LA FIN DE L’USAID, UN NOUVEAU DEPART POUR L’AFRIQUE
Au fond, les Africains n’auraient pas dû attendre que Donald Trump coupe les vivres humanitaires. Ils auraient dû prendre les devants et réorienter leurs partenariats extérieurs sur des bases plus saines

C’est fait. L’Agence américaine pour le développement international (Usaid) n’existe plus. Ici, à Washington, on a même aperçu, sur Pennsylvania Avenue, des hommes couvrir de noir le nom de l’institution. C’est la conséquence du décret signé par le Président Donald Trump le 21 janvier 2025 et exigeant, sauf pour «l’assistance militaire à destination de l’Egypte et d’Israël», «une pause de 90 jours pendant laquelle l’efficacité des programmes et leur cohérence avec la politique étrangère des Etats-Unis vont être évaluées». Le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a toutefois précisé, le 28 janvier, que cette suspension ne concernait pas l’aide alimentaire d’urgence.
«Thank you for your service»
Pas de long processus législatif, pas de débat au Congrès, pas de grève des personnels. C’est par un simple email se terminant par «Merci pour votre service» qu’ont été mis en congé 10 000 personnels dont deux tiers basés à l’étranger, priés de rentrer à Washington. Des élus démocrates comme Ilhan Omar ou Jamie Raskin ont bien tenté des manifestations devant le siège d’Usaid, il était trop tard. Ils avaient laissé passer le week-end. Tous les ordinateurs ont été emportés par le Doge, le nouveau bureau anti-gaspillage dirigé par Elon Musk.
En un claquement de doigts, l’Usaid, le plus grand pourvoyeur d’aide au développement dans le monde depuis sa création en 1961, sous la présidence Kennedy, a été fermée. La célérité de ce démantèlement est un démenti féroce à tous les gouvernements incapables d’agir vite. Quand on veut, manifestement on peut, seraient tentés de penser certains électeurs.
L’Amérique d’abord
On se gardera bien de relever les raisons propres aux Etats-Unis qui ont amené la nouvelle administration à sceller le sort de l’Usaid. Le nouvel homme fort de Washington cherche à réaliser 1000 milliards de dollars d’économies sur le fonctionnement de l’Etat fédéral. De plus, pour Elon Musk, l’Usaid, que ce dernier a qualifiée d’ «organisation criminelle», poursuivait des objectifs qui ne correspondent plus aux priorités de la nouvelle administration, «l’Amérique d’abord». On a ainsi vu la nouvelle porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leawitt, scandalisée, tendre des feuilles où manifestement figuraient des actions financées par l’Usaid comme «1,5 million de dollars pour faire progresser Dei [Diversité, Equité, Inclusion est un programme honni des trumpistes, garantissant une meilleure représentation des minorités sexuelles et ethniques] sur les lieux de travail en Serbie ; 70 000 pour la production d’une comédie musicale Dei en Irlande ; 47 000 pour un opéra transgenre en Colombie, 32 000 pour une bande dessinée transgenre au Pérou». Après tout, il n’y a rien de choquant pour un président élu d’appliquer le programme pour lequel il a été élu et de définir ses propres priorités. On ne voit pas non plus pourquoi les administrations devraient échapper à une évaluation de leurs missions. Toutes ces actions sont légitimes si elles se font dans le respect de la loi. Et c’est la question qui agite ceux qui résistent à la déferlante Maga. On ne se prononcera pas non plus sur les conséquences de cette fermeture sur la politique étrangère américaine, les analystes de DC rivalisant de prédictions sur la manière dont cette fermeture avantagera - ou non - la Chine et la Russie pour combler le vide ainsi laissé. Sans doute les décideurs de Washington y ont pensé.
L’Afrique, première victime ?
En revanche, si l’aide à la sécurité à l’Ukraine ou la formation des écolières sous régime taliban ont cessé, tous sont unanimes pour affirmer que l’Afrique, qui est notre principale préoccupation ici, sera la première victime de l’effondrement de l’Usaid. Les pays africains reçoivent en effet un quart de l’aide globale américaine, l’Usaid comprise, soit près de 18 milliards de dollars. En dehors de l’Egypte, les principaux bénéficiaires africains sont : l’Ethiopie, la Somalie, le Nigeria et la RDC. C’est surtout en matière d’aide d’urgence et de santé, avec le Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (Pepfar), que l’émotion a été vive, poussant l’administration à suspendre le décret pour les aides médicales vitales.
Et de citer le bilan de l’organisation. Au cours de l’exercice 2023, les Etats-Unis ont déboursé 72 milliards de dollars d’aide en faveur d’une centaine de pays, dans des domaines aussi divers que la santé des femmes dans les zones de conflit, l’accès à l’eau potable, en passant par les traitements contre le Vih/sida, la sécurité énergétique et la lutte contre la corruption. Il se dit que les programmes de lutte contre le sida et le paludisme ont permis d’éviter 200 000 morts par an dans les pays pauvres. Du Soudan à la Rdc, des centaines de millions de dollars de nourriture et de médicaments, déjà livrés par des entreprises américaines, se trouvent dans les ports, en raison de la fermeture soudaine de l’agence.
Et alors ?
Sur des questions aussi fondamentales, l’Afrique n’aurait jamais dû dépendre d’un agenda étranger, américain ou autre. L’éducation des filles, la santé, l’Armée, ce sont des domaines stratégiques qui devraient relever du domaine régalien des nations, même africaines. D’ailleurs, pour tous les Etats engagés sur la scène internationale, l’aide au développement procède toujours plus d’une démonstration d’influence, de pouvoir que de la générosité. Surtout, elle n’a jamais sorti aucun pays du sous-développement. Régulièrement, les Ong déplorent que l’aide au développement déployée par les pays riches reste inferieure aux recommandations des Nations unies. Plutôt que d’accroître la dépendance africaine à des aides inefficaces, tous ces efforts auraient été mieux employés s’ils avaient été consacrés à des politiques bien plus décisives comme le renforcement du commerce entre économies africaines (désespérément en deçà de 15% quand il s’élève au-delà de 90% entre les économies européennes), l’introduction de monnaies souveraines (l’éco n’a toujours pas vu le jour malgré les annonces tonitruantes) ou encore la transformation industrielle locale des ressources, la formation d’ingénieurs et de scientifiques.
Proposer un deal à Donald Trump
Au fond, les Africains n’auraient pas dû attendre que Donald Trump coupe les vivres humanitaires. Ils auraient dû prendre les devants et réorienter leurs partenariats extérieurs sur des bases plus saines. Le même souci d’efficacité et la politique du «America first» qui animent les Etats-Unis, devraient animer les Africains. Avec son «Ghana beyond aid», le Ghana avait bien essayé sous la présidence de Nana Akufo-Addo, mais c’est le Botswana qui y est parvenu avec davantage de succès, transformant localement son diamant pour mettre en place une stratégie de croissance réussie. Plutôt que de se battre pour le maintien de ces «aides au développement», les Africains devraient profiter de la fin de l’Usaid pour, au minimum, accompagner et élargir la demande américaine d’évaluation à tous les dispositifs d’aide et, au mieux, proposer un nouveau partenariat aux Occidentaux, fait d’investissements directs et de commerce plus juste. Après tout, les économies africaines ont des atouts et des ressources dont peu d’Etats dans le monde disposent à grande échelle. On peut parier que le «dealmaker» ou «négociateur», qu’est Donald Trump, ne sera pas insensible à cette approche.
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.