«A L’AUNE DU ‘VIVRE EN PRESENCE DU VIRUS, LE COUVRE-FEU GARDE PEU DE PERTINENCE»
« Confiner Dakar et Touba serait une grave erreur politique », selon Dr Cheick Atab Badji à propos des nouvelles orientations gouvernementales pour stopper le virus

A la suite des nouvelles mesures d’assouplissement prises hier par les autorités, « Le Témoin » s’est entretenu avec l’analyste politique* Dr Cheick Atab Badji sur les nouvelles orientations gouvernementales pour stopper le virus. Il apporte des éclairages sur la pertinence ou non du couvre-feu dans le contexte de soulèvements, l’importance de laisser les enseignants rejoindre les classes et aussi les stratégies, caduques selon lui, qu’utiliserait toujours le ministère de la Santé et de l’Action sociale pour communiquer. Entretien.
Le Témoin - Dr, quelle est la pertinence d’un couvre-feu nocturne aujourd’hui dans le contexte actuel (de crise sanitaire) marqué avec le début de soulèvements des populations ?
Dr Cheikh Atab Badji : En termes d’action politique, il est toujours important d’analyser l’action publique sous trois niveaux : la pertinence, l’opportunité et l’efficacité. Autrement dit, la bonne décision à la bonne heure pour le bon résultat. Nous préférons aborder la question sous ces angles. Du point de vue pertinence dans l’absolu, le couvre-feu peut avoir une certaine plus-value dans la lutte contre une épidémie car, en matière de contamination, l’élimination d’une quelconque occasion de contact prolongé ou de source n’est jamais de trop. Or, un seul contact peut avoir des conséquences plus ravageuses que plusieurs autres. L’apport du couvre-feu dans la rupture des chaines de contaminations n’est certes pas nul. En effet, on semble oublier la qualité des contacts et des rencontres qui se font entre vingt heures et zéro heure, d’une part, et au-delà à travers les différents spectacles nocturnes où parler de distanciation sociale, une des mesures barrières phares, relève tout simplement de l’illusion. Mais cela dit, la pertinence est contextodépendante. Or le contexte actuel s’inscrit dans une philosophie politique qui revendique de « vivre en présence du virus ». sous ce registre, le couvre-feu garde peu de pertinence. Ce d’autant moins qu’au-delà de 23 heures, l’essentiel des contacts à risque que constituent les spectacles est proscrit par l’état urgence toujours en vigueur. Ce qui lui ôte déjà, au couvre-feu, le peu de pertinence qu’il avait d’autant plus qu’il va continuer à mobiliser beaucoup d’énergie à travers les ressources humaines et matérielles mobilisées dans les différentes opérations nocturnes. Du point de vue opportunité, il s’agit non pas de parler de l’opportunité du couvre-feu mais plutôt de l’opportunité de son maintien. si son instauration était déjà presque une attente sociale pour ne pas dire une demande, force est de préciser que son maintien à ce jour ne semble pas avoir la même aubaine. Pire, les dernières manifestations donnent l’impression de passer d’un couvre-feu à un « couve-feu ». Ce feu qui couve doit être pris très au sérieux et peut s’expliquer par l’usure, aussi par le contexte climatique actuel marqué par la chaleur, notre type d’habitat pas toujours propice au confinement nocturne intra domiciliaire parfois difficile du fait de la densité humaine domiciliaire et aussi par la réalité épidémiologique qui est loin d’être celle qui était prévue. A ce propos, il est important de préciser que l’ampleur d’une pathologie ne se mesure pas forcément par le nombre absolu de cas mais surtout par la prévalence, entre autres, c’est-à-dire le nombre rapporté à la population donnée. En définitive, de mon point de vue, l’enjeu politique majeur, ce n’est pas de faire sortir immédiatement la maladie covid du pays mais de sortir immédiatement le pays de l’épidémie covid. Pour ce faire, le focus doit être mis sur la responsabilisation individuelle et les enjeux collectifs. Lesquels sont surtout économico-sanitaires et non pas forcément médicaux.
Dakar et Touba demeurent les zones les plus touchées par la pandémie. Pour barrer la route à la propagation, l’idéal ne serait-il pas un confinement total de ces deux villes ?
Un confinement total pour ces deux villes et un confinement total dans ces deux villes me paraissent deux choses différentes. Dans tous les cas, je ne suis pas un adepte du confinement total. Il est illusoire d’en faire un recours pour barrer la route à la propagation du virus. Dans l’état actuel de la lutte contre la pandémie que l’on dit être à sa phase communautaire, confiner ces deux villes serait une grave erreur politique. La plus grosse difficulté de la lutte à cette phase actuelle précisément, c’est la stigmatisation. Or, cette stigmatisation géographique est extrêmement désastreuse. Elle cible à la fois la zone et les communautés de la zone et peut être à l’origine d’une fracture sociale sans précèdent et aux conséquences incalculables. Encore une fois, le vrai problème, ce n’est pas l’ampleur, mais c’est plus la gravité qui, en santé publique, se mesure en termes de mortalité et de morbidité, entre autres.
Quelles sont les limites d’un confinement total ? Quelle stratégie proposez-vous à la place ?
Si confinement total veut dire confinement domiciliaire permanent tel qu’il été appliqué un peu partout dans le monde, ses limites dans notre contexte me paraissent toutes simplement évidentes. Je n’insisterai même pas sur les désastres économiques. Evalué ailleurs où il s’est juste imposé sous la seule contrainte de la saturation du dispositif et l’absence de contrôle de la tournure épidémiologique, le résultat n’est pas plus reluisant même si on nous force à croire le contraire. Le salut collectif passe nécessairement par un changement de comportement individuel. Pour moi, c’est là le combat. C’est le bon port obligatoire des masques et la définition des mesures barrières spécifiques à côté des mesures standards. Tout le monde doit être considéré comme porteur sain positif jusqu’à preuve du contraire, que l’on soit dans une zone désignée à prévalence élevée ou faible. Nous devons éviter le piège de ce bataillon de porteurs asymptomatiques non dépistés qui pourraient bien faire mal là et quand on s’y attend le moins. Mon point de vue personnel, c’est qu’un confinement total a une situation précise où il peut être utile et beaucoup d’autres situations où il ne peut faire que du mal. Surtout, répétons-le, s’il y a un facteur qui s’appelle porteur sain asymptomatique et contagieux. Par ailleurs, il reste un facteur générateur de stigmatisation à l’étape actuelle de la lutte et nous en vivons les effets délétères. Sans parler des effets de la sédentarisation, facteur de risque.
Selon vous, quelle est la meilleure stratégie à mettre en place pour s’adapter à la nouvelle décision du président Macky Sall ?
Dès lors que la nouvelle orientation va dans le sens d’ « apprendre à vivre en présence du virus», de mon point de vue, notre nouvelle stratégie doit être à l’image du virus. Ce virus est intelligent donc nous devons nécessairement développer une nouvelle intelligence collective pour ne pas dire communautaire. Nous devons rompre avec les solutions mécaniques et classiques. Personnellement, le constat que j’ai fait c’est que la Covid 19 est une donne nouvelle face à laquelle des réponses classiques sont en train d’être proposées. Ces réponses classiques sont grossièrement les mêmes que dans les problèmes de santé publique jusqu’ici connus (lutte contre la mortalité maternelle, paludisme, hiv, MGF…) avec une politique de ciblage s’orientant vers une conception plutôt sociale et géographique des communautés, moins professionnelle. Or, la dimension professionnelle doit en être la base conceptuelle. Ainsi la communauté commence, ici comme ailleurs, à la porte du bureau du président, englobe le personnel de la présidence, la communauté universitaire dans sa diversité structurelle et dans son commerce, la communauté scolaire, les transporteurs, les communautés géographiques lointaines....
Les acteurs communautaires ne sont plus les relais classiques (dont la méthode est antinomique à la philosophie covid qui ne s’accommode pas des visites à domicile et autres regroupements physiques) mais non moins autres que le Président lui-même vis à vis de son staff et comme vecteur puissant de message, les ministres, DG, chefs de service et d’entreprise dans leur communautés professionnelles, les personnels d’antenne et de clavier des média de par leur puissant pouvoir de s’inviter à l’intérieur des foyers, le professeur d’université, de lycée, l’instituteur dans leur rapport avec la communauté des apprenants qui vont être à leur tour des relais puissants par rapport à la cellule de base de la communauté qu’est la famille indépendamment de l’intrusion de tiers. …. bref, cette multi-diversité (pour ne pas parler de diversité dans la diversité) fait qu’en approche Promotion de la santé, on est en Intervention dite Complexe. Le salut collectif ne peut être que le fruit de l’empowment, stade ultime de l’engagement communautaire. Reste le problème de l’identification DU problème et du diagnostic communautaire. Pas des problèmes mais du problème, car, après la caractérisation de la méthode et des acteurs, c’est là que tout va se jouer!
Est-il réaliste, face à la propagation du virus, de rouvrir les écoles surtout avec la persistance des cas communautaires ?
Il est important de préciser que la première phase de l’épidémie était dominée par la question de l’inconnu. Il ne fallait pas engager les communautés dans l’inconnu et c’est qui justifiait les mesures politiques conservatoires, entre autre la fermeture des écoles et la mise en avant des cliniciens un peu partout dans le monde. Ce le temps d’avoir le visage épidémiologique de «l’assaillant» ; question aujourd’hui plus ou moins dépassée. Maintenant, il se pose le concours des communautés à travers de nouveaux acteurs. Communautés non pas dans son approche classique mais dans sa dimension la plus complète notamment sociale et professionnelle (pour ne pas dire au sens OMs du terme). Mon avis personnel, c’est que la bataille communautaire ne peut pas se gagner sans les enseignants. Ils restent les véritables soldats de cette phase communautaire car une lutte intelligente se gagne avec l’arme du savoir et en tant que relais dans la transmission du savoir ayant comme cible privilégiée les apprenants. L’intervention des enseignants va impacter directement dans les foyers à travers les enfants, les élèves qui sont ainsi être les porteurs de messages auprès de leurs parents et grands-parents. Mais pour ce faire, ils ont besoin d’être pourvus de tout l’arsenal matériel et moral nécessaire pour la réalisation de cette mission. Personnellement, je ne suis pas dans la logique des cas communautaires. Je suis dans une logique que tout sujet est un cas potentiel. A propos des cas communautaires, ceux qui ne savent pas celui qui les a contaminés, doivent savoir que c’est…la communauté. Le vrai cas communautaire, c’est la communauté. Et c’est même malheureux de constater que la communauté, au regard des derniers délires notamment vis à vis des décès communautaires de Covid, est tout simplement devenue un « cas grave ».
Entretien réalisé par Samba DIAMANKA
* Il est lauréat en Promotion de la Santé/Health Promotion, MBA en Science Politique, Géostratégie et Relations Internationales/ Political Science, Geostrategy and International Relationship, Analyste de politique, offre politique, biopolitique et Géostratégie de la santé mondiale/ Policy, biopolitic and Global Health Geostrategy analyst…