''SENGHOR A ÉTÉ LE JARDINIER DE LA NÉGRITUDE ET DE LA FRANCOPHONIE''
AMADOU LAMINE SALL, POÈTE-ÉCRIVAIN

Quelle est aujourd’hui la place de Senghor dans la Francophonie ?
La place de Senghor dans la Francophonie reste centrale, à la fois objective et émotionnelle. Il en a été parmi les pères fondateurs les plus persuasifs, les plus décisifs, les plus têtus, les plus raffinés. Senghor restera longtemps à cette place au cœur de la Francophonie. Du moins, c’est son nom et sa marque qui ressortiront le plus.
Quelle a été la spécificité de la Francophonie «senghorienne» ?
Le magistère de la langue française, incontestablement ! Il a toujours placé la langue française bien haute. Autre déterminant chez Senghor : comme avec le concept de la Négritude, il a théorisé la Francophonie en lui faisant enjamber la seule langue française et en l’invitant au métissage culturel, là où résident sa fortune et son avenir. C’est alors qu’il a placé les pays du Sud au devant du combat, pour signifier combien la Francophonie devra son salut à l’Afrique francophone.
Avez-vous souvenance d’une anecdote sur Senghor au sujet du 3e sommet de la Francophonie tenu à Dakar en 1989 ?
Hélas, non. Ce que je sais par contre, c’est qu’il avait déjà quitté le pouvoir à cette époque et que sa participation à ce fameux sommet de Dakar n’avait pas été facile pour lui.
Senghor a été un pionnier de la Négritude. Il n’est pas l’inventeur du mot Francophonie encore moins du concept. Pourquoi alors est-il considéré aujourd’hui comme l’un des pères de la Francophonie ?
Aurait-on besoin de créer, d’in- venter un concept pour seulement le défendre ensuite ? Senghor n’a inventé ni la Négritude ni la Francophonie mais il a été le jardinier de ces deux concepts, leur plus crédible, plus solide défenseur. La preuve : c’est Césaire qui a inventé la Négritude mais le terme fait toujours référence à Senghor.
A-t-il été comme l’affirment certains un théoricien de la Francophonie ? Comment ?
J’ai déjà répondu à cette question. Senghor et la Francophonie, pour toujours, ne feront qu’un. Son œuvre littéraire et politique en atteste. Son engagement le prouve. Sa religion a été la Négritude et la Francophonie. Le prochain sommet de Dakar en novembre 2014 ne fera que confirmer cette vérité et répéter ce qui a été moult fois répété du haut de toutes les tribunes internationales.
La question est plutôt de savoir comment honorer Senghor autrement que ce qui a été déjà fait à chaque fois de par le monde. Les discours et les colloques se succèdent et se ressemblent.
Peut-être qu’il faudra s’arrêter à cette double constante : rester digne de son héritage. Se référer à cet héritage à chaque fois que nous nous retrouvons dans l’impasse face à l’éthique politique, l’improvisation et la désorganisation, la paresse et le parasitage, la misère de l’esprit, l’humiliation de la pensée.
Dès 2002, la Chaire Senghor de la Francophonie de Lyon avait souhaité, avec l’aval et le soutien de l’Oif, mettre en place progressivement au moins une Chaire Senghor par pays membre de la Francophonie. Où en est ce projet à la veille du prochain sommet de Dakar ?
Je n’ai aucune idée du suivi opérationnel de cette noble initiative. Avec le temps, cela se fera tout seul, au regard de ce que représente Senghor pour le monde universitaire, celui de l’esprit tout court. Tant mieux si l’Oif s’en mêle. Cela ne fera que la grandir.