L’ÉCONOMIE SÉNÉGALAISE N’EST PAS À L’ABRI DES RÉPERCUSSIONS DE LA SURTAXE DOUANIÈRE AMÉRICAINE
Des experts s’inquiètent des répercussions possibles sur les exportations, les importations et les investissements, en particulier si l’AGOA venait à être suspendue ou renégociée.

Les droits de douane additionnels fixés par Donald Trump, dans la guerre commerciale menée par les États-Unis contre la Chine notamment, peuvent avoir des répercussions sur le commerce international et affecter d’autres pays n’étant pas visés par le président américain, y compris le Sénégal, selon des experts interrogés par l’APS.
M. Trump a annoncé une hausse des droits de douane sur plusieurs produits importés par les États-Unis, dont le pétrole, le gaz et l’or.
“Pour l’économie sénégalaise, l’annonce de cette surtaxe américaine soulève des inquiétudes, car elle peut créer une menace sur les exportations sénégalaises et entraîner des effets en cascade sur l’économie du pays”, prévient Souleymane Keïta, un enseignant-chercheur de la faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar.
De l’avis de M. Keïta, cette mesure commerciale du président des États-Unis d’Amérique peut avoir un “impact direct” et devenir une “menace” sur les exportations du Sénégal, dans la mesure où le pays de Donald Trump est un partenaire commercial “important” de l’économie sénégalaise, un partenariat acté par l’AGOA, la Loi sur la croissance et les possibilités en Afrique.
Son collègue Malick Sané, professeur titulaire des universités et enseignant à la FASEG de l’UCAD, déclare que les droits de douane additionnels américains vont “forcément impacter” les prix des produits d’exportation du Sénégal et leur faire “perdre un peu de leur compétitivité”.
“Toutefois, s’il s’agit d’un droit de douane plancher, cela signifie que tous les pays seront au même niveau. Et dans ce cas, il n’y a aura pas tellement d’impact sur la compétitivité de notre économie”, analyse M. Sané.
La surtaxe américaine va entraîner une hausse des coûts des importations du Sénégal, selon Souleymane Keïta.
“Risque de ralentissement des investissements venant des États-Unis”
Certaines entreprises sénégalaises importent divers produits américains, qui vont des médicaments aux équipements technologiques, ce qui peut affecter les industries locales, signale-t-il.
En plus, “on risque d’assister à un ralentissement des investissements venant des États-Unis, et les entreprises américaines pourraient réduire les financements destinés à des projets mis en œuvre au Sénégal, si le commerce mondial se dégrade”, poursuit M. Keïta.
Malick Sané fait observer que les conséquences de la guerre commerciale ne peuvent pas être de la même ampleur pour tous les pays, d’autant plus que les produits commercialisés entre les États-Unis et le reste du monde varient d’un pays à un autre. “Ce ne sont pas les mêmes produits. À mon avis, les États-Unis ne peuvent pas prendre des mesures autant nuisibles pour nous que pour la Chine et l’Europe”, soutient M. Sané.
La guerre commerciale menée par le président américain devrait entraîner des droits de douane de 145 % pour la Chine, de 20 % pour l’Union européenne, de 24 % pour le Japon, de 25 % pour la Corée du Sud et de 26 % pour l’Inde, de 46 % pour le Vietnam et de 49 % pour le Cambodge.
Certains pays, dont le Sénégal, “ne sont pas une menace” pour les entreprises américaines, signale Malick Sané, estimant que le fait qu’ils exportent des produits non transformés rend “l’impact” de la mesure commerciale et douanière américaine “très faible” pour eux.
Souleymane Keïta semble partager cette remarque. Le “risque majeur” de la surtaxe annoncée par Donald Trump pourrait se limiter à une “perturbation” du commerce des États-Unis d’Amérique avec certains pays ou certaines régions du monde, dit-il en citant la Chine et l’Union européenne.
Mais M. Keïta évoque un scénario pire que celui-là : “Le commerce mondial peut être perturbé. Dans ce cas, les dommages seraient, pour le Sénégal, une hausse des prix des produits importés, dont le blé et les machines.”
Le professeur Malick Sané relève une incohérence de la surtaxe américaine avec l’AGOA, dont bénéficient certains pays.
Reste à savoir si l’AGOA va être maintenue ou pas
“Le Sénégal bénéficie de l’AGOA, qui lui permet d’exporter une gamme assez large de produits vers le marché américain sans payer des droits de douane. En principe, les pays éligibles à l’AGOA ne devraient pas être concernés par [la guerre commerciale menée par les États-Unis]. S’ils sont concernés, cela voudra dire que les États-Unis ont totalement remis en question l’AGOA”, analyse M. Sané.
Il rappelle que cet accord commercial renouvelé tous les cinq ans va prendre fin en septembre prochain. L’AGOA est une loi commerciale américaine visant à accroître l’accès des pays d’Afrique subsaharienne au marché des États-Unis d’Amérique.
“Si l’AGOA est maintenu, nous assisterons à un faible impact de la surtaxe douanière américaine sur les pays bénéficiaires, car ils vont continuer à bénéficier des facilités offertes par les États-Unis”, affirme Souleymane Keïta.
L’imprévisibilité du président américain pousse M. Keïta à envisager “plusieurs hypothèses”, concernant l’avenir des relations commerciales des États-Unis d’Amérique avec le reste du monde, le Sénégal inclus. Cette attitude lui fait dire que “si le Sénégal est partiellement exclu de l’AGOA, cela va entraîner un effondrement des exportations de produits textiles, la perte de milliers d’emplois [au Sénégal] et la réduction des recettes d’exportation”.
“Il reste à savoir si Donald Trump va mettre un terme à l’AGOA ou la reconduire”, dit Malick Sané en faisant remarquer que “notre pays peut exporter des produits aux États-Unis, jusqu’à preuve du contraire, sans payer des droits de douane sur la gamme très large de produits pris en compte par l’AGOA”.
Donald Trump estime que son pays a été pendant longtemps “pillé” et “spolié” par d’autres, alliés ou rivaux, ce qui l’a conduit à mener cette guerre commerciale, qui, de l’avis de Souleymane Keïta, devrait pousser les pays africains à “diversifier agressivement” leurs relations commerciales et à explorer de “nouvelles opportunités”.
L’Afrique devrait profiter des tensions entre les États-Unis d’Amérique et d’autres puissances économiques pour renforcer ses échanges avec l’Union européenne ou l’Inde, par exemple, dans le cadre d’accords de libre-échange, selon M. Keïta.
La guerre commerciale pourrait pousser la Chine, un partenaire commercial important de l’Afrique, à réduire ses financements destinés aux infrastructures des pays africains, poursuit-il.
Début avril, Donald Trump a annoncé une suspension de la surtaxe douanière pour certains ouverts à la négociation, dont ceux de l’Union européenne, pour une durée de quatre-vingt-dix jours. Il continue de menacer d’une surtaxe douanière certaines puissances économiques, dont la Chine.