''IL EST IMPORTANT D’INTERNATIONALISER LA DIMENSION SYMBOLIQUE DE TOMBOUCTOU''
ABDERRAHMANE SISSAKO, REALISATEUR

Après le Festival de Cannes, le long-métrage « Timbuktu » du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako est en compétition officielle au 29ème Festival international du film francophone (Fiff) de Namur (Belgique). Le film se déroule dans la petite ville d’Aguelhok. Dans cette localité, les populations en- durent, impuissantes, le régime de terreur des « djihadistes » qui ont pris en otage leur foi. Les libertés sont confisquées. Dans l’entretien qui suit, Abderrahmane Sissako évoque l’esprit de ce long-métrage. Pour le réalisateur, il est important d’internationaliser la dimension symbolique de Tombouctou.
Comment est née l’idée de ce film sur Tombouctou ?
Il y a eu un élément déclencheur qui est la lapidation d’un couple au Nord-Mali par les « djihadistes » qui venaient de prendre quelques villes dans cette partie du pays. Ils ont commencé par instaurer leur vision de l’Islam, du monde.
Je dirai que l’indifférence des médias par rapport à cette situation m’a poussé à faire ce film. Cette histoire n’a pas été suffisamment relatée. Les médias étaient plus intéressés par la sortie de l’Iphone 4 qui sortait le même jour.
Lorsque le Nord du Mali a été pris par ces étrangers (Aqmi et les autres succursales...), cela a été un choc pour nous qui sommes du Sahel. Et lorsqu’on est cinéaste venant de cette partie de l’Afrique, on est à même de comprendre certaines choses. Et quand on a la possibilité de faire un film, on ne peut pas rester indifférent, surtout lorsqu’on a la possibilité de faire quelque chose. »
Parlant de possibilité, dans quelles conditions avez-vous tourné « Timbuktu » ?
Lorsque j’ai eu envie de faire ce film, les aides sont venues. Et comme je travaille souvent avec la chaîne Arte sur d’autres sujets, elle a suivi. Moi-même, je suis coproducteur avec ma société de production. Ensuite, nous avons monté ce film.
Sur le terrain, comment les choses se sont-elles passées ?
J’avais d’abord pensé le film pendant l’occupation de Tombouctou. Entretemps, il y a eu la libération. J’ai pu aller sur place pour des repérages avec mon premier assistant, le Sénégalais Demba Dièye. Nous étions prêts à tourner mais, malheureusement, il y a eu un attentat-suicide un mois avant le tournage. C’est pourquoi je me suis replié très vite avec un plan B à Walata, en Mauritanie.
Avec l’aide de l’Etat mauritanien, nous avons eu un soutien très fort du pays, aussi bien sur le plan logistique, financier et sécuritaire. Cet aspect est très important, parce que tourner à Walata est très difficile, surtout lorsqu’on a une équipe étrangère.
C’est difficile, psychologiquement, pour les gens. Donc, l’équipe avait besoin d’être rassurée. Même si c’est important de le souligner, la Mauritanie avait fait un travail de sécurisation de son territoire.
Pour en revenir au titre du film, pourquoi « Timbuktu » et nom Tombouctou ?
C’est un choix délibéré dans le sens où, pour moi, Tombouctou ramenait une histoire franco-africaine. Il y avait cette dimension. Il faut savoir que Tombouctou est connue dans le monde entier comme une ville mythique. Donc, c’est un lieu, un symbole. Ce qui est important pour moi, c’est de parler de ce symbole-là et de l’internationaliser, parce que le premier préjudice subi lorsque la ville est tombée, c’est l’Islam qui a été pris en otage.
Tombouctou, avec ces deux mosquées (Djingareyber et Sankoré), a véhiculé toutes les valeurs qui sont les piliers de toute religion et de l’Islam : la compassion, le pardon, l’amour de son prochain, la tolérance, le respect de l’autre, qu’il soit de ma religion ou pas, etc.
Ce sont ces valeurs qui ont été prises en otage. C’est cela dont on n’a pas souvent parlé. On a fait l’amalgame de montrer une image fausse de l’Islam.
Il fallait donner une autre image de l’Islam...
Tout à fait ! J’attire votre attention sur le personnage de l’imam dans le film. Il est le symbole de l’Islam comme nous l’avons vécu : on nous a éduqués dans la paix, la tolérance, l’échange, la compréhension de l’autre. Ce sont ces gens qui ont un problème avec l’Islam qui en ont donné une mauvaise image.
Restons au Nord-Mali avec cette actualité marquée par la résurgence de l’activité des « djihadistes ». Quel est votre message au-delà du film ?
Le message, il est clair pour moi : l’Islam n’est pas tel qu’on voudrait le présenter. On ne parle pas souvent des premières victimes de ces événements, ceux-là qui sont sur place. Il ne faut pas continuer à ne parler d’otages que quand ils sont Européens ou Occidentaux.
Quel est le sens de votre présence ici à Namur après le festival de Cannes où « Timbuktu » a été présenté ?
C’est le film qui voyage beaucoup, notamment dans des grands festivals. Celui de Namur en est un, avec un public important. Être ici, c’est important pour moi. Au-delà de la Francophonie, c’est un lieu de rencontre du cinéma.
Parlant de cinéma francophone, sous quels traits peut-il devenir à la fois solidaire, créatif et innovant?
Pour cela, il faut que dans nos pays respectifs, en Afrique d’abord, nous ayons véritablement une politique culturelle, d’aide au cinéma. Il est important qu’un jeune puisse être formé. Pour être solidaire, il ne faut pas tout attendre des pays du Nord. Il faut essayer de se suffire à soi-même en impulsant cette dynamique .
Quels sont les projets cinématographiques d’Abderrahmane Sissako ?
J’ai un projet de film que je suis en train d’écrire, sur la Chine et l’Afrique.