VIDEODU SOUVERAINISME À LA SÉNÉGALAISE
"C'est une manœuvre beaucoup plus habile que ce qui est fait dans d'autres pays de la région", analyse un spécialiste, tandis qu'un autre met en garde contre "les espoirs déçus". Le modèle sénégalais de souveraineté suscite des interprétations contrastées

(SenePlus) - Un vent de changement souffle sur l'Afrique de l'Ouest, particulièrement au Sénégal où le président Bassirou Diomaye Faye incarne cette nouvelle tendance souverainiste. À l'occasion de la fête de l'indépendance du 4 avril, le symbolisme n'a pas manqué lorsque le boulevard Général-de-Gaulle a été rebaptisé boulevard Mamadou-Dia, du nom d'un héros de l'indépendance.
Dans son discours à la nation, le président a clairement identifié la monnaie comme un enjeu de souveraineté : "Tous les pays du monde disposent de trois principaux moyens pour financer leur économie : la fiscalité, l'endettement et la monnaie. Or, avec le franc CFA, le Sénégal se prive d'un instrument essentiel", a-t-il déclaré en wolof, comme le rapporte Jeune Afrique.
Face à ce qu'il perçoit comme une inertie de la Cedeao concernant la création de l'eco, Bassirou Diomaye Faye propose que l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) prenne l'initiative "d'une monnaie souveraine avec un nom, un symbole et des billets distincts".
Élu dès le premier tour le 24 mars 2024, le président porte un discours de changement radical. Son parti, Pastef, défend "la nécessité de trouver de nouvelles voies de développement économique et social" pour mettre fin à la "dépendance-soumission à l'extérieur", avec une référence à peine voilée à l'ancienne puissance coloniale française.
Un financier actif dans la région, cité par JA, note que si "ces discours ne sont pas nouveaux", le contexte actuel marque une vraie différence : "Jusqu'à récemment, tous ces pays étaient gérés de manière post-coloniale, avec des dirigeants et des hauts fonctionnaires formés en Occident, qui cultivaient des liens avec les grandes institutions financières internationales. [...] Nous assistons donc à un changement profond de paradigme."
Au lendemain de sa prestation de serment en avril 2024, Bassirou Diomaye Faye a lancé une série d'audits sur les contrats pétroliers et gaziers conclus par le Sénégal, notamment ceux du champ de Sangomar, géré par l'australien Woodside, et du projet gazier offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), partagé avec la Mauritanie et exploité par British Petroleum.
Contrairement à l'approche plus frontale adoptée par certains pays voisins comme le Mali dans le secteur minier, la démarche sénégalaise se veut plus nuancée. "Les audits lancés par les autorités sont très spécifiques et concernent essentiellement la réalité des dépenses engagées par les multinationales. C'est une manœuvre beaucoup plus habile, moins frontale que ce qui est fait dans d'autres pays de la région", analyse Joël Té-Lessia Assoko, auteur de l'ouvrage "Enterrer Sankara".
Plus d'un an après les annonces du successeur de Macky Sall, les résultats de ces audits se font encore attendre. Pour l'économiste togolais Kako Nubukpo, "ces dernières décennies, les alternances politiques n'ont pas proposé de politiques économiques alternatives. Il y a une donc une forte demande de souveraineté de la part de la jeunesse ouest-africaine. Les promesses faites par les nouvelles autorités du Sénégal tardent à produire des effets. Attention aux espoirs déçus."
Le souverainisme économique pourrait-il donc n'être qu'un discours sans conséquences concrètes ? Joël Té-Lessia Assoko suggère que "c'est parfois beaucoup de bruit pour, finalement, des conséquences économiques très limitées". Il fait remarquer que malgré la rhétorique anti-institutions occidentales, les pays qui se réclament du souverainisme continuent de s'adresser au FMI et à la Banque mondiale dès qu'ils en ont besoin.
Si la vraie recette du souverainisme économique restait à inventer ? Kako Nubukpo, malgré ses réserves, voit une opportunité : "Cette opportunité peut être saisie pour proposer des modèles différents, conquérir le marché intérieur en accélérant la transformation locale des matières premières que nous produisons."
Le Sénégal, avec son approche plus mesurée que celle des juntes militaires voisines, pourrait-il tracer une voie médiane, alliant aspiration à plus de souveraineté et pragmatisme économique ? L'histoire est en train de s'écrire, mais les enjeux sont immenses pour une jeunesse sénégalaise qui attend des résultats concrets au-delà des symboles et des discours.