L'OPPORTUNITÉ STRATÉGIQUE QUE LE SÉNÉGAL NE DOIT PAS RATER
Le Sénégal peut, et doit, jouer un rôle central dans ce basculement. Il peut devenir, à la fois, une terre d’accueil pour les industries en quête de stabilité, et un débouché alternatif pour les produits chinois en butte aux restrictions occidentales

Depuis 2018, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine fait trembler les fondations de la mondialisation telle que nous l’avons connue. Taxations douanières en cascade, restrictions technologiques, relocalisations industrielles à marche forcée : c’est un changement d’ère que peu de pays ont réellement anticipé. À mesure que les géants économiques mondiaux redessinent leurs chaînes de valeur, l’Afrique reste, une fois encore, en retrait. Pourtant, dans ce chaos géoéconomique, se cache une opportunité stratégique majeure pour le continent — et en particulier pour le Sénégal.
Car cette guerre n’est pas qu’un affrontement entre deux puissances. C’est une reconfiguration mondiale des flux industriels, une relecture brutale des équilibres commerciaux, et une chance historique pour les pays qui sauront se rendre utiles à cette nouvelle donne. Le Sénégal peut, et doit, jouer un rôle central dans ce basculement. Il peut devenir, à la fois, une terre d’accueil pour les industries en quête de stabilité, et un débouché alternatif pour les produits chinois en butte aux restrictions occidentales.
Un contexte mondial en recomposition
Le tournant a été amorcé sous l’administration Trump, avec l’imposition de droits de douane sur plus de 500 milliards de dollars de produits chinois. Sous Biden, la stratégie a évolué, mais l’objectif reste le même : freiner l’ascension industrielle de Pékin. L’interdiction faite aux entreprises américaines de collaborer avec des firmes comme Huawei ou SMIC dans le domaine des semi-conducteurs, l’embargo sur certains métaux rares, et les alliances industrielles avec le Japon, la Corée ou les pays européens pour sécuriser les approvisionnements montrent bien que la bataille ne fait que commencer.
Face à ces pressions, de nombreuses multinationales ont engagé un vaste mouvement de diversification. On parle désormais du « China +1 » : une stratégie qui consiste à conserver une base en Chine tout en développant des capacités industrielles dans d'autres pays. Le Vietnam, l’Inde, l’Indonésie, et même le Mexique, sont devenus les nouvelles destinations phares pour les industries à la recherche de résilience. Dans cette recomposition, l’Afrique, étonnamment, reste marginale.
Pourquoi le Sénégal — et pourquoi maintenant ?
Le continent ne manque pourtant pas d’atouts. Une jeunesse dynamique, un potentiel énergétique immense, une urbanisation galopante, et une vaste zone de libre-échange continentale (la ZLECAf) en cours d’opérationnalisation. Le Sénégal, en particulier, présente un profil prometteur : stabilité politique, ouverture sur l’Atlantique, proximité avec l’Europe, et volonté affichée de se positionner comme un hub logistique et industriel de l’Afrique de l’Ouest. Cette volonté s’incarne aujourd’hui dans la vision stratégique « Sénégal 2050 » récemment évoquée par le Président Bassirou Diomaye Faye, et appuyée par le Premier ministre Ousmane Sonko, qui ne cesse de rappeler l’urgence d’un « New Deal technologique africain » pour sortir du cycle de dépendance économique. Dans ses premiers discours, le président Faye a souligné l’importance de la souveraineté industrielle et technologique, ainsi que le rôle clé de l’État dans la structuration de chaînes de valeur locales.
Mais une vision, aussi claire soi-telle, ne suffit pas. Elle doit impérativement s'accompagner d'une mise en œuvre rigoureuse, cohérente et suivie dans le temps. C’est à cette condition que les ambitions formulées par le nouveau pouvoir prendront corps. Car pendant que certains pays africains avancent concrètement, d'autres tardent encore à formuler et traduire leur stratégie en actions concrètes. L’Égypte, par exemple, a su séduire de grands groupes chinois du textile qui, fuyant les sanctions américaines, ont installé des usines géantes dans la zone économique du Canal de Suez. Ces usines produisent pour l’Europe et les pays du Golfe, tout en bénéficiant d’un accès préférentiel aux marchés africains. En Algérie, le gouvernement a entamé des discussions avec des constructeurs automobiles chinois pour l’implantation d’usines d’assemblage de véhicules électriques. Le Nigeria, lui, a vu plusieurs groupes chinois tester des chaînes de production locales pour contourner les coûts logistiques et les barrières douanières croissantes. Ces exemples montrent que l’Afrique n’est pas condamnée à l’inaction. Mais ils soulignent aussi à quel point l’absence d’une stratégie concertée nous fait perdre du temps, et surtout, du terrain.
La chine a besoin de relais. Le Sénégal peut l’être
De son côté, la Chine est à la recherche de nouveaux alliés économiques. Avec la fermeture progressive de certaines portes occidentales, Pékin regarde vers le Sud. L’Afrique est au cœur de cette stratégie. Mais attention : il ne s’agit plus de l’Afrique extractive des années 2000, ni de l’Afrique "marché captif" qui consommait sans produire.
Aujourd’hui, la Chine veut investir dans des zones franches, transférer une partie de ses chaînes de production, et construire des partenariats à long terme avec les États capables d’offrir à la fois un cadre juridique stable, une main-d’œuvre formée, et un accès fluide aux marchés régionaux.
Nous pouvons être ce partenaire. Mais nous ne le serons que si nous agissons vite. Et si nous l’inscrivons dans une vision long terme, articulée autour du triptyque : formation – souveraineté – innovation.
L’industrialisation par les crises : une constante historique
Ce que beaucoup oublient, c’est que les grandes phases d’industrialisation de l’histoire contemporaine sont souvent nées des fractures géopolitiques. Le Japon a bénéficié de la guerre de Corée pour asseoir son industrie. La Corée du Sud a surfé sur la guerre froide pour se hisser au rang de puissance manufacturière. Même le Vietnam, longtemps sous embargo, est aujourd’hui l’un des pays les plus courtisés par les grandes marques occidentales. Pourquoi pas nous ? Le Sénégal ne doit pas attendre que les flux arrivent à lui. Il doit se positionner, attirer, convaincre. Cela suppose une vision, une diplomatie économique offensive, mais aussi une capacité à créer des écosystèmes industriels crédibles. Cela passe par des zones économiques spéciales sectorielles, des incitations fiscales ciblées, une politique de formation axée sur les métiers industriels, et une coordination publique-privée intelligente.
Il est également temps de penser à des instruments plus audacieux : un fonds souverain dédié à l’industrialisation, adossé à nos futures recettes pétrolières et gazières, permettrait de co-financer des partenariats industriels avec des acteurs asiatiques, européens ou africains.
C’est dans cette logique que le «NewDeal technologique » évoqué par Ousmane Sonko prend tout son sens : créer des pôles technologiques et industriels intégrés, appuyés sur le numérique, la transformation locale, et des alliances stratégiques nouvelles.
Une chance à saisir, une place à prendre
Nous vivons une période de bascule. Les cartes du commerce mondial sont redistribuées. Et pour une fois, l’Afrique ne part pas sans atouts. Il nous manque seulement la volonté de jouer la partie.
Il ne s’agit plus de quémander des investissements. Il s’agit de dire, avec clarté et ambition : « Vous cherchez une alternative à la Chine ? Le Sénégal est prêt. »
Sous la conduite du Président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko, le Sénégal peut ouvrir une ère nouvelle : celle d’un leadership industriel africain, fondé sur la vision, la souveraineté, l’innovation — et surtout, sur une capacité à transformerles intentions en actions concrètes.