LE QUAI BRANLY RÉEXAMINE L'HÉRITAGE CONTROVERSÉ DE LA MISSION DAKAR-DJIBOUTI
Intimidation, menaces, tromperies : le butin de la mission révèle enfin ses obscures origines. Le musée parisien a confié aux chercheurs des pays concernés le soin d'enquêter sur les méthodes d'acquisition de ces milliers d'objets prélevés en Afrique

(SenePlus) - Le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac présente depuis le 15 avril une exposition inédite consacrée à la mission Dakar-Djibouti, cette expédition scientifique française menée entre 1931 et 1933 qui a permis de rapporter quelque 3 200 objets africains dans les collections nationales.
L'originalité de cette démarche ? Le musée parisien a choisi d'inverser les perspectives en confiant l'étude de ces collections à des chercheurs originaires des pays concernés, dans ce que l'institution appelle une "contre-enquête", selon Le Monde.
La mission Dakar-Djibouti, dirigée par l'ethnologue Marcel Griaule et dont l'écrivain Michel Leiris était membre, avait pour objectif officiel de "sauvegarder les traces de cultures qui disparaissent au contact des colons et du monde moderne". Mais comme l'a révélé Leiris lui-même dans son journal "L'Afrique fantôme" (1934), les méthodes d'acquisition étaient souvent peu scrupuleuses.
"Partout où elle passe, la mission se comporte en terrain conquis", résume Didier Houénoudé, universitaire béninois ayant participé au projet. L'exposition confirme que les objets ont souvent été obtenus par intimidation ou tromperie, certains étant même des objets personnels que "les familles n'auraient en aucun cas cédés volontairement".
Pour mener cette "contre-enquête", le Quai Branly a invité six chercheurs africains à examiner les archives de l'expédition. Daouda Keita, directeur du Musée national du Mali, a ainsi pu étudier pendant deux mois les 1 650 objets provenant de son pays.
"On a voulu inverser les points de vue", explique Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique au Quai Branly, rappelant que des centaines d'Africains impliqués dans les travaux de la mission ont été les grands oubliés de cette histoire, dans le quotidien français.
La démarche a également permis des enquêtes de terrain dans 30 localités sur les 340 traversées par l'expédition. Au Mali, Daouda Keita a pu rencontrer les descendants des gardiens de sanctuaire qui ont confirmé que "Marcel Griaule les a menacés. Il y a eu intimidation, et ces objets ont été pris par la force".
Cette collaboration a déjà des conséquences concrètes. Le Mali a pu formuler une demande de restitution précise grâce à l'accès aux archives. "Les objets proposés à la restitution au Mali dans le rapport Sarr-Savoy ne nous convenaient pas. Nous savions qu'il y en avait beaucoup d'autres, plus importants. Mais nous n'avions pas les informations ni les preuves", précise Daouda Keita.
Le conservateur malien espère que cette coopération "franche et ouverte" avec le Quai Branly servira de modèle pour d'autres musées occidentaux.
L'exposition "Mission Dakar-Djibouti (1931-1933) : contre-enquêtes" est visible au Musée du quai Branly jusqu'au 14 septembre 2025.