ŒUVRE SÉNÉGALAISE DE RÉDUCTION DES LIBERTÉS D’EXPRESSION
Alioune Tine a bien raison de dire aux micros de la 2STv que le Premier ministre Ousmane Sonko est atteint par toute la levée de boucliers sur les actes qu’il pose pour conduire le Sénégal, notamment à travers les réseaux sociaux qui furent jadis son nid

Je disais dans ces colonnes, la semaine dernière, que l’exercice des «Questions au gouvernement» ne se résumerait qu’à une foire de soliloques, avec «invectives, menaces plates, outrages et enfumages» qui y auront la part du lion. Je n’aurais pas été plus devin car le maître de cérémonie, en l’occurrence le Premier ministre Ousmane Sonko, n’aura pas ennuyé son monde. Il aura eu sa tribune toute dressée pour dézinguer tout ce qui bouge et surtout donner le tempo d’une deuxième année d’une gouvernance de rupture qui se cherche encore entre slogans creux, retard à l’allumage et volonté de bander des muscles devant tout le monde. Reprochant à une partie de l’opposition son absence, les coups de mortier n’ont pas manqué. Et sur tous les sujets, notre tout-puissant Pm ne sera pas passé par mille chemins pour annoncer la couleur.
Le Premier ministre s’insurge de l’absence des députés de l’opposition à la séance des «Questions au gouvernement». Ces derniers sont bien dans leur droit de ne pas être présents quand invectives et attaques personnelles leur sont servies à foison, en leur présence ou absence. Ce n’est pas ainsi qu’il pourra promouvoir un dialogue parlementaire serein.
Au titre du débat public, il se sera lâché comme nul autre, en se posant comme gendarme des consciences et censeur attitré de l’espace public. Il érigera le délit de diffusion de fausses nouvelles, ce fourre-tout liberticide dont seul le Sénégal a le secret, pour en faire son sabre dans une croisade contre tous les impertinents, zélés de la parole et contradicteurs. Quand un Premier ministre se permet de nous dire qu’il mettra sa main dans certaines affaires et qu’il a eu à prendre en main certains dossiers en instance devant nos juridictions, il y a de quoi être désespéré pour les lendemains à venir. Si quelqu’un a bénéficié de tous les avantages et excès de la parole libérée, en tant qu’acteur politique, c’est bien lui. Que ça peut être gauche de servir des condamnations pénales à toute personne qui ne voudrait pas restreindre son vocabulaire, afin de ne pas froisser un gouvernement et son parti-Etat !
Au titre du fonctionnement de la Justice, le Premier ministre feindra de ne pas exercer de pression sur les magistrats et le ministère de la Justice. Au rythme où vont les affaires en ce moment dans le temple de Thémis, on peut bien douter de ça. Une Justice à plein régime prend ses aises, et tout ce qu’il y aura pour secouer des cocotiers et baobabs sera mis sur la table. Oui pour une reddition des comptes, mais cela dans les règles de l’art, dans le respect de la présomption d’innocence et une préservation de la dignité des personnes qui ont à se justifier devant les cours et tribunaux. La soif de vengeance et la méchanceté aveugle auront poussé certains commentateurs, pour ne pas dire journalistes, à demander que les gens soient envoyés en prison, même si des cautions sont versées, avant de tirer au clair les forfaits commis. Tout devient ridicule si l’exigence de transparence et l’impératif de reddition des comptes sont troqués contre un agenda de vendetta. Le Sénégal ne finira pas encore de panser les plaies.
Epictète disait ce qui suit dans son manuel de liberté de penser et de savoir-vivre, De l’attitude à prendre envers les tyrans : «Si un homme possède une supériorité quelconque, ou s’imagine du moins la posséder, alors qu’il n’en est rien, cet homme, s’il manque d’éducation philosophique, en sera inévitablement tout bouffi d’orgueil.» Il pousse son argumentaire plus loin dans la logique que les autocrates ont de ne pas se sentir, en lâchant la sentence qu’un tyran peut dire, sans gêne aucune, qu’il est «le plus puissant du monde». Le discours du Premier ministre au pupitre de l’Assemblée, nous affirmant son «indestructibilité politique», a de quoi embrasser les contours des affirmations des chefs de meute pour se conforter dans leur toute-puissance, et surtout nier de façade à toute force contraire ou antagoniste, la capacité de les toucher. Je suis du genre à croire crânement que tout ce qui sort par la parole dans le sens de menacer, d’intimider ou de se la jouer dur, n’est que reflux d’un subconscient rongé par le doute ou ne cessant de se remettre en cause continuellement. Quand un chef fait ce genre d’affirmation, sa carapace s’est déjà affaissée et toute logique d’exhiber une puissance ou une maîtrise du cours des choses n’est que chute sans fin dans des abîmes. Le droit-de-l’hommiste Alioune Tine a bien raison de dire aux micros de la 2STv que le Premier ministre Ousmane Sonko est atteint par toute la levée de boucliers sur les actes qu’il pose pour conduire le Sénégal, notamment à travers les réseaux sociaux qui furent jadis son nid d’ange, pour dire devant la Représentation nationale qu’il est «politiquement indestructible». Tywin Lannister, personnage de la fiction à succès Game of Thrones, disait bien que tout homme qui sent le besoin de dire qu’il est roi, n’en serait pas un. A chacun de se faire sa religion !
Il y a tout juste cinq semaines, en réponse à Abasse Fall qui disait tout haut que son leader «Ousmane Sonko ne sera plus jamais la cible des insulteurs», je démontrais le procédé par lequel la machine Pastef avançait pas à pas dans une logique de canonisation de son chef pour qu’à terme, évoquer son nom suffirait d’être un péché et un crime majeur. La série de convocations de journalistes, de chroniqueurs et d’activistes en dit beaucoup sur un régime qui est allergique aux armes qu’il aura utilisées sans concession pour se faire une légitimité jusqu’à prendre le pouvoir. Une connaissance, avec un cœur militant pour Pastef, se permettra de m’appeler pour me souligner une hostilité envers sa formation politique et chercher à déconstruire ou peindre négativement tout ce qui venait de leur chef. J’aurai rappelé à cette connaissance ses propres publications, incitant à tort et travers à des casses, ses publications Facebook remplies de haine injustifiée avec leurs lots d’insultes, son statut WhatsApp jubilatoire quand une tentative d’attaque avait été faite contre mon domicile familial. Il y a des réponses qui prennent un temps fou à être servies, mais il est bien, face à l’hypocrisie et une fausse morale consciente, de mettre à nu les gens dans leur couardise et leur sensibilité à géométrie variable. Les muses procurent l’oubli des maux et la fin des douleurs, disait Hésiode. Dans le Sénégal actuel, on pourrait se dire que le débat public et l’espace politique est un triste ballet entre Calliope, muse de l’éloquence, et Thalie, muse de la comédie. Autour de la fontaine d’Hippocrène, à défaut d’inspiration poétique, tout est mis en œuvre pour détruire des adversaires politiques, salir des réputations et mettre au pas des populations. La muse de la parole étant «la plus puissante de toutes», pour taire les esprits, il faut s’attaquer aux discours et faire taire les voix. Ce cirque tragique a de quoi taquiner les muses et tout esprit lucide. Au moment du bilan, on se rendra compte qu’en peu de temps, un modèle de démocratie aura été détruit et des progrès réalisés au gré de longues luttes, anéantis. Tout cela pour plaire à un seul homme. Que la décadence d’une Nation, lorsqu’elle se vit aux premières loges et jour après jour, peut être hideuse !