CE QUE LA JUSTICE IVOIRIENNE REPROCHE À SORO
Ses proches l’assurent : cela fait plusieurs mois que Ouattara cherche à accuser l'ancien chef rebelle de déstabiliser la Côte d’Ivoire. D’où son absence prolongée hors du pays et l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2020 depuis l’Espagne

Visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne, Guillaume Soro a annulé in extremis, ce lundi, son retour à Abidjan. Il est accusé de tentative d’atteinte à l’autorité de l’État et de détournement de deniers publics. Jeune Afrique décrypte l’origine de ces accusations.
Les proches de Guillaume Soro l’assurent : cela fait plusieurs mois que le régime d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) cherche à accuser leur leader de déstabiliser la Côte d’Ivoire. D’où son absence prolongée hors du pays et l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2020 depuis l’Espagne, début octobre. « Il savait parfaitement qu’on lui tendrait un traquenard s’il rentrait à Abidjan, glisse l’un de ses intimes. Mais il a tenu à monter dans l’avion pour montrer au monde entier qu’Alassane Ouattara l’empêchait de rentrer chez lui. »
Selon nos sources, des négociations indirectes entre Soro et Ouattara ont eu lieu jusque dans la nuit du 22 décembre. Le chef de l’État aurait ainsi demandé à son ancien allié de surseoir à son projet de retour, après plus de six mois d’absence. Comment expliquer ce revirement inattendu ? Que reprochent les autorités ivoiriennes au candidat à la future présidentielle ?
Après que les autorités ghanéennes ont refusé à Soro, le 23 décembre, de débarquer à Accra – sur la demande d’Abidjan, où la justice venait d’émettre un mandat d’arrêt contre l’ancien président de l’Assemblée nationale -, son jet a refait le plein de carburant et décollé pour Tenerife, aux îles Canaries. Il y a atterri lundi, peu avant 23 heures GMT. Rejoindra-t-il la France ou la Suisse, comme certaines sources l’affirment ?
Quelle que soit sa destination finale, nul doute que l’ancien rebelle et actuel député prendra ses précautions. Car pendant qu’il était à Accra, Richard Adou, le procureur de la République, a officiellement annoncé sur la RTI que l’opposant à Alassane Ouattara, désormais candidat à la présidentielle de 2020, est visé par un mandat d’arrêt international pour tentative d’atteinte à l’autorité de l’État, détournement de deniers publics, recel de détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux.
Tentative d’atteinte à la sûreté de l’État
Selon nos sources, le chef de l’État ivoirien avait évoqué la possible arrestation de Guillaume Soro lors de son tête-à-tête avec Emmanuel Macron, le 21 décembre. ADO a également convoqué, deux jours plus tard, plusieurs anciens « comzones » afin de leur rendre compte de la situation. Le lendemain, les membres du gouvernement en ont également été informés lors d’un conseil de gouvernement extraordinaire convoqué par le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly.
Selon le procureur Richard Adou, « Guillaume Soro projetait d’attenter à la sécurité de l’État et à l’intégrité du territoire national ». Dans sa déclaration, Adou a expliqué que « les éléments en possession des services de renseignement, dont un enregistrement sonore, établissent clairement que le projet devait être mis en œuvre incessamment ». « Nous sommes en possession d’un enregistrement audio d’une douzaine de minutes dans lequel on l’entend évoquer un projet d’insurrection et de coup d’État », précise un ministre. Selon une autre source gouvernementale, Soro y détaillerait « comment il compte frapper le régime, ses relais, ses réseaux ».
Deux accusations aussi graves que floues, sur lesquelles peu d’informations ont filtré. Le procureur Adou devrait tenir une conférence de presse avant le 26 décembre pour préciser les faits qui sont reprochés à l’ex-rebelle par les autorités ivoiriennes.
Tant sur la forme que sur le fond, ce scénario rappelle d’ores et déjà « l’affaire des écoutes » dans laquelle est impliqué Guillaume Soro durant la tentative de putsch du général Gilbert Diendéré au Burkina Faso, en 2015.
Détournement de deniers publics
Guillaume Soro est aussi accusé de détournement de deniers publics, recel de détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux. Le procureur de la République a ainsi expliqué avoir été sais, le 20 décembre, d’une plainte du Trésor public.
« Il a créé une Société civile immobilière (SCI) avec laquelle il a acheté sa résidence à Marcory [un quartier d’Abidjan] pour un montant de plus de 1,5 milliard de francs CFA grâce à des fonds publics provenant de comptes de l’Assemblée nationale », assure une source gouvernementale. Une affirmation battue en brèche par un intime de Guillaume Soro qui, bien qu’il confirme que la résidence de Marcory, qui appartenait à l’homme politique béninois, Adrien Houngbédji, a été achetée via cette SCI, assure qu’elle le fut en 2008, alors que Soro était Premier ministre.
Arrestation de plusieurs de ses proches à Abidjan
Lundi 23 décembre, vers 16 heures locales, des éléments des forces de sécurité, certains cagoulés, ont fait irruption dans la permanence de l’ancien président de l’Assemblée nationale, un bâtiment jouxtant l’ambassade des États-Unis. Les partisans de Soro y étaient rassemblés et une conférence de presse animée par Alain Lobognon venait juste de s’achever.
Quinze personnes ont alors été interpellées, dont plusieurs députés, comme Alain Lobognon, Kanigui Soro et Loukimane Camara. Le frère de l’ancien Premier ministre, Simon Soro, et son directeur de protocole, Souleymane Kamagaté, ont eux aussi été arrêtés. Selon nos sources, des perquisitions ont eu lieu dans la nuit, et ce mardi matin, chez d’autres membres de son mouvement, Générations et peuples solidaires (GPS).
Les personnes appréhendées ont été présentées devant le procureur mardi et pourraient être inculpées pour atteinte à l’autorité de l’Etat, trouble à l’ordre public et diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur le bon fonctionnement des institutions. Dans le même temps, le bureau de l’Assemblée nationale, seul organe habilité à lever l’immunité des députés, a été informé de l’ouverture d’une procédure judiciaire.