VIDEOLE TOURNANT JURIDIQUE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi d'amnistie représente bien plus qu'un simple arbitrage juridique. Selon Jean-Louis Corréa, elle illustre l'émergence d'une justice constitutionnelle plus attentive aux droits fondamentaux des citoyens

Ce dimanche 27 avril 2025, l'émission "Objection" de Sud FM a reçu Jean-Louis Corréa, professeur agrégé de droit et vice-recteur de l'université Cheikh Anta Diop. En sa qualité de rapporteur du comité scientifique des assises nationales de la justice, l'universitaire a livré une analyse approfondie de la récente décision du Conseil constitutionnel concernant la loi interprétative de l'amnistie.
Selon le Professeur Corréa, la décision rendue le 23 avril 2025 par le Conseil constitutionnel revêt "une portée majeure" pour le système juridique sénégalais. En censurant l'article 1er de la loi interprétative 2025-09, le Conseil a clarifié les limites du pouvoir législatif en matière d'amnistie.
"Cette décision renforce l'État de droit, car elle montre une situation où tous les acteurs font confiance à l'arbitre qu'est le juge", a expliqué Jean-Louis Corréa. Il souligne que la décision parvient à unifier les différentes positions en jeu, cherchant à "rassembler plutôt qu'à diviser" dans un contexte politique tendu.
L'expert juridique a particulièrement insisté sur la "consolidation du bloc de constitutionnalité" opérée par cette décision. "Le bloc de constitutionnalité, ce sont l'ensemble des principes et normes qui, avec la Constitution, permettent au juge d'opérer le contrôle de constitutionnalité", a-t-il précisé.
En intégrant les instruments internationaux cités dans le préambule de la Constitution, le Conseil constitutionnel a rappelé que certains actes, comme la torture et les traitements inhumains et dégradants, sont imprescriptibles selon le droit international et ne peuvent être couverts par une loi d'amnistie, même lorsqu'ils ont été commis dans le cadre de manifestations ou avec une motivation politique.
Jean-Louis Corréa voit dans cette décision un tournant important : "Nous sommes habitués à une constitution orientée pouvoir, centrée sur les relations entre les institutions. Avec cette décision, le Conseil s'oriente vers la consécration et la protection des droits fondamentaux."
Pour l'universitaire, cette évolution marque un changement de paradigme dans la jurisprudence constitutionnelle sénégalaise, qui tend désormais à placer la protection des droits des citoyens au même niveau que l'équilibre des pouvoirs institutionnels.
La décision clarifie également les frontières de l'amnistie. La loi de 2024 couvrait tous les faits liés à des manifestations ou ayant une motivation politique entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. La loi interprétative tentait de restreindre cette amnistie aux seuls actes se rapportant à l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique.
"Le Conseil a jugé que cette restriction violait le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. Mais il a aussi précisé que les actes imprescriptibles selon le droit international ne peuvent être amnistiés, quel que soit le contexte dans lequel ils ont été commis", a expliqué le professeur.
Pour Jean-Louis Corréa, cette décision illustre le pouvoir régulateur que l'on attend d'une cour constitutionnelle. "Le Conseil n'a pas simplement tranché un litige, il a, avec sagesse et tempérance, arbitré entre divers intérêts politiques divergents", a-t-il souligné.
L'universitaire y voit "une invite au dialogue" adressée à la classe politique, dans un contexte où "la société sénégalaise est suffisamment clivée" et où "les acteurs ont du mal à dialoguer sereinement".
L'une des particularités de cette décision, selon le Professeur Corréa, est qu'elle parvient à satisfaire à la fois les requérants (l'opposition), les défendeurs (l'État du Sénégal) et même la société civile.
"C'est une décision qui contente tout le monde : elle protège ceux qui ont participé à des manifestations politiques légitimes, tout en permettant aux victimes d'actes imprescriptibles de poursuivre les auteurs présumés", a-t-il conclu.
À l'heure où le Sénégal s'engage dans un dialogue national sous l'égide du président Bassirou Diomaye Faye, cette décision du Conseil constitutionnel pourrait servir d'exemple pour une approche plus consensuelle des grandes questions juridiques et politiques qui animent le débat public.