SALE TEMPS POUR COTONOU
Des élections législatives sans opposition, des réseaux sociaux et Internet limités, une forte abstention : au pays de Patrice Talon, les voyants rouges s'allument sur plusieurs fronts

Quand on cherche à prendre le pouls de Cotonou en ce jour d'élections législatives, c'est sur une déferlante d'actualité négative loin d'annoncer des lendemains tranquilles pour la population et pour les quelque 5 millions d'électeurs appelés aux urnes que l'on tombe. Les semaines précédentes déjà, le ton était donné puisque étaient annoncés la tenue et le maintien d'un premier scrutin qu'on peut juger d'historique dans la mesure où l'opposition n'a pas été autorisée à se présenter. Le jour même, l'accès à Internet et aux réseaux sociaux a fait des va-et-vient avant d'être totalement coupé. Et enfin pour clore la journée électorale, une abstention massive est confirmée par les médias locaux. L'opposition, privée de candidats à la suite d'une révision de la loi électorale, avait appelé ses partisans à ne pas aller voter, en signe de protestation.
Des élections coupées du monde
François Patuel, chercheur d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest, a déclaré : « La décision de fermer l'accès à Internet et aux médias sociaux le jour des élections est une violation flagrante du droit à la liberté d'expression. »
Avant d'arriver à de telles conclusions, le chercheur a scruté les signalements des usagers. Plusieurs internautes ont témoigné de l'absence des réseaux dans la nuit de samedi à dimanche, puis tôt dans la matinée. Comme cette activiste Mylène Flicka, fondatrice du média IrawoTalents, qui interroge « en coupant Internet et les réseaux sociaux, le président Talon vient de créer un dangereux précédent qui pourra être utilisé les prochaines fois. Cette fois, ce sont les élections législatives, qu'est-ce qui adviendra pour la présidentielle ? » Les recherches de l'organisation de surveillance numérique NetBlocks montrent que Spacetel le principal fournisseur Internet du pays a tout simplement coupé les accès. Les réseaux privés virtuels, notamment Tunnelbear, Hola et PureVPN, généralement utilisés pour contourner la censure en ligne, étaient également inaccessibles dans le pays.
Dans tous les cas, des chiffres circulent déjà sur les pertes économiques de cette seule journée sans Internet. Netblocks un observatoire international de l'Internet qui fournit des outils de gestion pour mesurer l'impact des coupures a estimé la note de l'ancien Dahomey à 1 548 043 dollars.
Une forte abstention et...
Les Béninois, mécontentent de la situation dans leur grande majorité, ne sont pas descendus dans les rues pour manifester, mais ont signifié leur désaccord en boudant les urnes en masse. Les rues étaient quasiment vides à travers le pays et notamment à Cotonou, la capitale économique, où les commerces et marchés sont restés fermés toute la journée par crainte d'échauffourées. Dans les bureaux de vote, les électeurs ont défilé « au compte-gouttes », expliquait à la mi-journée Kpleli Glele Marius, président d'un bureau de vote de Seme-Podji, région de l'opposant en exil Sébastien Ajavon cité par l'Agence France Presse.
Et l'agence française de rapporter que « dans la dizaine de bureaux de vote visités par à Seme-Podji, aucun n'a dépassé les 35 votants sur plus de 400 inscrits ». Les représentants de la Commission électorale (Cena) ainsi que les observateurs des partis étaient atterrés et fatigués par des heures d'attente. « On n'a jamais vu ça », confiait l'un d'eux au moment du dépouillement. « La population n'est pas sortie. »
L'Agence Bénin Presse fait état de retards dans le démarrage des opérations de vote, comme à Lokossa, « les opérations de vote pour les élections législatives d'avril 2018 ont effectivement démarré ce dimanche sans incident majeur à Lokossa, dans la 18e circonscription électorale, mais avec quelques minutes de retard dans certains postes de vote, où tout le dispositif n'est pas encore mis en place pour permettre aux citoyens d'accomplir leur devoir civique », a constaté l'ABP.
L'AFP constate une faible affluence du fait aussi de l'absence des partisans du président Talon dans les bureaux de vote. « Je ne suis pas un opposant farouche. À vrai dire, je supporte le président Talon », explique à l'AFP Wilfrid Pokini. « Mais je ne soutiens pas cette élection. Une élection sans opposition, c'est quoi ça ? » s'interroge ce commerçant de Porto Novo. « Ça va trop loin. »
... plusieurs incidents
Pour ce qui est des violences, sur le site d'information en ligne Bénin Web TV, on apprend que des incidents ont eu lieu dans la région du Septentrion. « Malgré les mises en garde de la police républicaine et les sensibilisations sur les sanctions prévues par le Code électoral en cas d'infraction à la loi, certains électeurs continuent de manifester leur colère. C'est par exemple le cas des populations de l'arrondissement de Tourou où les populations se sont soulevées pour manifester leur mécontentement. Des bulletins de vote déchirés, des équipements électoraux arrachés des mains de certains agents électoraux sont quelques-uns des actes notés dans cet arrondissement », relate le média.
Le Bénin a un tournant ?
Le Parlement a approuvé fin 2018 la mise en place d'un nouveau Code électoral pour simplifier le paysage politique et empêcher la prolifération des partis (plus de 250 dans un pays de 12 millions d'habitants). Toutefois, même les principaux mouvements de l'opposition ne sont pas parvenus à remplir les conditions imposées par la Cena et n'ont pu présenter leur liste pour l'élection des 83 députés. Cinq millions de Béninois étaient inscrits sur les listes électorales et ont eu jusqu'à 16 heures (15 heures GMT) pour choisir entre le Bloc républicain et l'Union progressiste, deux mouvements proches du président Patrice Talon.
Beaucoup accusent le président Patrice Talon, élu en avril 2016, d'être à l'origine de cette situation. « Il se prend pour plus grand que Dieu lui-même », pestait chef Ekpé, à la sortie d'un bureau de vote de Sene-Podji. La société civile béninoise ainsi que des représentants internationaux n'ont pas souhaité déployer d'observateurs en signe de mécontentement. Il y a pratiquement trente ans, le Bénin mettait fin au régime marxiste-léniniste du général Mathieu Kérékou et ouvrait la voie des conférences nationales qui firent de la démocratie la pierre angulaire de la vie publique.