ABDOU BARMA NGUER, LA CONSCIENCE DE PASTEF ET SES 4000 CADRES
Du «One man show» du chef du gouvernement qui a amèrement goûté à la «guérilla parlementaire», il n’a pu être retenu qu’une chose : «tolérance zéro» à l’endroit des journalistes et chroniqueurs «payés par des opposants milliardaires» mais «poltrons»

La semaine dernière, sur la Sen Tv, dans l’émission Ndoumbélane, je montrais mon scepticisme face au boycott annoncé par l’opposition de la séance des Questions d’actualités au gouvernement. Même si les raisons évoquées par les députés de l’opposition étaient légitimes (la violation répétée et délibérée du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale par la majorité, sous l’impulsion du président de l’institution, les attaques crypto-personnelles en lieu et place du débat civilisé), il reste que Ousmane Sonko a eu très mal de faire face à lui-même et à sa majorité mécanique. L’opposition a boycotté, Sonko s’est énervé. Tellement énervé que les absents ont presque été cités à chaque fois qu’il prenait la parole. L’opposition a boycotté et comme prévu, Ousmane Sonko est sorti de ses gongs.
Du «One man show» du chef du gouvernement qui a amèrement goûté à la «guérilla parlementaire», il n’a pu être retenu qu’une chose : «tolérance zéro» à l’endroit des journalistes et chroniqueurs «payés par des opposants milliardaires» mais «poltrons» pour dénigrer le pouvoir par la diffusion de fausses nouvelles. «A partir d’aujourd’hui, j’assume. (…) Ces petits que vous envoyez (dans les médias) pour insulter, leur cas, nous allons le régler rapidement. Après, vous les opposants qui avez vos milliards et qui payez le loyer (à des chroniqueurs), j’espère que vous oserez sortir et nous affronter. Quand nous aurons effacé les chroniqueurs, ils (les opposants) prendront leur courage pour sortir, et on les attend. Vous nous appelez sur un terrain que nous maîtrisons bien», dit-il. Vous remarquerez qu’après le «fusiller» pour les anciens chefs d’Etat, voici que Sonko promet d’effacer les journalistes et chroniqueurs qui ne dansent pas au rythme du «Porozet». Effacer, c’est faire disparaître sans laisser de trace. Cela veut-il dire en termes plus clairs que tous les chroniqueurs, activistes, influenceurs et leaders d’opinions qui ne leur sont pas favorables iront moisir en prison ? En attendant, les urgences des Sénégalais semblent être reléguées au second plan, faute de solutions concrètes, les licenciements sont à plein régime, la morosité a fini de gagner toutes les couches sociales.
Le Parquet sort pour rassurer le «peuple des 54%»
Le pouvoir promet désormais une politique pénale, «zéro tolérance» en matière de diffusion de fausses nouvelles. Par contre, le phénomène de l’homosexualité est toléré par le Premier ministre Ousmane Sonko ! Donc, Ousmane Sonko tolère l’homosexualité, mais pas la diffusion de fausses nouvelles. Au moins, «And samm djikko yii» va apprécier.
Ce face-à-face entre le gouvernement et les députés a également permis de constater que ce n’est pas le Peuple qui a fait pression sur la Justice, mais c’est bien l’Exécutif. Le Parquet et ses démembrements se sont en effet dépêchés de sortir pour rassurer le patron et le peuple Pastef, c’est-à-dire le «peuple des 54%», qu’ils sont bien en train de travailler. Leur mission : calmer Ousmane Sonko et ses partisans, mais aussi renforcer la perception chez les autres Sénégalais que Macky Sall et son régime sont des voleurs. Raison pour laquelle le procureur a usé de qualificatifs très forts pour charger l’ancien pouvoir, et même les condamner avant jugement.
«Honteusement», «illégalement» et «indignement» sont sortis de la bouche du procureur Ndoye, même s’il se défend de respecter la présomption d’innocence. Mais la montagne a accouché d’une souris pour le moment : les montants cautionnés montrent que les détournements présumés sont loin des chiffres annoncés.
On remarquera également que plusieurs personnalités arrêtées, ces derniers jours, dans le cadre du traitement judiciaire du rapport de la Cour des comptes sur la gestion du fonds Covid19, ont été libérées et placées sous contrôle judiciaire à la suite de cautionnement. Le procureur Ibrahima Ndoye s’en est expliqué sans convaincre, à la lumière du refus de cautionnement pour Farba Ngom et Tahirou Sarr. «L’objectif principal n’est pas d’envoyer les gens en prison, mais de faire en sorte que les intérêts de l’Etat soient préservés», dit-il. Selon lui, si les juges ont accepté ces mesures, c’est parce que la loi sénégalaise, en son article 140 du Code de procédure pénale, pour ce qui est des détournements, escroquerie et soustraction sur les deniers publics, offre la possibilité à toute personne incriminée «de solliciter son éligibilité à cette libération sous caution». Farba et Tahirou ont pourtant cautionné plus que ce qui leur est reproché d’avoir frauduleusement soustrait au Trésor et ils restent toujours en détention. On nous avait vendu l’indépendance de la Justice. Paradoxalement, c’est cette même Justice qui est aux ordres dans un dessein de règlement de comptes. La démocratie sénégalaise, riche de son histoire et de ses valeurs, mérite mieux qu’un théâtre d’accusations spectaculaires et de règlement de comptes.
Le juge d’instruction a appliqué la volonté de Sonko
Toujours est-il que Abdou Nguer semble être le premier que Sonko voudrait effacer de l’espace public. Le jeune homme est aujourd’hui à Rebeuss, inculpé qu’il est de diffusion de fausses nouvelles alors qu’il n’est même pas propriétaire du compte TikTok qui est auteur de la publication. Certains même se réjouissent de l’emprisonnement de ce grand personnage. Dommage.
Il est clair que le juge d’instruction en charge de son dossier a appliqué la volonté de Sonko d’emprisonner ce jeune qu’il a considéré comme un illettré. Abdou Nguer est un prisonnier de Sonko qui a cédé aux caprices de ses militants qui voulaient le voir en prison. Il est ce tailleur qui fait trembler tout un régime jusqu’à ce que le Premier ministre, devant les députés, le qualifie de chroniqueur «sans certificat». Le Sénégal connaissait deux catégories d’intervenants dans l’espace public. Les lettrés formés dans les écoles classiques et ceux formés en langue arabe. Mais depuis peu, à coté des intellectuels et des arabisants, nous assistons à l’émergence d’intellectuels «wolofisans». Abdou Nguer en est un. «Abdou Nguer parle avec 70% de la population sénégalaise. Il communique d’une manière terre à terre, qui fait que les analphabètes et les incultes puissent comprendre ce qui se passe, et ça n’arrange pas Sonko, raison pour laquelle il fallait le faire taire», explique l’activiste Abou Karim Guèye, Xrum Xaq. Oui, il y a définitivement du Kocc Barma en Abdou Nguer. Il est des circonstances qui, immanquablement, vous donnent une stature de géant. L’esprit vif, le regard pétillant de malice, un sourire toujours de rigueur, Abdou Barma est maître jusqu’au bout des ongles de ses émotions. Tel un Mandela, il vous désarçonne d’un sourire puis, d’une réplique qui fait mouche, vous laisse dans votre rage, si vous ne savez contrôler vos émotions. Ses punchlines font vraiment mal. «Pastef moom, guettoou golo la. Niou diouboo yakh tool bi, niou khouloo yakh toll bi» (Pastef, c’est une armée de singes dans un champ. Qu’ils soient ensemble ou non, la finalité est la même : le champ sera détruit).
Nguer a mis en difficulté bien des chroniqueurs
Ancré dans la tradition pure du wolof du Baol, ce digne petit-fils de Mame Awa représente, dans l’espace public, la sagesse paysanne faite de bon sens, de formules et de réparties qui font mouche. Abdou Barma est un mystère. Analphabète, il est doté d’une mémoire redoutable. Chétif tel un Gandhi, l’injustice et le deux poids deux mesures éveillent en lui les flammes du preux chevalier qui combat jusqu’au bout pour un retour à l’équilibre. Il a osé défendre Adji Sarr face au rouleau destructeur de Pastef, quand une bonne partie des organisations féministes se cachait dans leurs ballerines et autres espadrilles.
Abdou Nguer est un homme extrêmement intelligent. C’est l’intelligence des «ndongodaara» avec leur mémoire photographique. Il a toujours pris le soin de «du samay wax, ay waxama». Il prenait toujours le soin d’apporter des preuves à ses dires. Il a mis maintes fois en difficulté des «diplomards» soumis sur les plateaux Tv sur leur propre terrain : le Droit. Son face-à-face avec le journaliste de la «7Tv» est mémorable en termes de répartie. Il a mis en difficulté bien des chroniqueurs installés, qui avaient pris leurs aises, comme le fameux Jëwriñ Njaasë, qui, dépassé, a fini par rendre les armes et lui a demandé : «Mais Abdou, tu es qui ? Qu’est-ce que tu veux, etc.»
Sa mémoire analytique et son sens de la répartie sont inégalés. Il peut sortir du cadre parfois et fanfaronner pour amuser la galerie et détendre l’atmosphère, mais il reste rigoureux ! Très rigoureux même. Je ne l’aurais pas défendu s’il avait fauté ou dit des insanités. Mais il paraît qu’il y a un empressement à lui trouver des poux qui n’existent pas. Mais quand vous êtes privé de liberté, que vous n’avez ni tué, ni volé, ni violé et que votre seul tort, jusqu’à preuve du contraire, est de déplaire aux oreilles capricieuses de l’homme qui se définit «indestructible politiquement», alors sans conteste, après la crucifixion, viendra la résurrection. Il est des étincelles qui consument des mondes, il est des parcours qui finissent dans des palais, et la constante dans tout cela, c’est que cela commence toujours par une goutte qui se dénomme le sentiment d’injustice. Il y a bien pire que l’injustice, il y a le sentiment d’injustice. Une fois enclenché, tout effort d’endiguement est vain. C’est ainsi qu’une goutte se transforme en torrent, une étincelle en brasier. C’est cette alchimie qui, en un instant, transforme aux yeux de tous, l’agneau du sacrifice en un majestueux bélier guidant son troupeau. Et retenons bien ceci, dans l’histoire du loup et de l’agneau, la masse s’identifie toujours à l’agneau. David contre Goliath aussi.