«EN CAS DE VICTOIRE CONFIRMEE DE BIDEN, LES IMMIGRES VIVANT AUX USA SANS PAPIERS N’AURONT DEJA PLUS LA PEUR DE L’EXPULSION A TOUT MOMENT»
Résidant aux Etats-Unis depuis plusieurs années, René Lake, expert en développement international, consultant analyste décortique la Présidentielle américaine qui oppose le Président sortant, Donald Trump à Joe Biden

Résidant aux Etats-Unis depuis plusieurs années, René Lake décortique la Présidentielle américaine qui oppose le Président sortant, Donald Trump à Joe Biden. Consultant, analyste, expert en développement international, il revient dans cet entretien fait par mail sur l’impact de l’élection américaine en Afrique en général et au Sénégal en particulier.
Comment s'est passée l’élection américaine du mardi 3 novembre 2020?
Contrairement à ce que de nombreux observateurs avaient prédit, les élections du 3 novembre se sont déroulées sans incidents et en toute tranquillité. Pour l’Africain, le Sénégalais que je suis, il était étonnant de constater hier (avant-hier mardi, Ndlr), dans les rues de la capitale américaine que la plupart des boutiques, des commerces, des banques et autres immeubles commerciaux se sont barricadés en mettant de grosses feuilles de contreplaqué sur leur vitrine pour se protéger d’éventuelles émeutes qui pouvaient accompagner la journée de vote. Un tel spectacle est tout à fait inédit ici aux États-Unis, d’autant plus que ce n’est pas juste ici à Washington DC que de telles précautions ont été prises, mais bien partout dans les grandes villes du pays. Je disais à quelques amis que l’on se croirait au Nigeria en période électorale à l’époque d’Abacha. Ceci dit, rien ne garantit que le calme va persister après l’annonce d’ici peu des résultats finaux, puisque pour l’instant, Biden et Trump sont au coude à coude, même si l’ancien vice-président semble avoir un avantage.
Quel impact l'élection peut-elle avoir sur l'Afrique, selon la politique incarnée par le vainqueur ?
Les quatre années Donald Trump ont été des années perdues dans la relation Afrique Etats-Unis. Les échanges commerciaux entre Washington et le continent ont baissé de près de moitié. Pour l’année 2019, ils sont estimés à 57 milliards de dollars. En 2018, ils tournaient autour de 62 milliards de dollars. Comparez ces chiffres à ceux des années Obama. En 2010, les échanges de biens tournaient autour de 113 milliards de dollars et 125 milliards de dollars en 2011. Donc comme vous le constatez, le développement des relations économiques entre l’Afrique et les États-Unis n’a jamais été une préoccupation de l’administration Trump. A titre d’exemple comparatif, vous noterez qu’en 2019, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont grimpé de 2.2% pour atteindre 209 milliards de dollars. Du fait de sa politique nationaliste «America First», une nouvelle administration Trump ne changera pas sa politique africaine qui, de facto, se limite à des questions de sécurité qui, elles, relèvent de l’intérêt de défense nationale pour Washington.
Et si Joe Biden sort vainqueur de l’élection ?
Dans le cas d’une victoire qui semble probable de Joe Biden, on peut imaginer que ce sera une sorte de troisième mandat d’Obama et que l’on retrouvera une Amérique plus engagée avec le reste du monde, y compris avec l’Afrique. A mon avis, très rapidement nous devrions dépasser le cap des 100 milliards de dollars par an d’échanges de biens entre les Usa et le continent africain.
Le Sénégal serait-il gagnant dans sa coopération avec les États-Unis, en cas de continuité de Trump ou avec l'arrivée de Biden ?
Je crois que mes réponses précédentes donnent une idée de ce que pourrait être une victoire de Biden pour les relations Afrique-Usa. Au delà des échanges commerciaux, il faut noter que l’équipe de relations internationales de Biden est très proche de celle qui était aux affaires à l’époque Obama. Par exemple, il faut s’attendre à ce que Susan Rice joue un rôle prééminent. Secrétaire d’État ? Peut-être. Et comme vous le savez, Susan Rice est une des grandes spécialistes américaines des affaires africaines. Oui, une victoire de Biden pourrait normaliser à nouveau la relation avec le continent africain et peut-être même être l’occasion d’explorer de nouveaux espaces de coopération.
Qu'est-ce que les candidats ont proposé comme politique africaine en général et au Sénégal en particulier ?
L’Afrique, encore moins le Sénégal, n’étaient à l’ordre du jour de la campagne électorale qui était très américano-américaine. Les seules références à des pays étrangers ont tourné autour de questions intérieures liées à des pays comme la Russie, la Chine et l’Iran. La seule exception a été l’accord entre Israël et le Soudan signé à la dernière minute, il y a moins de 15 jours, sous l’égide de Trump qui cherchait absolument à se présenter comme un bon «deal maker» pour la paix au Moyen-Orient.
La question de la migration est devenue un sujet majeur dans le monde, est-ce qu’avec la victoire des démocrates, on ne peut pas s’attendre à une politique d'ouverture, contrairement à celle incarnée par Trump ?
Oui certainement. Les Démocrates souhaitent faire voter une loi sur l’immigration qui pourrait permettre de régulariser plusieurs millions d’immigrants vivant déjà aux États-Unis depuis plusieurs années. Par ailleurs, les ordonnances de protections des familles d’immigrants, la fameuse protection DACCA (Deferred Action for Childhood Arrivals) initiée par Obama, sera certainement réactivée très rapidement par Biden. Ceci dit, au plan législatif, la marge de manœuvre des Démocrates risque d’être très limitée, du fait qu’il semblerait que les Républicains pourraient conserver leur majorité. On y verra plus clair très bientôt.
Toujours par rapport aux immigrés, quelle attente pourrait-on avoir de l'un ou de l'autre pour espérer avoir des papiers aux États-Unis ?
En cas de victoire confirmée de Biden, dans un premier temps, nos parents, leurs enfants et amis immigrés vivant ici aux Usa sans papiers n’auront déjà plus la peur de l’expulsion à tout moment. C’est déjà un soulagement majeur pour tous. Ensuite, le reste sera le résultat des rapports de force législatifs d’ici à la prochaine élection de mi-mandat en 2022. Dans tous les cas, être un immigré sous une administration Biden sera certainement un mieux par rapport à une vie de crainte et de frayeur sous une administration Trump.
Propos recueillis par Codou Badiane