SIBETH NDIAYE, PAS DEAD, LA MEUF
La conseillère médias de Macron devient porte-parole du gouvernement et révèle une drôlerie décontractée qui fait pièce à sa réputation de dureté

Chère Sibeth Ndiaye,
On ne s’était jamais rencontrés. Alors, tandis que le photographe dressait son estrade, on est restés là, debout, à regarder par les grandes fenêtres qui donnent sur le jardin. Je me suis étonné des deux poules qui picoraient la pelouse d’un palais que vous trouvez bien silencieux. J’ai compris que les volatiles emplumés avaient débarqué à l’époque Castaner, premier porte-parole du gouvernement Philippe, auquel Griveaux a succédé, le temps qu’un engin de chantier percute la grille d’entrée, et avant que votre tour ne vienne. De fil en aiguille, et parce qu’en civil, vous avez la parole labile et le coq-à-l’âne ductile, l’humour guilleret et le rire claironnant, on en est vite venus à évoquer Nemo, le corniaud du Président, qui se met à l’affût dans la mare de l’Elysée pour y guetter les derniers canards. A l’évocation de cette grande maison où vous étiez conseillère médias, j’ai senti passer comme un friselis de mélancolie sur l’étendue de votre énergie, comme il arrive quand on vire de bord et qu’on se demande si l’on n’a pas lâché la proie pour l’ombre.
Vous étiez la verrouilleuse, vous voilà chargée des opérations portes ouvertes. Vous deviez rationner et compartimenter la parole du maître, vous voilà tenue de l’enluminer et de la magnifier. Vous deviez repousser des hordes de solliciteurs, vous voilà intronisée voix autorisée. Disons que la mutation qui vous attend est aussi difficile que de s’improviser communicant après avoir été journaliste.
Liquidons les affaires courantes. 1) Le chewing-gum ? Vous en mâchez allégrement. Je vous ai même vue le cracher et le cacher dans la poubelle de votre nouveau bureau, mais vous avez compris qu’il vaut mieux s’en dispenser à l’Assemblée, quand on siège au banc du gouvernement. 2) Vous n’avez pas envoyé par SMS «yes, la meuf est dead !» en parlant de Simone Veil. Enfin, pas tout à fait… Mais vous auriez pu et cela n’aurait rien enlevé à votre sincère admiration pour la dame. 3) Fan des super-héros de chez Marvel comme de Rihanna, vous dansez sur les tubes des années 80 et vous avez la jactance décontractée, l’expression imagée et la modernité anglicisée. Alors oui, vous allez faire le «job», comme vous dites. Mais la question est de savoir si vous serez une messagère qui se contentera d’ânonner ou une diva du storytelling qui saura dessiner un horizon, mettre en perspective, articuler l’éparpillé.
Vous êtes une «marcheuse» des origines. Militante à l’Unef, bossant pour Bartolone, puis pour Montebourg, vous n’étiez pas génétiquement programmée pour le «en même temps». La fonction, le hasard et les affinités électives ont fait le reste. Dans le premier entretien qu’il vous a fallu relire, Macron s’en prenait aux 35 heures de votre amie Aubry. Beau contre-pied initial. Dans le Point, la journaliste écrivaine Gaël Tchakaloff vous décrit «confidente, gendarmette, régisseuse, habilleuse, maquilleuse du candidat», puis «doberman et duègne du Président», mais toujours «caporal obtus, écran revêche entre Emmanuel et le reste du monde» (1). Et elle note que votre «langue ne prend pas de gants» et que ces refus frontaux vous valent «l’unanimité de la détestation des médias».
Le souvenir de cette époque «mégère», comme vous dites, n’a pas l’air de vous déplaire. L’on entrevoit une première piste quand vous vous définissez comme un parent «très autoritaire» pour vos trois enfants. Et une seconde hypothèse quand vous racontez comment les trotskistes de l’OCI, qui tenaient alors l’Unef, vous ont appris «la dureté» nécessaire et le courage physique «quand on mesure 1,57 m»pour «tenir les "coords" [les coordinations étudiantes, ndlr] à Rennes-II, face aux gauchos». Car n’oublions jamais que les lambertos de l’OCI détestent les gauchos…
Au début, Macron vous traitait de «gauchiste». Aujourd’hui, c’est vous qui réservez ce qualificatif à votre mari. Il est directeur d’un office HLM dans le 93 et, dans l’appartement du IXe parisien où vous résidez après avoir vécu à Saint-Denis, «les débats sur les APL ou la loi Elan sont devenus d’énormes tabous». Comme vos copains, vous auriez dû voter Hamon ou Mélenchon en 2017. D’autant que vous n’avez pas le profil accommodant des transfuges qui n’attendaient que le prétexte Macron pour glisser à droite et retrouver leur paradis perdu. Vous me faites valoir que vous croyez au «socialisme du réel», que DSK, que vous avez aidé, était très social-libéral. Vous ajoutez «qu’il faut de la discipline et du travail pour que ça marche», et que le revenu universel vous a toujours semblé suspect.
Vos enfants se pensent «caramel», parce que votre mari est «vanille» et vous «chocolat» (2). Ils portent des prénoms africains et un patronyme français du Sud-Ouest, et cela vous ravit. Vous ne vous êtes aperçue que vous étiez noire qu’à votre arrivée à Paris. Votre père, qui luttait alors contre un cancer, tenait à ce que vous veniez étudier en France, comme il l’avait fait. Dans les années 60, vos parents militaient pour les indépendances africaines et se sont rencontrés à la cité universitaire d’Antony. Lui était fils de tirailleur sénégalais et pupille de la nation. Elle se nommait Mireille Bronner, mi-allemande mi-togolaise. Il a fait de la politique et des affaires, devenant PDG de Canal + Afrique. Elle était juriste de haut vol, présidente du Conseil constitutionnel du Sénégal. Il était musulman, elle était catholique, «assez tradi», mais vous faisait réciter Rimbaud et chanter Brassens. Vous êtes «athée» depuis que le décès de votre père vous a appris que le ciel était vide. Mais vous rêvez du «rapport apaisé à la religion» du pays fantasmé de votre enfance. Il vous a d’ailleurs fallu attendre la mort de votre mère pour demander la nationalité française. Vos trois sœurs sont bien plus âgées que vous. Elles sont pharmacienne, banquière et conseillère à l’ONU. C’est elles que vous avez appelées quand il s’est agi de sortir de l’ombre.
On parle des tenues de Macron, de ses chaussettes qui se voyaient quand il se tenait debout, «fashion no-no» auquel il a fallu mettre bon ordre. Vous aimez coudre, en manuelle à qui il plaît de démonter les machines pour voir ce qu’elles ont dans le ventre. Le jour de notre rencontre, vous portez une robe noir et jaune qui vient de chez «Héroïnes», «oui, avec un "s"». Elle va bien à une silhouette que vous qualifiez, avec allégresse, de «rondouillette». Et, tout en vous tâtant les bourrelets, vous ajoutez : «Ça convient à celles qui ont du bidou.» Du bidon ? Non, non, «du bidou» !
Chère Sibeth, ce mot assez chou vaudra une perpétuelle indulgence à la terrible macronista que vous demeurez avant tout.
(1) Le Point du 2 août 2018.
(2) Le Parisien du 7 avril.
1979 Naissance à Dakar.
1986 Arrive en France.
2002 Prend sa carte au Parti socialiste.
Mai 2017 Conseillère presse à l’Elysée.
Mars 2019 Porte-parole du gouvernement Edouard Philippe.