LE FRANC CFA EST-IL UN IMPÔT COLONIAL ?
Alors qu'Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont annoncé la réforme du franc CFA, une série de tweets dénonce un «impôt colonial» de la France - Qu'en est-il exactement ?

En visite en Côte-d’Ivoire, Emmanuel Macron a annoncé samedi, au côté de son homologue, Alassane Ouattara, la fin du Franc CFA. Une nouvelle monnaie, probablement appelée «eco», devrait voir le jour en 2020 dans les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) utilisant aujourd’hui le franc CFA : il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte-d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo. Pour l’instant, les six pays d’Afrique centrale utilisant le franc CFA mais formant une zone monétaire distincte (la Cemac) ne sont pas concernés. Au total, quatorze pays et les Comores ont le franc CFA.
En réaction à cette annonce, une série de tweets est devenue virale. Son auteure y dénonce un «impôt colonial» que paieraient les Etats à la France par le biais du franc CFA.
Elle explique que ces quatorze pays sont obligés de déposer 85% de leurs réserves au Trésor français, ce qui ne leur laisserait que 15% de liquidités et les obligerait à s’endetter auprès de la France.
CheckNews a déjà répondu à plusieurs reprises à ces questions. L’idée d’un «impôt colonial» payé par ces pays d’Afrique à la France est en fait une intox qui remonte à 2014 : elle repose sur une confusion concernant le fonctionnement du franc CFA.
En effet, comme l’explique la Banque de France, le franc CFA repose sur trois principes fondateurs, dont la garantie de convertibilité illimitée par le Trésor français. Celui-ci prévoit que, en contrepartie du fait que la convertibilité des monnaies de chaque pays soit garantie par le Trésor, chaque pays membre doit centraliser ses réserves. Ainsi, 50% des réserves de change la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Banque centrale des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) doivent être déposées auprès du Trésor français. Ce taux était, jusqu’en 2005 pour la BCAO et jusqu’en 2009 pour la BEAC, de 65%.
Ainsi, ces deux banques centrales «disposaient en 2005 de plus de 3 600 milliards de francs CFA auprès du Trésor français», expliquait le Monde en 2015. Soit un stock d’environ 72 milliards d’euros.
Fin de la centralisation obligatoire de 50% des réserves de change en France
Il ne s’agit donc pas d’un impôt versé par les pays africains à la France, mais d’un dépôt, dont les intérêts leur sont reversés. Comme l’expliquait au Monde l’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la Prospective, par ailleurs très critique du modèle du franc CFA, «rien n’empêche les pays concernés d’en faire usage pour accompagner leur croissance». Ce que confirme, dans un débat sur RFI, Ahmadou Al Aminou Lo, directeur national de la BCEAO au Sénégal en 2018. Surtout, cette mesure est censée être supprimée dans la réforme du franc CFA annoncée ce week-end.
En effet, outre le changement de nom, la réforme prévoit «l’arrêt de la centralisation de 50% des réserves» des pays concernés au Trésor français et le retrait de la France des «instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente». En revanche, la parité fixe avec l’euro du franc CFA est maintenue (1 euro = 655,96 francs CFA), mais ce point est appelé à évoluer.
Ce qu’avait d’ailleurs annoncé le président béninois Patrice Talon en novembre dernier sur RFI. Le ministre de l’Economie avait ensuite expliqué : «Il est connu de tous qu’une partie des réserves de change de la zone UEMOA est déposée auprès du Trésor français pour garantir la convertibilité de notre devise. Ce que le chef de l’Etat a dit, c’est que si cette réforme, qui est aujourd’hui souhaitée de tous et sur laquelle on est d’accord pour avancer, arrivait à terme, elle permettrait à la Banque centrale de placer ses réserves partout, auprès d’institutions financières, que ce soit en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis.»