LES MALHEURS DE DADO
ROMAN D’ALIOUNE BADARA BÈYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES ECRIVAINS DU SÉNÉGAL

La nuit passait lente et longue, elle couvrait encore le sommeil des « Tioubalos » partis pour des conquêtes lointaines ; elle ramenait parfois des cascades oublieuses la fraîcheur des eaux bleuâtres de Mbilor.
Bodiel dormait maintenant d’un sommeil agité quand Bakar fit irruption dans sa chambre, elle sursauta et s’agrippa sur le cou de son mari tout en demandant l’air anxieux :
- Qu’es-ce que j’entends dans la chambre de Dado ?
Calmement et sans répondre Bakar commença à se déshabiller.
Son air désintéressé surprit Bodiel ; cette fois elle se fit plus caressante et se colla presque sur le dos de son mari. Sa crainte grandissait de plus en plus.
Bakar, d’un ton presque résigné se coucha sur le lit, les yeux fixés au toit de la chambre :
- Un miracle vient de se produire ! - Quel miracle ? - Dado vient d’avoir une mignonne petite fille ; la petite sœur de Oulèye Dona.
Sur cette phrase Bodiel sursauta : - Un enfant ? C’est impossible ! Elle n’était pas en grossesse ! Et presque méchamment elle ajouta :
- Un enfant ne s’offre pas, il se crée, il est la finition, le soupir, l’extase, l’apaisement des étreintes éternelles sous le feu des corps, et depuis des nuits et des nuits tu avais déserté sa couche.
Avec rage Bakar se leva : « Makou » Allah n’aime pas la calomnie. Ici dans cette maison je suis le seul chef de famille. Tu commences à oublier que tu n’es qu’une femme, alors rappelles toi maintenant que je suis le seul astre capable de briller de jour comme de nuit sans aucune forme d’altération.
Et sèchement :
Je t’ai dit que Dado a un enfant. Elle est arrivée à cacher son état grâce à la complicité de la sage Awa. Je te prie de te taire et surtout n’augmente pas ma honte.
Bakar s’étala sur le lit le dos tourné à sa femme et ne parla plus.
Le sommeil finit par gagner son corps.
Une rassurante nuit pour Dado, à travers son âme jadis profanée, elle avait regagné l’amour de son mari grâce à Raki venue au monde pour secourir sa pauvre maman.
Autant sa nuit était prometteuse, autant celle de Bodiel fut mouvementée. Dans son lit, elle maudissait l’éclair passager d’un ciel d’hivernage, elle maudissait le murmure plaintif des sites enchantés.
Un vieil dicton « ouolof » disait : « Khalam dèm ne baye nékhe boume gua dogue ». (Les cordes du « Khalam » ont cédé au moment où le son gagnait en gaieté).
Elle vit son rêve se briser en un jour, désormais elle n’est plus la seule sève féconde d’amour et d’espoir.
Bakar dormait toujours, dans son sommeil il guettait la quiétude des eaux. Il rêvait d’un bonheur sans nuance, un bonheur basé sur la loyauté, l’amour et la fidélité.
Bodiel devra accepter cette sentence qui s’abreuve dans les flots de ses rêves. Elle devrait désormais lutter pour regagner le cœur de son mari. Les belles amours ne s’oublient jamais, elles dorment sous le cendres d’un feu de soir, elles somnolent sous la cime des arbres, sous les ailes des vautours affamés ; elles réapparaissent quand on s’y attend le moins, elles réapparaissent dans les voix chaudes de « Gaolos » dans la flamme des brasiers sacrifiés, elles subsistent et s’éternisent dans les caresses charnelles des aubes passionnées.