AU MALI, LE PUTSCH PERMANENT ?
Cinq ans après son coup d'État, les "forces vives de la nation", triées sur le volet par le régime, viennent de recommander la nomination de Goïta comme "président pour cinq ans renouvelables et la suspension de tout processus électoral"

(SenePlus) - Dans un développement politique majeur au Mali, le général Assimi Goïta s'apprête à s'octroyer cinq années supplémentaires à la tête de l'État, sans passer par les urnes. Cette manœuvre, qui survient près de cinq ans après le coup d'État d'août 2020, suscite l'indignation des principales formations politiques du pays qui y voient une régression démocratique sans précédent.
Selon les informations rapportées par Le Monde, à l'issue de deux jours de consultations qui se sont tenues à Bamako le 29 avril 2025, un panel de "forces vives de la nation" - soigneusement sélectionné par le pouvoir en place - a recommandé que le général Goïta soit nommé "président de la République pour un mandat de cinq ans à partir de 2025, renouvelable". Les mêmes consultations ont préconisé de "suspendre toutes les questions électorales jusqu'à [la] pacification" du pays et de "dissoudre tous les partis politiques" afin d'en "durcir les conditions de création".
Cette stratégie n'est pas sans rappeler celles adoptées par les régimes militaires voisins du Burkina Faso et du Niger, partenaires du Mali au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES). Le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso et le général Abdourahamane Tiani au Niger ont respectivement prolongé leur pouvoir en mai 2024 et mars 2025, suivant un modèle similaire.
La différence notable au Mali est l'émergence d'une résistance politique organisée. "Les prochains jours vont être décisifs. On sent un réveil. Les espoirs et l'enthousiasme observés au début de la transition ont été déçus. La junte n'est plus populaire. Les Maliens ont compris que ces gens veulent confisquer le pouvoir et les priver de leurs libertés. Mais nous ne l'accepterons pas", affirme Yaya Sangaré, secrétaire général de l'Adema-PASJ, cité par Le Monde.
Pour de nombreux responsables politiques maliens, cette prolongation du pouvoir militaire ravive le souvenir de la dictature de Moussa Traoré, renversée en 1991 par un mouvement populaire ayant conduit à l'instauration du multipartisme. Une figure politique engagée à l'époque contre le régime Traoré, s'exprimant sous couvert d'anonymat, déclare : "Nous vivons des moments difficiles. Nous devons continuer à nous battre, car nous ne pouvons pas laisser des militaires anéantir les libertés pour lesquelles beaucoup de Maliens ont payé de leurs vies".
Ces craintes sont d'autant plus fondées que la nouvelle Constitution adoptée par référendum en juin 2023, qui consacrait le rôle des partis dans "l'expression du suffrage" des citoyens, semble désormais lettre morte. L'élection présidentielle initialement prévue avant mars 2024, déjà reportée sine die, pourrait simplement ne jamais avoir lieu au vu des récentes recommandations.
Un autre aspect crucial de cette situation concerne les relations entre les principaux officiers putschistes. Selon plusieurs sources militaires et sécuritaires citées par Le Monde, une méfiance croissante se serait installée entre le général Goïta et son ministre de la défense, le général Sadio Camara.
Le chef de la junte aurait envisagé initialement de se présenter à une élection présidentielle pour légitimer son pouvoir, mais refusait de démissionner six mois avant le scrutin comme l'exige la loi électorale adoptée en juin 2022. Cette démission aurait conduit à confier l'intérim au président du Conseil national de transition, le général Malick Diaw, autre officier impliqué dans le coup d'État de 2020 qui, comme Sadio Camara, "ne voit pas toujours d'un bon œil l'hégémonie grandissante d'Assimi Goïta dans leur dispositif autrefois davantage collectif".
Les partis politiques, réunis au sein de l'Initiative des partis politiques pour la charte (Ipac), ont prévu de se réunir pour décider d'une riposte commune. Certains leaders envisagent d'appeler à des manifestations, bien que celles-ci risquent d'être interdites par le régime. Un meeting prévu à Bamako la veille de l'ouverture des concertations avait déjà été annulé par les autorités, signe d'un durcissement du régime face à toute forme d'opposition.
Alors que le général Goïta s'apprête à concrétiser cette extension de pouvoir, l'avenir démocratique du Mali semble plus incertain que jamais, avec une société civile et une classe politique qui tentent de résister à ce qui apparaît comme un retour inquiétant vers l'autocratie militaire.