifs, elle devait revenir aux fondamentaux et s’adresser directement aux populations. Pour cela, il fallait trouver des médiums. C’est ainsi qu’elle a commencé à travailler avec la Société civile, les acteurs de terrain et les organisateurs d’événements pour faire passer son message. L’objectif est de faire en sorte que les jeunes se saisissent des enjeux, s’approprient cette institution qui est la nôtre. Malgré ses imperfections et ses problèmes, cette institution supranationale est la nôtre. Il nous appartient de mieux la structurer, de l’améliorer pour en faire une organisation solide et efficace. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré le bureau national de la Cedeao il y a trois ans. Nous avons discuté, et depuis l’année dernière, cette institution a décidé de devenir un partenaire stratégique incontournable pour l’organisation du festival Koom-Koom. Et cela nous permet de mobiliser des étudiants venant de plusieurs pays d’Afrique, pour échanger et partager leurs expériences.
Comment le festival réussit-il à allier tourisme et environnement ?
Vous savez, en Afrique, rien n’est gratuit. Même l’art africain n’est pas abstrait, il est utilitaire. L’art tire tout son sens de la nature. C’est pourquoi il existe un rapport réel entre l’Africain et sa nature, puisque c’est de cette nature que nous tirons tout ce dont nous avons besoin. Alors, si aujourd’hui l’Organisation mondiale du tourisme (Omt) affirme que d’ici à 2050 les pays à vocation culturelle et riches en biodiversité attireront le maximum de flux touristiques, nous avons tout ce qu’il faut. La Casamance est un terreau fertile pour la culture. Et en matière d’environnement, nous n’avons rien à envier, même à l’Amazonie. Bien qu’il y ait aujourd’hui des endroits où des problèmes subsistent, nous pouvons aller au-delà. Prenez l’exemple d’Oussouye. C’est pourquoi nous allons lancer un nouveau prix, qui s’appellera le Prix du roi d’Oussouye pour l’environnement. Pourquoi ce prix ? Parce que cette personnalité est déjà un patrimoine culturel et immatériel. Elle est également une curiosité touristique. Aucun touriste ne vient ici sans passer par Oussouye. Et, troisièmement, à Oussouye, on ne coupe pas de bois. Tout cela fait que cette personnalité incarne une richesse unique que le monde entier doit connaître. C’est pourquoi il existe un lien certain entre culture et tourisme, entre tourisme et artisanat, et entre artisanat et environnement, car tout provient de cet environnement.
L’heure n’est peut-être pas encore au bilan pour vous, mais quels sont les enjeux et perspectives à venir ?
Les enjeux sont énormes. Aujourd’hui, quand nous suivons l’Etat dans son agenda de transformation, nous constatons qu’il a mis en place un programme visant à atteindre des résultats d’ici 2050. Il faut rappeler que, de 2012 à 2023, nous avons travaillé sur le Plan Sénégal Emergent (Pse). Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une nouvelle phase avec l’Agenda national de transformation (Ant). Avec le comité scientifique, nous avons réfléchi pour identifier les points d’articulation possibles entre le programme Koom-Koom et cet agenda national. Nous avons trouvé de nombreuses similitudes et avons décidé de travailler dans le cadre d’un partenariat public-privé afin de collaborer avec l’Etat du Sénégal pour atteindre ces objectifs. Sur ce plan, nous avons déjà obtenu un portage institutionnel, ce qui est très important. Lors de certaines éditions passées, nous avons bénéficié de la participation de ministres, mais pas d’un véritable engagement. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits de voir une personnalité comme Mme Maïmouna Dièye, ministre de la Famille et des solidarités, prête à soutenir institutionnellement ce projet. Et ce soutien s’explique par le fait qu’elle connaît bien le projet Koom-Koom, puisqu’elle en a été la coordinatrice en 2011, 2012 et 2013. C’est donc facile pour elle, et c’est une excellente chose.
D’autre part, l’Etat du Sénégal a mis en place le ministère de l’Intégration africaine et des affaires étrangères, ce qui nous permet de travailler avec la Cedeao sur ces questions. Nous avons compris que l’Etat souhaite d’abord consolider ses relations de bon voisinage avec des pays comme la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée-Conakry, le Mali et, plus largement, avec l’Afrique. Ce que nous faisons avec la présence de ces pays au festival, mais aussi avec l’institution supranationale, représente une grande satisfaction. Donc, voilà deux satisfactions dans le domaine institutionnel. Maintenant, sur le plan pratique, le comité scientifique s’est élargi et couvre désormais de nombreux domaines. Nous allons fournir des recommandations à l’Etat du Sénégal, en lui montrant que des solutions peuvent être trouvées dans tous les secteurs en suivant certaines orientations. Le comité est conscient de cette mission importante, et le bilan réel sera établi dans un mois, une fois tout terminé.
Sur le plan de la mobilisation, il y a également de quoi être satisfait. Les expositions, les forums et les plateaux artistiques attirent beaucoup de monde. Le festival Koom-Koom est devenu un produit phare non seulement pour la Casamance, mais aussi pour le Sénégal et toute la sous-région. Cette affluence est palpable, avec des personnes venant parfois sans même être invitées. Un autre exemple de satisfaction est la visite du Comité d’organisation des Jeux Olympiques de la Jeunesse (Cojoj) 2026. Ils sont venus, ont vu le festival et ont proposé de le labelliser. Cela signifie que l’année prochaine, nous allons co-organiser le festival Koom-Koom avec le Cojoj, en plus du ministère. Maintenant, d’un point de vue artistique, nous avons vu énormément de choses. Je ne suis pas d’accord avec le terme «folklore». Je préfère parler d’expressions culturelles. Ce sont ces expressions qui inspirent les chercheurs. Par exemple, ce que j’ai vu les gens du village de Baïla faire hier, utiliser des couteaux pour se couper la langue ou manipuler des coupe-coupe d’une manière impressionnante. Pour le spectateur, cela peut faire peur ou ébahir, mais un expert militaire pourrait y voir une inspiration pour l’industrie de l’armement et réfléchir à comment collaborer avec ces communautés. C’est cela la culture : elle n’est pas un jeu. Chaque pas, chaque note, chaque geste dans la culture africaine a un sens. La culture en Afrique n’est pas abstraite, elle est utilitaire. Donc, tout cela doit nous permettre de construire notre développement sur des bases solides et durables.
Enfin, vous parliez hier, d’un Plan Diomaye pour la Casamance (Pdc). Quel serait donc votre plaidoyer ?
Naturellement, si on prend tout cela en compte, nous pourrons demander à l’Etat du Sénégal d’intégrer le festival Koom-Koom et son projet de développement dans le Plan Diomaye pour la Casamance (Pdc). C’est le Président qui l’a dit. Et si aujourd’hui on intègre le festival dans ce programme, il deviendra immédiatement une plateforme pour l’ensemble des acteurs afin de présenter leurs productions et leurs créations. C’est ainsi que l’on crée un marché. L’Organisation mondiale du commerce (Omc) n’a pas été créée de manière arbitraire. Elle repose sur l’existence et l’exploitation d’opportunités réelles. De la même manière, nous sommes convaincus que, dans le cadre du Plan Diomaye pour la Casamance, une fois que le rapport sera publié, le président de la République et le Premier ministre accepteront d’intégrer le festival Koom-Koom ainsi que le projet Koom-Koom dans ce programme.