«CONFIER LES EVENEMENTS DU 28 SEPTEMBRE 2009 A LA CPI SERAIT SYNONYME D’ABANDON DE NOTRE SOUVERAINETE»
Sud Quotidien est allé à la rencontre du tout nouveau Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Mory Doumbouya, qui affiche sa détermination à ce que la justice soit rendue

CONAKRY, Guinée) – 28 septembre 2009 ! Un lundi noir à Conakry où un meeting politique organisé par le Forum des forces vives de la Guinée dans le stade qui porte le même nom, tourne au drame. L’armée aurait tiré sur la foule et commis des viols publics. Le bilan est estimé à 157 morts et plus de 1000 blessés. 11 ans après, la communauté internationale attend toujours la tenue du procès. Sud Quotidien est allé à la rencontre du tout nouveau Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Mory Doumbouya, qui affiche sa détermination à ce que la justice soit rendue. Entretien.
Monsieur le ministre, à quand le procès des évènements du 28 septembre 2009 ?
Je suis Garde des Sceaux, il y a quelques mois. C’est parce que j’ai été investi dans mes actuelles fonctions le 19 juin passé. J’ai pris contact avec les juges qui sont saisis de ce dossier, notamment les juges du Tribunal territorial compétent. J’ai échangé avec les cadres du département. J’ai échangé avec les associations des victimes. J’ai eu des échanges également avec le collectif d’avocats chargé d’assurer la défense des personnes poursuivies dans le cadre de ces évènements. Je suis allé plus loin. Peut-être que ça pourrait vous paraitre saugrenu. Je suis allé à la maison d’arrêt échanger directement avec les personnes poursuivies dans le cadre de cette affaire et ça m’a permis d’avoir une impression d’ensemble. C’est parce qu’au point de vue procédural, j’ai aperçu en réalité que la procédure des instructions était achevée. J’ai compris que pratiquement, il ne restait plus rien à faire au titre de l’instruction du dossier, l’ordonnance de renvoi ayant été rendue, les voies de recours qui auraient dû être exercées, sont toutes épuisées. J’étais curieux de savoir pourquoi jusqu’à mon arrivée, ce procès n’était pas organisé et bien sûr sans avoir la prétention de remettre en cause les actes posés par mes prédécesseurs. En raison de la continuité de l’Etat, j’ai quand même décidé de marquer certaines ruptures sur beaucoup de points.
Lesquels ?
Premièrement, la construction d’un tribunal ad hoc posée comme condition préalable pour la tenue et l’organisation du procès. Puisqu’à l’image de l’Etat du Sénégal chargé d’organiser le procès du président Hissen Habré, les autorités guinéennes s’étaient inspirées des conditions d’organisation de ce procès en mettant en place un comité ad hoc chargé d’examiner et de gérer toutes les questions liées à l’organisation de ce procès. Ayant donc compris avec l’ordonnance de renvoi qui était rendu dans ce dossier qu’il ne restait plus rien à faire, j’ai pris la décision de prendre nos responsabilités et de quitter le cadre des interférences du département dans les procédures éventuelles de jugement. Et j’ai dit aux associations des victimes, au collectif d’avocats, aux représentants des Nations Unies, un expert basé à Nouakchott, Me Baal qui est avocat de profession, ancien président de la Cour Suprême, ancien Garde des Sceaux de la République de Mauritanie, que j’étais décidé à prendre mes responsabilités en allant tout droit à l’organisation de ce procès et que les partenaires de la Guinée pouvaient nous prêter main forte si c’était nécessaire en terme d’organisation, de conditions matérielles du procès et que la Cour d’Appel de Conakry sécurisée et même réaménagée pouvait nous permettre d’ouvrir ce procès-là et faire comparaitre les personnes poursuivies et déjà mettre les juges devant leur responsabilité. Parce qu’en réalité, on a trop dramatisé ces évènements et la dramatisation a donné l’impression que la justice guinéenne n’était pas en mesure de tenir ce procès. Ce qui était d’une fausse impression au point qu’à un moment donné, il y avait une terrible pression de la Cour pénale internationale qui a déclaré : «depuis 2009, vous ne faites rien et nous, si rien n’est obtenu en terme de justice, nous allons nous saisir de cette affaire». Beaucoup de missions conduites par des experts de la Cedeao ont eu lieu en territoire guinéen avec des échanges multiples sur ce dossier. Je dis qu’en raison du principe de subsidiarité (un principe selon lequel une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur, Ndlr), qui fait que la compétence de la CPI serait synonyme d’un abandon de souveraineté pour l’Etat de Guinée de ne pas pouvoir organiser et faire juger ces évènements. Et pratiquement, un mois avant la tenue de l’élection présidentielle, j’étais décidé à demander au tribunal compétent de proposer une date d’ouverture de ce procès. Mais, il faut noter qu’il n’appartient pas au ministère de la Justice, à la Chancellerie, à un Garde des Sceaux de fixer la date d’ouverture d’un procès quelconque. Cette question relève de la compétence des juges Des propositions d’ouverture de date avaient été faites et en raison quelque peu de la sensibilité de ce dossier, pour des raisons sécuritaires, nous avions estimé que l’ouverture ne pouvait pas aller dans un contexte d’élection présidentielle. Donc, voilà pratiquement là où nous en sommes. Je vous donne ma ferme assurance que dès après la proclamation des résultats définitifs de l’élection du Président de la République, nous allons reprendre les choses pour que très rapidement, nous puissions montrer à la face du monde que nous sommes déterminés à faire la lumière sur ces évènements. Parce qu’en réalité, on n’organise pas un procès pour trouver forcément des coupables. On organise un procès pour qu’à la suite d’un débat contradictoire, des responsabilités sur des faits précis soient déterminées. Des sanctions si bien sûr des responsabilités ont été situées, soient prononcées et que des réparations soient accordées.
Est-ce vous pouvez nous donner un échéancier, un deadline pour la tenue de ce procès ?
Si vous vous placez dans le contexte de la date de commission des infractions poursuivies, vous aurez l’impression que nous trainons les pas. Mais si vous tenez compte des particularités liées aux procédures judiciaires, vous comprendrez notre position. Voilà des faits au regard de la loi guinéenne constitutive de faits criminels et quand il s’agit des infractions érigées au rang des crimes, la procédure est complexe. D’abord, les enquêtes préliminaires ont dû prendre du temps mais surtout la procédure devant les cabinets d’instruction. Mais en réalité et comme je l’ai toujours dit, je crains que je ne fasse une ingérence dans la compétence des juges en vous disant voilà tel jour, ce procès se tiendra. Le rôle de l’Etat, parce que je représente le pouvoir exécutif, est de créer les conditions sécuritaires, matérielles d’organisation du procès. Mais il est de notre devoir d’interpeller le parquet du tribunal et je vous le disais que cela était déjà fait avant l’ouverture de la campagne de l’élection du Président de la République et je viens de vous dire que dès après la proclamation des résultats définitifs, cette démarche va se relancer pour que les juges nous fassent des propositions de date immédiate. J’ai eu des échanges avec des avocats qui m’ont dit : «Monsieur le ministre, si ce procès se tenait demain, vous nous verrez aux audiences avec nos moyens». J’ai reçu les avocats des associations de victimes qui m’ont tenu le même langage. J’ai dit au procureur, il ne reste plus qu’au juge de prendre les responsabilités et de prendre le taureau par les cornes.
Pourtant, on entend aussi parler de la construction d’un tribunal pour la tenue du procès. Qu’en est-il ?
Je ne lie pas forcément l’ouverture de ce procès à la construction d’un bâtiment. Je suis clair là-dessus. Nous avons la salle d’audience de la Cour d’appel de Conakry qui, sécurisée, réaménagée, peut valablement nous permettre d’organiser le procès.
Quel est le nombre de personnes qui sont poursuivies dans le cadre de cette affaire et quels sont les délits retenus contre elles ?
Pour la plupart, ce sont des cas de viol, de meurtre, des coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort. En réalité, une kyrielle d’inculpations et bien sûr des personnes poursuivies dans le cadre de cette affaire en partie ont bénéficié des ordonnances de non lieu partielles, sauf erreur de ma part à vérifier dans les documents, je crois savoir qu’à date, au moins 15 personnes sont renvoyées devant la formation du jugement.
Revenons sur la présidentielle du 18 octobre dernier. Beaucoup de vos compatriotes, établis notamment au Sénégal et dans la diaspora, ont dénoncé le fait de n’avoir pas pu s’acquitter de leur devoir civique. Qu’est-ce qui explique ce dysfonctionnement ?
Je n’appellerais pas cela dysfonctionnement encore moins inégalité. Je crois que la Commission électorale nationale indépendante était bien placée pour nous expliquer les situations de ce genre. Mais, en réalité, le principe voudrait pour une élection que tous les Guinéens soient investis, de pouvoir s’exprimer. C’est ça le principe. Mais, si pour des raisons quelconques qui ne peuvent être expliquées que par la Ceni. Il est établi que par endroit, certains compatriotes n’ont pas pu prendre part à l’élection du Président de la République. Mais, je crois qu’à l’avenir si les conditions le permettaient, il serait beaucoup préférable de faire en sorte que les circonscriptions électorales soient beaucoup plus élargies. Mais, en réalité, et à part des contraintes certainement liées au travail de la Ceni, je ne vois derrière tout cela aucune volonté de discriminer qui que ce soit. Il n’y a aucune intention préalable d’écarter qui que ce soit parce que la communauté guinéenne vivant au Sénégal est composée de toutes les ethnies de la République de Guinée, de toutes les obédiences politiques, a priori. Il est difficile de savoir si quelqu’un s’appelle au Sénégal Doumbouya ou Mamadou, de quelle formation politique ou pour quel candidat, cet électeur-là va voter. Et donc pas seulement au Sénégal et nous ne sommes pas parvenus malheureusement à permettre à tous les compatriotes en dehors du pays de s’exprimer par endroit et le vote a eu lieu mais tout le monde n’a pas pu s’exprimer. Et je crois que le fichier qui a été présenté avant l’élection du Président de la République et qui a été validé par les experts de la Cedeao, est consensuel nonobstant les réserves infondées de l’opposition. En réalité, l’élection a eu lieu dans un contexte totalement apaisé avec un taux de participation record (plus de 78 %, selon la cour constitutionnelle, Ndlr). Nous sommes dans l’attente des résultats définitifs qui vont être proclamés par la Cour Constitutionnelle dans les délais légaux (entretien réalisé avant la confirmation des résultats définitifs-ndlr), la Ceni ayant déjà annoncé les résultats provisoires qui accordent un suffrage record avec ce Président de la République qui passe au premier tour. En tout cas, selon les chiffres donnés par la Ceni.