MULTIPLE PHOTOSLA SYMBOLIQUE DES COALITIONS ESTUDIANTINES À L’ÉPREUVE DE LA DIVERSITÉ DISCIPLINAIRE
Derrière les noms des coalitions en lice pour l'amicale de la FSJP se cache un enjeu fondamental. En choisissant des références judiciaires, la "Haute Cour de Justice" et la "Cour Pénale Internationale" instaurent une hiérarchisation des savoirs
La vie associative estudiantine, notamment à travers les élections des amicales, joue un rôle crucial dans l’expression de la citoyenneté universitaire. Elle incarne un espace de participation, de débat et de représentation. Mais cette représentation peut-elle réellement être inclusive lorsqu’elle exclut symboliquement une partie des étudiants ? Telle est la question que soulève la campagne en cours pour l’élection du bureau de l’amicale des étudiants de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).
Deux coalitions sont en lice : la Haute Cour de Justice (HCJ) et la Cour Pénale Internationale (CPI). Ces noms, bien que prestigieux, posent un problème fondamental : ils renvoient exclusivement à l’univers judiciaire, occultant ainsi toute la richesse disciplinaire que recouvre la faculté, notamment la science politique.
La force symbolique des noms dans les dynamiques politiques
Les noms d’une organisation ou d’une coalition ne sont jamais neutres. Ils véhiculent un imaginaire, une identité et une vision du monde. Comme le rappelle le politologue Benedict Anderson, « les communautés sont imaginées parce qu’aucun de leurs membres ne connaîtra jamais la plupart de ses compatriotes, les rencontrera ou même entendra parler d’eux, mais dans l’esprit de chacun vit l’image de leur communion » (Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, 1983). Ainsi, le nom « Haute Cour de Justice » évoque une institution solennelle du pouvoir judiciaire, tout comme « Cour Pénale Internationale », symbole mondial de la justice pénale.
Or, en contexte universitaire, choisir de telles références revient à construire une représentation de l’engagement étudiant exclusivement axée sur le droit et la justice, reléguant les autres disciplines au second plan. Cela reflète une certaine hiérarchisation des savoirs où le juridique serait plus “noble” ou plus “légitime” que le politique. Cette tendance peut être analysée comme une forme de violence symbolique, au sens de Pierre Bourdieu, qui la définit comme « une violence douce, invisible, souvent méconnue, exercée essentiellement à travers les voies symboliques de la communication et de la reconnaissance » (La misère du monde, 1993).
Une faculté plurielle, une amicale pour tous ?
La FSJP de l’UCAD n’est pas une simple faculté de droit. Elle regroupe plusieurs filières : droit public, droit privé, science politique, histoire du droit, etc. Cette diversité est une richesse. Elle appelle à une représentation inclusive, qui tienne compte des différentes sensibilités, intérêts et ambitions des étudiants.
Mais en choisissant deux noms exclusivement liés au monde judiciaire, la campagne actuelle invisibilise la présence des étudiants en science politique, qui forment pourtant une part importante du corps estudiantin. Cette marginalisation symbolique peut engendrer un sentiment d’exclusion et de désintérêt vis-à-vis des élections étudiantes, compromettant ainsi l’objectif d’une représentation réellement démocratique.
Comme l’écrit Jacques Rancière, « il n’y a de politique que là où il y a un sujet politique, c’est-à-dire un être capable de dire : ‘moi aussi, je suis partie prenante’ » (La mésentente : Politique et philosophie, 1995). Or, dans le contexte présent, les politistes peuvent légitimement se demander : « suis-je vraiment partie prenante de ce processus ? »
Vers une symbolique plus inclusive : repenser l’imaginaire des coalitions
Loin de critiquer gratuitement, il est nécessaire de proposer des alternatives. D’autres noms auraient pu mieux incarner l’équilibre entre droit et politique, voire célébrer leur articulation. Des exemples tels que « Justice et Démocratie », « Coalition des Etudiants Engagés pour le Renouveau » ou encore « Alliance pour la Gouvernance Responsable de l’Amicale » auraient permis une meilleure inclusion symbolique de tous les profils.
Comme le souligne Amartya Sen, « la démocratie est avant tout un processus de discussion. Elle suppose la reconnaissance des différentes voix, même minoritaires » (Development as Freedom, 2000). La représentation des étudiants ne peut donc ignorer la pluralité disciplinaire et idéologique qui fonde l’espace universitaire.
Il est essentiel d'engager une réflexion sur la manière dont les symboles façonnent la vie politique estudiantine, en particulier dans une faculté qui forme les futurs acteurs du droit, de la politique, de la gouvernance et de la citoyenneté. Les noms choisis par les coalitions estudiantines, tels que "Haute Cour de Justice" (HCJ) et "Cour Pénale Internationale" (CPI), reflètent une conception centrée sur le domaine juridico-judiciaire, laissant peu de place à la diversité disciplinaire de la faculté.
Cette focalisation sur le juridique peut engendrer un sentiment d'exclusion parmi les étudiants des autres filières, notamment ceux en science politique, relations internationales ou gouvernance. Dans un contexte universitaire qui aspire à former des citoyens complets, critiques et engagés, l'inclusivité ne doit pas être perçue comme un luxe, mais comme une nécessité impérieuse.
Il est encore temps de faire entendre une voix alternative, celle des étudiants issus de toutes les disciplines de la faculté. Une voix qui rappelle que la justice sans politique est technique, mais que la politique sans justice est vide. Une voix affirmant clairement : « Nous aussi, nous faisons partie de cette faculté. Nous aussi, nous avons notre mot à dire. »
Seydou Barham Diouf est étudiant en science politique
Université Cheikh Anta Diop de Dakar.