HABRÉ ÉTAIT PRÉSENT LORS DE MON INTERROGATOIRE À LA PRÉSIDENCE
Audition du Doungous Batil, témoin et partie civile

Le défilé des témoins continue devant la barre. Hier, la Cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires (Cae) a recueilli les dépositions de Doungous Batil, de Awada Guéderké Ali et Fatimé Toumlé. Tous ont chargé le régime de Habré et décrit des conditions de détention épouvantables.
Doungous Batil, cultivateur âgé de 57 ans, est à la fois témoin et partie civile. Il a subi, indique-t-il, des tortures et a été battu par des éléments de la Brigade spéciale d’intervention rapide (Bsir), après un bref interrogatoire.
Le témoin a été arrêté chez sa tante à Ndjamena. Il revenait de son village à 25 kilomètres de la capitale du Tchad. Il était accusé d’avoir recruté des combattants à Ndjamena pour le compte de Maldoum Bada Abass qui s’était rebellé contre le régime de Habré en 1987. «Les militaires me reprochaient également de faire des gris-gris pour rendre les Hadjaraïs invulnérables et de refuser ce service aux Goranes», note-t-il.
Mahamat Djibrine «El Djonto», un agent de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds), non satisfait des réponses de Doungous, l’amena «les pieds ligotés» dans son véhicule à la Présidence, vers 16 heures, pour un autre interrogatoire plus «musclé». «C’est toi Doungous ?», l’interpella Mahamat Saker dit Bidon. «Ici, tu vas parler. Le Président est là. Tu vas dire la vérité, sinon tu vas mourir comme les autres», menaçait-il.
«Comme je ne savais rien, mes bourreaux m’ont battu et jeté dans un caniveau où j’ai trouvé 14 détenus très affaiblis. Cinq jours après, 12 d’entre eux étaient morts», se souvient encore Doungous Batil qui dit être mourant lui aussi. Un médecin est même venu à son secours. «Il m’a donné des comprimés», relate-t-il.
Le calvaire n’était pas terminé. Le lendemain, «j’étais attaché sur une chaise. Des militaires ont introduit un câble sur mon dos. J’étais dans cet état pendant trois jours. J’avais des douleurs au ventre. Un certain David, ayant pitié de moi, m’a donné de la bouillie. Il a été tué devant moi pour ce geste», relève le témoin devant les juges des Cae. Il montre les séquelles des tortures subies.
Doungous Batil est resté un mois dans cette prison de la Présidence avant d’être transféré à la Bsir où il a passé un mois et 15 jours. Par la suite, il a été amené à la Dds. «J’ai été emprisonné à ‘’La Piscine’’ jusqu’à la prise de Ndjamena en décembre 1990 par le Mouvement patriotique pour le salut (Mps) de Idriss Deby.»
«On m’a accusé d’être de connivence avec Maldoum, car je suis Hadjaraï» Auparavant, la Cour a recueilli les propos de Awada Guederké Ali, sergent-chef des Forces armées nationales du Tchad (Fant) au moment des faits. Ce militaire a accompagné, selon ses dires, l’ex-homme fort de Ndjamena au pouvoir en juin 1982 à partir du Soudan. Mais cette posture ne l’a pas épargné. Un soir alors que son enfant était gravement malade, il déserte le camp le temps d’une nuit pour soigner son fils. Au retour, c’était en septembre 1989, des militaires de la Dds l’ont arrêté et conduit en prison. «J’y ai subi des tortures. J’en garde les séquelles», indique-til. Il les montre.
Pour les agents de la Dds, explique-t-il, «le fait de déserter une nuit signifiait que j’ai rencontré les Maldoum Bada Abass en rébellion». «Je suis resté dans cette prison jusqu’à la chute de Habré en décembre 1990», conclut-il.
TÉMOIGNAGE DE FATIMÉ TOUMLÉ, VICTIME PRÉSUMÉE DE L’EX-PRÉSIDENT TCHADIEN
Je demande à Habré de clarifier la mort de mon mari
Après plusieurs années de souffrance suite à la disparition de son époux et la perte de leurs biens, le témoin Fatimé Toumlé réclame justice à la Cour d’assises des Cae (Chambres africaines extraordinaires) et invite Hissein Habré à l’édifier sur la mort de son mari.
Le témoin Fatimé Toumlé a fait sa déposition hier devant la Cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires (Cae). Dans sa tenue noire qui renvoie au deuil, cette assistante sociale de formation peine encore à oublier la mort de son mari et le fait qu’elle soit jetée avec ses enfants dans la rue. Après plusieurs années de souffrance, elle attend aujourd’hui de Hissein Habré des explications :
«Je demande à Habré de clarifier la mort de mon mari, c’était son collaborateur direct. C’est la seule chance qui nous a été offerte aujourd’hui pour vider notre douleur. Il y a des gens qui croient qu’on est corrompu. On a souffert. Il faut qu’il soit courageux. Il doit édifier le Peuple tchadien et nous dire la vérité», interpelle-t-elle l’ancien Président du Tchad qui est resté muet à ses côtés.
Les faits qui sont à l’origine de la disparition de son époux remontent à 1987, indique-t-elle. Le diplomate Haroun Gody a été appelé par Habré. Après l’avoir nommé en 1984 secrétaire d’Etat à la santé avec rang de ministre, l’ancien Président du Tchad lui avait confié la charge de faire revenir Maldoum Bada Abas qui avait déserté. Et d’après les informations qu’elle tenait de son défunt mari, Hissein Habré avait demandé à ce que Maldoum quitte leur maison où il a été hébergé pendant trois mois.
D’ailleurs, révèle le témoin, Habré l’aurait même convoqué une fois à l’insu de Haroun Gody. Depuis lors, les relations entre les deux hommes commençaient ainsi à se dégrader. Après cette mission, M. Gody a été limogé de son poste de secrétaire d’Etat. En fait, il s’était opposé à l’impunité qu’on voulait faire bénéficier aux gardes présidentiels qui avaient tué l’oncle de Idriss Miskin. Lequel demandait à ce que son petit-fils que les gardes avaient renversé avec leur véhicule soit conduit à l’hôpital.
En réalité, précise la veuve, les gardes voulaient que l’affaire soit réglée à l’amiable et qu’ils donnent tout simplement de l’argent pour faire le deuil. Une décision à laquelle s’opposait Haroun Gody. Mais il en avait pris pour son grade. Même son téléphone fixe a été aussi coupé après son limogeage.
Et suite à cet incident, «il a eu vent que Habré est en train de se préparer pour les arrêter. Il m’a dit que l’heure est grave et qu’il ne va pas rester pour être humilié. Il m’a dit je vais quitter la maison et tâche de prendre soin des enfants et de ma maman. Il m’a dit aussi que je pouvais vendre la maison en cas de besoin. Depuis avril 1987, nous n’avons plus eu de ses nouvelles», a-t-elle remarqué.
Quelques jours après sa disparition, poursuit le témoin, «nous avons eu la visite des agents de la Dds, El Djonto, Mahamat Bidon et d’autres». C’est ainsi que «El Djonto» «m’a demandé si je savais où était mon mari», a-t-elle ajouté. Et après avoir fait l’inventaire de tous les biens de la maison, explique la dame Toumlé, «ils nous ont laissés avec deux militaires, avant de revenir deux semaines après avec deux camions remplis de soldats pour tout emporter et nous chasser du domicile».
Mais avant de partir, «El Djonto» lui a parlé, dit-elle, d’une lettre que son mari aurait laissée. Il lui a remis après, une note sans adresse en lui demandant de prendre connaissance du contenu qui disait ceci : «Fatimé, l’heure est très grave et je suis vendu par les miens. Ce que je te demande, c’est de prendre soin des enfants. Je t’aime.»
Cette lettre, reconnaît-elle, émanait bien de son mari.