LE SOUFFLE DE VIE AU-DELA DE LA TECHNIQUE
AISSATOU TOURE/HABY DIALLO : PORTRAIT CROISE

Leur histoire est celle d’une de ces jolies rencontres : l’une est aussi touche-à-tout que l’autre, mais sans que ce ne soit le fourre-tout. Aïssatou Touré s’amuse à retracer les mille et un traits de chacun des personnages qu’elle rencontre, sans jamais les réduire à une prouesse technique. avec cette fascination qu’elle a pour le plastique, Haby diallo a le don de redonner vie aux objets perdus. Quand elle en parle, c’est toujours avec passion, d’un enthousiasme toujours très contagieux. a tel point qu’elle a même fini par convaincre son père que c’était «sa» voie. au cours de l’entretien que les deux artistes nous ont accordé à la galerie «CREAS I AM» de la Médina, l’homme se trouvait d’ailleurs à l’entrée du local, comme une sorte de présence bienfaitrice.
Quand elle prend juste le temps de vous raconter son histoire à elle, vous comprenez surtout qu’Aïssatou Touré n’a pas vécu le drame de ces trajectoires interdites pour ne pas dire fauchées, faites de destinées comme qui dirait tracées à la règle. Car personne à la maison ne lui a jamais imposé quoi que ce soit, et pas même un métier plus ou moins noble. Ses premiers dessins remontent en fait à l’époque où elle n’était encore qu’une enfant.
Et de ce qui n’était alors qu’un innocent jeu de crayons plus ou moins dociles, elle tissera une passion.
Mais pas tout de suite. Son parcours académique commence même par quelque chose d’assez classique : le rituel des études universitaires où on lui enseignera quasiment tout sur la langue de Shakespeare.
Plus tard, même de loin, ce sont ses vieux démons qui la rattraperont, avec l’air de ne pas vraiment lui donner le choix : Aïssatou Touré s’inscrit à l’Ecole des Arts Visuels de Dakar, mais sans arrière-pensée, pas de pression non plus. Sans doute parce que comme elle dit, c’était «surtout pour (se) perfectionner » ; ses succès successifs finiront pourtant par la convaincre que cette aventure ne doit peut-être pas grand-chose au hasard. Major de sa promo deux années de suite, voilà de quoi convaincre les plus dubitatifs.
Graffiks To’, c’est le nom de ce studio graphique qu’elle a monté de toutes pièces, date de cette période- là. Nous sommes en 2011, et c’est un an plus en tard, en pleine Biennale, qu’elle fera la rencontre d’une artiste qui lui ferait presque penser à elle, à quelques nuances près. Une sorte « d’osmose », c’est le mot, quasi inexplicable, cette façon qu’elles ont de se « compléter », le constant souci du détail, et les éternelles retouches qu’elles font subir à leurs oeuvres etc.
Haby Diallo raconte que d’aussi loin qu’elle se souvienne, ses premières réminiscences artistiques, même distraites sinon lointaines, doiventbien remonter à l’époque où sa maman s’amusait à repeindre des bouilloires pour leur en faire voir de toutes les couleurs. Sans en être consciente, tout cela la fascine…
Jusqu’au jour où elle décide de suivre sa voie, même si ses 4 années passées à l’Ecole Nationale des Arts, d’où elle sort diplômée, ne convaincront pas tout de suite son père. L’homme rêve d’une carrière plus classique pour sa fille : avocate par exemple…Il finira pourtant par s’y faire, et pour la petite histoire, c’est aujourd’hui un de ses inconditionnels.
En 1997, la jeune femme veut monter une exposition plutôt spéciale, puisque celle-ci devait rassembler ses anciens promotionnaires. L’histoire ne sera malheureusement qu’une sorte de projet suspendu, une aventure estropiée : la faute aux moyens financiers qui font défaut. Haby Diallo retourne en France d’où elle était partie, et travaille pour avoir de quoi financer ses rêves. En 2002, elle ouvre même sa propre galerie. Au début, le local a surtout quelques relents sociaux, un «piedà-terre» pour tous les artistes un peu perdus qui chercheraient un toit pour leurs oeuvres. Une dizaine d’années plus tard, l’espace se transformera en un vrai concept, avec tout un univers au-delà.
«CREAS I AM» voit le jour en 2013, il n’y a donc pas si longtemps que cela, et c’est à cet endroit que Haby Diallo s’amuse à redonner le sourire à des objets « perdus » : de surprenants orceaux de plastique réincarnés, qui finissent par servir de pans de rideaux improbables, de gros bidons d’eau vides transformés en jolis paniers ou en sacs à main etc.
Aïssatou Touré est surtout fascinée par le portrait, mais elle tient à ce que tout cela aille bien au-delà du geste technique. Il y a même quelque chose d’assez psychanalytique dans sa démarche. « J’aime me lier avec les gens, les observer, les découvrir », dit-elle, avec le sentiment que ce n’est jamais tout à fait la même banale histoire.
Quelque chose se crée, se tisse et se dessine, tandis que l’artiste s’amuse à sonder l’âme de ses modèles, qu’elle refuse de réduire à leur quelconque apparence épidermique.