«NOUS AVONS VOULU EVITER LE SCENARIO A LA RWANDAISE»
Selon le ministre de la Sécurité et de la Protection civile de la Guinée, Damantang Albert Camara, il fallait assurer leur sécurité afin d’éviter un scénario à la rwandaise.

La mise en résidence surveillée des leaders de l’opposition et principalement de Mamadou Cellou Dalein Diallo n’était pas forfuite. Selon le ministre de la Sécurité et de la Protection civile de la Guinée, Damantang Albert Camara, il fallait assurer leur sécurité afin d’éviter un scénario à la rwandaise.
Monsieur le ministre, pourquoi avoir mis le principal opposant, Cellou Dalein Diallo, qui a déclaré avoir remporté le scrutin avant la publication des résultats par la CENI, en résidence surveillée ?
Si vous étiez là le 18 octobre jusqu’au moment où on le confinait chez lui, vous alliez comprendre. Je pense qu’ils (opposants, Ndlr) nous ont même reproché de ne l’avoir pas fait plus tôt. La violence était telle, en Guinée, qu’on a voulu à tout prix éviter un scénario à la rwandaise. Vous avez aujourd’hui une catégorie de personnes qui n’ont aucun intérêt à ce que l’Etat fonctionne normalement, qui souhaitent à tout prix qu’on rentre dans une nouvelle transition. Vous avez des gens qui étaient habitués à fonctionner dans un cadre plus ou moins chaotique et qui ne peuvent pas s’accommoder des règles normales de la démocratie. Donc, l’hypothèse d’un scénario à la rwandaise n’est absolument pas à exclure. Des gens qui seraient prêts à sacrifier une ou deux grandes personnalités soit du pouvoir, soit de l’opposition, pour que les communautés s’affrontent entre elles, on n’allait pas prendre ce risque-là. Donc, quand vous avez toutes les menaces extérieures qui pesaient sur la Guinée, on a estimé qu’un certain nombre de personnalités politiques bien identifiées, devraient être mises en sécurité pour éviter tout risque. C’est ce qui a valu à Cellou (Dalein Diallo) d’être mis en résidence surveillée . Et deux jours après que l’accalmie est revenue, nous avons décidé de lever le dispositif.
Donc, il n’était pas le seul à être dans cette situation ?
Non ! Il n’était pas le seul, sauf que Cellou était médiatique. Il en a parlé. Moi même, par exemple pendant cette période-là, ma garde a été triplée.
Donc, c’était aussi bien valable pour l’opposition que le camp au pouvoir ?
Sauf que nous, étant aux affaires, on ne pouvait pas se contenter de rester à la maison. J’habite juste à côté d’ ici (l’interview a été réalisée dans son bureau, Ndlr) mais on a préféré faire attention à certaines personnalités par rapport à un certain nombre de menaces que je ne peux pas évoquer forcément ici mais qu’il fallait prendre au sérieux.
Nous avons aussi constaté que le réseau social Facebook a été bloqué. Peut-on en connaître les raisons ?
Parce que ces jours-ci, on a eu à faire à une surenchère violente de fakenews qui ne permettait pas d’assurer la sérénité nécessaire à l’aboutissement de ce processus-là. On a eu des choses extrêmement graves et des procédures judiciaires sont en cours. Mais, je pense qu’on ne pouvait pas prendre le risque de laisser ça continuer.
M. le ministre, des manifestations en Guinée sont souvent suivies de mort d’hommes. Les manifestants accusent les forces de l’ordre qui réfutent les accusations. D’où proviennent alors ces tirs ?
C’est un véritable défi qui est posé à notre Etat, à notre démocratie. Effectivement, la première chose qu’il faut retenir, c’est que depuis 2010, on doit être aujourd’hui à plus de 600 manifestations, la plupart autorisées, de rares fois refusées pour les questions, par exemple d’itinéraire choisi ou de timing. Même pendant l’épidémie Ebola, l’opposition a manifesté. On a pourtant tenté de les en dissuader, mais, ils n’ont rien voulu entendre. Ce qu’il faut savoir c’est que sur le parcours des manifestations qui est défini, même lorsque la manifestation est terminée, même lorsqu’elle est violente et qu’il y’a des échauffourées, il n’y a jamais eu de morts. Il y a des blessés parfois très graves des deux côtés. En face, on a des gens armés de lancepierre, de pierres et une heure de temps après, on entend qu’à cinq, dix kilomètres à l’intérieur des quartiers qu’il y a une jeune fille qui a reçu une balle en pleine tête ; un garçon qui revenait de révision qui a reçu une balle en pleine tête dans des conditions qu’on n’a jamais eu à élucider. A qui profitent donc ces morts ? Des gens qui ne représentent aucune menace pour un Etat, qui ne sont ni leaders d’opinion, ni syndicalistes, ni chefs de parti, qui ne sont même pas des bandits, qui ne sont même pas dépouillés, qu’on retrouve morts, avec des balles en pleine tête, en plein quartier comme par hasard le jour où il y a des manifestations. Nous, l’Etat, sommes en permanence en train d’essayer de nous défendre, d’expliquer aux gens que ça ne peut pas venir de nous parce que les consignes sont claires. Qu’il y ait l’hypothèse de bavure, je ne l’exclus pas. Ça existe dans tous les pays. J’ai vu dernièrement en France avec les gilets jaunes. Aux EtatsUnis, n’en parlons pas. Ça peut arriver, les bavures et que certains gendarmes, policiers se livrent à des exactions, encore faudrait-il savoir dans quelles conditions mais dire que l’Etat donne des consignes et qu’il y a une répression organisée pour viser des manifestants, c’est archifaux ! Par contre, il est évident qu’il y a un certain nombre de personnes qui ont intérêt à ce qu’il y’ait des violences. Elles se déroulent dans des conditions telles qu’il est très difficile de mener des enquêtes et d’aboutir à la vérité parce que tout simplement, systématiquement, les corps sont déplacés dans des conditions qui prêtent à questions. La Croix Rouge n’a pas le droit de toucher un cadavre. C’est clair. C’est dans ses règlements. Elle le sait et systématiquement nous déposons des corps dans les hôpitaux sans avoir la présence d’un officier de police judiciaire et sans qu’il y ait possibilité de remonter aux éléments qui ont entrainé la mort de ces personneslà. Ni de mettre en place une procédure pour que tout corps qui est déposé dans une morgue officielle fasse l’objet d’une déclaration en bonne et due forme avec les témoins et ainsi de suite pour pouvoir remonter à la vérité, à faire des enquêtes. Ça a permis de diminuer un peu les morts qu’on avait dans les manifestations parce que ce n’est plus aussi facile pour n’importe qui de venir jeter un cadavre dans une morgue et s’en laver les mains. Nous avons aussi plusieurs éléments qui indiquent qu’il y a d’autres personnes qui tirent pendant les manifestations. Les dernières autopsies qui ont été faites, il y a des cadavres qui arrivent et la balle ne se trouve plus dans le corps comme par hasard. Sur les balles qu’on a trouvées par exemple, il y en avait deux qui avaient été tirées de fusils de guerre. Mais l’une des balles avait été introduite dans le corps à l’aide d’une pince et les deux autres, c’était des balles de fusils artisanaux. Voilà un peu la nébuleuse qui entoure les questions de morts pendant les manifestations. Mais l’exploitation politique qui en est faite est telle qu’il est difficile d’aboutir à la vérité. Il n’y a pas suffisamment de sérénité autour de ces questions-là. On vient de découvrir que de plus en plus, c’était des tirs de fusil à calibre 12 mais également à la K47. Ce qui a fait dire aux communicants de l’opposition que la Police avait changé de méthode. Le pire des choses pour un Etat, c’est de ne pas pouvoir identifier des morts violentes. Mais dire qu’il y a des Forces de l’ordre qui, systématiquement, abattent des citoyens, c’est archi faux. Maintenant, notre devoir, c’est de trouver qui le fait et de ce côté-là, je suis obligé de reconnaitre, que nous n’avons pas réussi à le faire jusqu’à présent. En France par exemple, 23% des affaires criminelles ne sont jamais résolues. Les Etats-Unis, c’est 40%. Pourtant ils ont une police scientifique. Que faire dans un pays où nous n’avons pas de police scientifique, pas la possibilité de remonter à la scène de crime, pas de témoins. C’est quand même extraordinaire.
Quid des affrontements inter-ethniques qui ne datent pas d’aujourd’hui. Certes ! Mais ils semblent prendre de l’ampleur ?
Les affrontements intercommunautaires ne datent d’aujourd’hui. Ils ont été cristallisés depuis de nombreuses années et effectivement, à chaque échéance électorale, sans doute attisés par un certain nombre de discours irresponsables, ils renaissent. Ça également, c’est un gros défi. Mais, la satisfaction qu’on a, c’est que ce genre de drame est en train de se régler directement par les populations elles-mêmes. C’est dommage de le dire mais c’est peut-être l’équilibre de la violence et de la terreur qui fait que chacun a compris que ce n’était pas la peine de continuer dans cette voie. Les sages des différentes communautés dans les quartiers où cela se passait ont décidé de se rencontrer et de se dire : «arrêtons ces bêtises-là. On n’a rien à gagner à s’affronter entre nous» ; et dans certaines localités, ça marche. Les choses se sont apaisées.
Des archives photos ou vidéos montrent aussi qu’il y a beaucoup d’armes qui circulent dans votre pays.
C’est un problème récurrent et constant en Guinée qui existe depuis les guerres du Sierra Léone et du Libéria. Aujourd’hui, avec le contexte sous-régional, notamment avec ce qui se passe au Mali, il y a eu un véritable problème de circulation d’armes et pas seulement des armes légères. Donc, on sait que les gens en disposent un peu partout et ça aussi, c’est un élément qui favorise ce climat de peur et de violence.
L’Etat guinéen a prévu de durcir ses interventions dans certains quartiers. Comment comptez-vous vous y prendre alors que la police n’arrive pas à accéder à certains quartiers ?
Nous faisons avec les moyens du bord et en fonction du terrain. Il y a des moments où on est obligés d’aller à pied parce que certains ne sont pas lotis. C’est une des parties de la problématique. Vous avez toute cette zone qui n’a jamais été lotie et qui a été peuplée, plus ou moins «sauvagement». Ce qui crée des climats de tensions ; qui fait qu’à l’intérieur d’une même ville, d’une même capitale, vous avez des zones de replis identitaires. Les gens confondent la zone à leur village d’origine. Ils recréent les mêmes conditions de la campagne en ville. Vous avez des gens qui sont dans ces quartiers qui ne sont jamais arrivés à Kaloum. Ils vivent dans ces quartiers comme ils vivent dans leurs villages d’origine. Et donc, ça crée en plus cette crispation identitaire qui fait que tant qu’on n’aura pas aménagé ces endroits pour qu’on soit dans une zone urbaine avec une école, un hôpital et un commissariat par exemple, ce sera plus ou moins difficile d’accès. C’est un autre défi également. Tous ces quartiers sont des quartiers contestataires. Vous avez une majorité de gens qui se défendent mais qui sont pris en otage par un climat de terreur, de violence, de suspicion par des bandes de jeunes qui, en dehors de toute autorité, sèment la terreur dans ces quartiers. Donc, nettoyer ces quartiers, c’est rendre service à ceux qui y habitent. Tous les deux côtés de ces quartiers-là, c’est de l’UFDG (parti de Cellou Dalein Diallo, Ndlr). Je ne révèle rien. A l’époque, le sigle, c’était le RPG. Les partis s’identifiant pour la plupart du temps à des zones géographiques, à des régions. Les quartiers de Conakry également qui reçoivent les ressortissants de ces régions-là, s’identifient la plupart du temps à ces partis politiques. C’est malheureux, mais c’est comme ça.
Pourquoi, on constate que c’est plus la société civile ou les citoyens qui s’organisent pour ramener la paix sociale dans les quartiers. Est-ce qu’il ne faudrait pas penser à mettre un département ministériel ?
On a fait le département des Droits de l’Homme et de la Citoyenneté. Tous nos discours appellent au calme. Le secrétariat aux Affaires religieuses travaille avec les imams et les prêtres. Le piège avec l’Etat qui organise, c’est que l’Etat étant considéé comme partie prenante, il peut y avoir une suspicion. On essaie de favoriser toutes ces organisations-là pour essayer de travailler sur le terrain afin de ramener la paix. Mais, je crois que le premier vecteur de paix, c’est d’abord le discours. Là où je m’interroge sur l’approche qui est faite, pas forcément par les médias mais également pour les organisations de défense des droits de l’homme, de société civile, c’est de comprendre que c’est l’Etat seul qui a la responsabilité de maintenir la paix et le respect des droits de l’homme. En faisant cette approche, on passe à côté de la question parce que les acteurs de la société civile, ceux qui sont sur le terrain ont un véritable pouvoir. L’Etat peut dire ce qu’il veut. Ça ne reste que l’Etat. Mais quand vous avez des leaders qui vont droit au chapitre, qui sont suivis par des militants et qui disent : «on vous a volé votre victoire, restez dans la rue jusqu’à ce qu’on vous rende vos voix », quel que soit ce que l’Etat dit derrière, ça ne marche pas. Malgré tout ce qui s’est passé, je n’ai pas par exemple entendu le leader de l’UFDG appelé au calme. C’est bien que l’Etat fasse ce qu’il a à faire mais penser que l’Etat seul peut y arriver, c’est faux. C’est pour cela qu’on salue les organisations de la société civile, on les encourage. On les aide de manière discrète la plupart du temps. On a mis en place une commission présidée par Monseigneur Coulibaly pour engager un dialogue au niveau national. Il y a beaucoup de choses qui sont faites sans compter ceux dont on s’abstient de révéler. Vous savez quand vous avez sous les yeux un jeune agent qui sort de l’école de police qui se fait massacrer, arracher les yeux et que vous faites l’effort de ne pas montrer les images pour ne pas susciter la colère des citoyens pendant que toute la communauté internationale nous tombe dessus en disant que c’est nous qui tuons les gens. Ça, les gens n’en parlent pas. Quand vous évitez d’évoquer un certain nombre d’exactions, pour éviter que les autres familles se fassent justice elles-mêmes, que vous cachez volontairement les images de ces policiers qui sont crucifiés, tout çà c’est un effort de l’Etat mais on ne le voit pas. Il faut vraiment un effort pour éviter que les choses s’embrasent mais si on est les seuls, quels que soient les efforts qu’on fera, ça ne marchera pas. Il faut qu’on soit deux à le faire.
Quel est le problème entre la Guinée et Amnesty International ?
J’ai l’impression qu’en Afrique quand vous êtes au pouvoir, vous êtes forcément un dictateur, quand vous êtes dans l’opposition, vous êtes un saint. C’est la donne. Amnesty International et Human Right Watch ont des organisations en Guinée, des organisations de défense des droits de l’homme qui leur envoient des rapports. Quand vous savez à quel point la société civile est politisée, quelle est la part d’objectivité de ses rapports ? Quand je dis politisé, c’est des deux côtés. Ironie du sort, c’est que vous avez des organisations internationales qui sont respectées comme étant les meilleures spécialistes des droits de l’homme qui sont totalement politisées. Il y en a un ici qui faisait partie de la commission mise en place par Dadis (Camara) pour enquêter sur les crimes du 28 septembre qui a dit ici, devant le peuple, qu’il n’ ya jamais eu de viols au stade du 28 septembre et qui, aujourd’hui, est c o n s i d é r é comme le véritable spécialiste des droits de l’homme. H u - man Right Watch l e consulte, Amnesty aussi ; pendant c e temps, les spécialistes qui sont ici, ne reçoivent jamais d’appel pour un quelconque rapport que ce soit. En revanche, un certain Aliou Barry qui s’est présenté comme un expert en sécurité, est sur tous les plateaux de France 24 alors qu’il a adhéré officiellement à l’UFDG il y a deux ans de cela. Il a fait son coming-out. Toute la Guinée le sait sauf Amnesty, Human Rights Watch, TV5 monde, France 24 et il est présenté sur les plateaux, comme consultant indépendant qui est capable d’apporter de la lumière. Or, la Guinée doit être le seul pays au monde où les Forces de l’ordre interviennent sans même une arme de réserve. Dans tous les pays du monde, le dispositif de maintien de l’ordre a une unité deux ou trois et dans le véhicule un peu plus loin, vous avez une ou deux personnes qui ont un fusil à lunette qui attendent au cas où dans la foule il y a une personne qui représente une menace sérieuse avec une bombe, une grenade, un fusil ou un couteau, pour permettre de protéger les troupes et tirer sur cette personne. Même ça, le Président Alpha Condé l’a interdit. Si on trouve ça dans les véhicules des Compagnies mobiles d’intervention, la personne va directement en prison.