CES LEADERS DES INDÉPENDANCES AFRICAINES ASSASSINÉS
Qu’ont en commun les morts brutales de Lumumba, d’Um Nyobè, de Moumié et de Boganda ? Pour l’historienne Karine Ramondy, la même logique de neutralisation était à l’œuvre

Fin des années 1950, aux premières heures des indépendances. Alors que l’euphorie s’empare des capitales africaines, plusieurs leaders politiques sont éliminés. Dans l’ouvrage Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961. Entre construction nationale et régulation des relations internationales (éd. L’Harmattan, 2020), l’historienne Karine Ramondy revient sur le destin tragique de quatre figures de proue des indépendances en Afrique centrale, éliminées entre 1958 et 1961.
L’éphémère Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, dissous dans la soude par des séparatistes du Katanga épaulés par des hommes de main belges. Les indépendantistes camerounais Ruben Um Nyobè – abattu d’une balle dans le dos par l’armée française, en pleine forêt équatoriale – et Félix-Roland Moumié – empoisonné au thallium à Genève, en Suisse.
Peut-être aussi le Centrafricain Barthélémy Boganda : il n’est pas exclu que le crash de l’avion dans lequel il a perdu la vie ait été un attentat. C’est d’ailleurs l’une des révélations du livre de Karine Ramondy : une analyse récente d’un document essentiel – le « rapport Bellonte » – lui a permis de relever des manquements qui exigeraient la réouverture d’une enquête.
Une entreprise concertée
La chercheuse évoque un « moment d’accélération de l’Histoire où [les ex-puissances coloniales] redoutaient de perdre leurs acquis » et pointe une certaine impunité pour ces crimes qui s’inscrivent dans un continuum de violences remontant à la colonisation.
Si elle est la première à réunir dans un même ouvrage des parcours jusqu’alors étudiés séparément, c’est, confesse-t-elle, pour démontrer qu’« il y avait des processus, des réseaux et des acteurs communs qui œuvraient ensemble, dans le même sens, quelles que soient les colonies en jeu et quelles que soient les métropoles en train d’y perdre leurs acquis. »
Une entreprise concertée, donc. États, entreprises, services secrets, organismes internationaux… Tous concourent à la descente aux enfers des « condamnés ». L’universitaire en veut pour preuve les calculs des États-Unis ou de l’Union soviétique – pourtant réputés anticolonialistes – et les manœuvres scélérates des ex-colonisateurs pour maintenir le statu quo, par exemple au sein des Nations unies, qui ont joué un rôle trouble.
Au Conseil de tutelle de l’ONU, les ex-puissances coloniales usent en effet de leur pouvoir pour neutraliser les revendications nationalistes. Ramondy fait état d’une circulaire secrète dans laquelle elles se promettent de bloquer toute tentative d’émancipation « rapide ».