MOBUTU OU LA MORT D'UN DINOSAURE
Mégalomanie, dépenses extravagantes, collaboration avec la CIA… À la mort de l’ex-président du Zaïre, Philippe Gaillard retrace son parcours dans les colonnes de JA. Avec une implacable lucidité

Déchu, abandonné de ses courtisans, le maréchal Mobutu Sese Seko, « président fondateur » du Zaïre, est mort à Rabat, en terre étrangère, « des suites d’une longue et pénible maladie », comme on disait naguère.
Le pire reproche que lui fera l’Histoire sera peut-être de s’être refusé à comprendre qu’il lui fallait transmettre un pouvoir réduit à un simulacre et aux moyens d’exercer encore sa munificence, depuis qu’il avait fui le pays réel pour se réfugier dans les décors de théâtre qu’étaient son palais de Gbadolite et le Kamanyola, son yacht fluvial. C’était en 1990, après qu’un déluge de mémorandums – qu’il avait suscités, croyant qu’il canaliserait ainsi le flot des récriminations – eut révélé la force du mécontentement dans toutes les classes de la société.
Le mur de Berlin venait de tomber. Ceci se conjuguant avec cela aurait pu entraîner alors la chute de l’homme qui avait « régné » à Kinshasa pendant un quart de siècle. En effet, Mobutu avait toujours trouvé en Occident le soutien que lui valait sa position ou son attitude de « plus fidèle défenseur de la démocratie contre le communisme en Afrique ». Le péril rouge disparu, le défenseur n’avait plus d’utilité.
On vit bientôt, effectivement, les trois capitales Bruxelles, Paris et Washington – soucieuses, dirent-elles, des droits de l’homme, qui ne les avaient pas préoccupées outre mesure jusqu’alors – décréter un boycottage d’un genre nouveau et assez ridicule, frappant d’interdiction de séjour un chef d’État étranger et les membres de sa famille. La rétorsion fut sans effet.
De Charybde en Scylla
La volonté de « chasser le dictateur » n’était d’ailleurs pas évidente de la part de ceux qui, tel Jacques Foccart, considéraient que le départ de Mobutu précipiterait le Zaïre de Charybde en Scylla. Encore moins de la part de George H. Bush, président des États-Unis et ancien patron de la CIA, laquelle gardait une certaine tendresse à l’égard du commandant en chef de l’armée congolaise qu’elle avait contribué à propulser, en 1965, à la tête de l’État.