L’ART MUSICAL OUEST-AFRICAIN A RÉSISTÉ À L’EMPRISE COLONIALE
Selon le professeur Ibrahima Wane, au Sénégal, cet art a joué un rôle central dans la construction mémorielle, politique et identitaire du pays? de l’époque coloniale aux mobilisations citoyennes contemporaines.

La musique, en tant qu’expression artistique, constitue l’un des rares domaines à avoir véritablement échappé à l’emprise coloniale en Afrique de l’Ouest, a affirmé, mercredi, le professeur Ibrahima Wane, spécialiste en littérature et civilisations africaines à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
”L’art, en Afrique de l’Ouest et plus précisément la musique, est peut-être l’un des rares domaines, pour ne pas dire le seul, à avoir réellement résisté à l’influence coloniale”, a-t-il dit lors d’une conférence sur le thème ”Musique populaire et histoire politique au Sénégal”.
Elle a été précédée de la projection du film documentaire ”Orchestra Baobab, une autre histoire du Sénégal”, réalisé par le cinéaste malien Toumani Sangaré, directeur de l’école de cinéma Kourtrajmé de Dakar, dans le cadre des 50 ans de ce mythique groupe sénégalais des années 1970.
Selon Ibrahima Wane, la musique a joué un rôle central dans la construction mémorielle et politique des sociétés sénégalaises postcoloniales.
”Pendant la colonisation, les artistes continuaient à célébrer les héros traditionnels. Ces œuvres véhiculent des valeurs de dignité, de courage et d’honneur, sans que le pouvoir colonial n’en perçoive toujours le potentiel subversif”, a-t-il expliqué.
Il a souligné que ”contrairement à d’autres régions où chaque régime tente d’effacer les traces de ses prédécesseurs, ici, la musique propose une synthèse des mémoires. Elle devient un espace de conciliation entre les différentes strates civilisationnelles”.
”Ce patrimoine musical, loin d’être figé, fonctionne comme un palimpseste (parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte) où, coexistent les différentes mémoires: ceddo, maraboutique, arabo-islamique, etc”, a-t-il poursuivi.
Toujours, selon lui, ”la musique sénégalaise constitue un lieu de convergence entre les cultures traditionnelles, islamiques et occidentales”.
Pour le chercheur, ”cette capacité de synthèse mémorielle a permis à la musique de devenir un langage puissant dans la dynamique de construction nationale, à travers notamment les hymnes nationaux, inspirés des répertoires traditionnels pour forger une identité moderne”.
”L’hymne national sénégalais, tout comme celui de la jeunesse, sont des reconstructions directes de ce patrimoine musical ancien”, a-t-il souliné.
Abordant la place des cultures urbaines dans l’espace politique, le professeur Wane a relevé la profondeur historique du lien entre art et engagement social, estimant que les mobilisations citoyennes de 2000 et 2012 ne constituent pas des ruptures mais, l’aboutissement d’une tradition d’interaction entre musique et politique.
”Ce que nous appelons aujourd’hui l’activisme du hip-hop s’inscrit dans une longue généalogie historique”, a-t-il soutenu.
Par ailleurs, l’universitaire a signalé quelques erreurs factuelles dans le film documentaire présenté, notamment, sur l’âge de certains musiciens mentionnés ou des confusions concernant la crise en Casamance.
La conférence s’est tenue en présence de chercheurs, d’artistes et d’étudiants, dans une ambiance d’échanges intellectuels nourris sur les interactions profondes entre musique et société au Sénégal.