LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE ET LE MOUVEMENT DE DÉCOLONISATION EN AFRIQUE
L’objectivité et la sincérité nous commandent d’observer les recules, les manquements, voire les menaces qui pèsent sur l’héritage de cette admirable Révolution. L’Afrique est en attente d’une seconde libération

SenePlus publie ci-dessous, l'adresse d'Abdoulaye Bathily à la Conférence internationale des amis de la Révolution algérienne tenue les 16 et 17 mai 2022 à Alger.
Deux témoignages éloquents, que je vais évoquer, suffiraient à situer le rôle de la Révolution Algérienne dans le processus qui a conduit à l’affirmation du mouvement de décolonisation en Afrique et à la formation, dans la seconde moitié du 20 siècle, de l’identité du Tiers monde, cet ensemble de mouvements d’émancipation politique, économique et culturel des anciens pays coloniaux et dépendants.
Amilcar Cabral figure emblématique de la lutte armée des colonies portugaises et qui fut un des stratèges politiques les plus féconds de l’Afrique contemporaine a déclaré : « Les chrétiens vont au Vatican, les musulmans à la Mecque et les révolutionnaires à Alger ».
Nelson Mandela ce monument de la lutte anti apartheid qui a reçu sa première formation militaire en Algérie déclarera : « Algeria made me a man » (l’Algérie a fait de moi un homme).
Loin d’être des déclarations de circonstance, ces témoignages se trouvent confortés par de nombreux écrits et paroles recueillis et publiés dans les mémoires de leaders révolutionnaires et /ou de simples maquisards en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. De manière unanime tous affirment leur dette personnelle et collective de leur organisation à l’action solidaire de l’Algérie révolutionnaire.
L’œuvre de Frantz Fanon dont l’influence a été considérable pour la formation de la conscience politique de générations de l’intelligentsia africaine sonne comme un hymne, une contribution théorique de la Révolution Algérienne à l’idéologie des indépendances.
Sur le plan personnel, l’insurrection du 1er Novembre 1954 et sa dynamique ont sonné le réveil de ma propre prise de conscience. A l’école primaire, le refus de certains de mes ainés de se faire enrôler pour aller « servir en Afrique du Nord » suscita très tôt mon interrogation sur le sens de ce que le discours colonial d’alors appelait hypocritement « les événements d’Algérie ».
Puis, élève au cours secondaire à l’école Militaire Préparatoire Africaine de Dakar Bango à Saint-Louis (Sénégal), j’écoutais avec intérêt les récits des éléments du contingent de retour de leur séjour algérien.
Ces témoignages participaient aussi de mon éveil de conscience, notamment la barbarie des expéditions militaires coloniales, les essais nucléaires français au Sahara avec leurs dégâts humains, matériels et environnementaux, aux conséquences encore persistantes , la tentative désespérée du régime colonial de créer une nouvelle colonie tampon au détriment de l’Algérie, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad dénommée Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) destinée à être rattachée à la Métropole comme “territoire d’Outre-Mer”.
Mes interlocuteurs africains, témoins de cette guerre, s’accordaient tous cependant à reconnaître l’exceptionnelle bravoure des Moudjahidines, désignés dans le jargon colonial sous le vocable méprisant de Fellagha.
Les déclarations du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), les débats sur les accords d’Evian (1962) nourrissaient l’inspiration de nos débats d’adolescents passionnés par Mom Sa Rew, (slogan qui signifie indépendance), mot d’ordre en wolof, langue nationale au Sénégal, que le Parti Africain de l’indépendance avait popularisé dès sa création en Septembre 1957.
Dissout en Août 1960 par le régime du Président Senghor, le PAI trouvera à Bamako et Alger des lieux d’exil pour certains de ses principaux dirigeants, Majhmout Diop, Tidane Baidy Ly et Amath Dansokho.
La révolution algérienne avait aussi suscité un vif élan de solidarité entre les mouvements de jeunesse anti colonialistes du Sénégal à travers, en particulier, le Rassemblement de la Jeunesse Démocratique Sénégalaise (RJDS), l’Union Culturelle Musulmane (UCM) de Dakar dirigée par Cheikh Touré alors principal animateur des étudiants formés dans les universités des pays du monde arabe (Université Al Azar) alors en plein bouillonnement nationaliste à la suite notamment du succès de la Révolution Nassériste des Officiers Libres depuis juillet 1952 en Egypte.
Il en avait été de même entre les Organisations panafricaines d’Etudiants : l’Union Générale des Etudiants Algériens (UGEA), la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), la West Africa Student Union (WASU Londres), l’Union Générale des Étudiants d’Afrique Occidentale (UGEAO Dakar), le Conseil de la Jeunesse d’Afrique, l’Association Musulmane des Étudiants d’Afrique Noire (AMEAN) fondée et dirigée par Ciré LY alors étudiant en Médecine, Cheikh Hamidou Kane futur auteur du célèbre roman L’Aventure ambiguë.
Pour ces exemples de solidarité et de bien d’autres encore, le mouvement progressiste sénégalais et africain reste redevable à l’héritage des Moudjahidines.
Alger : quartier général de la Révolution africaine
Si la victoire de Dien Bien Phu, au Viet Nam, a sonné le glas de la colonisation française en Asie, le triomphe des Moudjahidines a été la plus grande défaite du colonialisme français en terre d’Afrique.
Les conditions de ce triomphe découlent de l’articulation entre un leadership collectif avisé et un peuple uni et déterminé, tous deux mobilisés autour d’un idéal commun d’émancipation.
C’est là une leçon qui mérite encore d’être retenue dans nos préoccupations d’aujourd’hui.
Non seulement l’ouragan de la révolution nationale a balayé le régime colonial comme un château de cartes, mais aussi elle a restauré un mécanisme de solidarité exemplaire d’une exceptionnelle efficacité. Malgré les difficultés et même l’affaiblissement des régimes frères partenaires dans la chaine de solidarité, l’Egypte de Gamal Abdel Nasser, le Mali de Modibo Keita, le Ghana de Kwame Nkrumah et la Guinée de Sékou Touré, l’Algérie avait continué de porter le poids du devoir de fraternité à l’égard des mouvements de libération armés ou non.
Alger, « la Mecque des révolutionnaires », Alger « La Rouge », fut pendant des années un spectacle permanent de congrès de délibérations , un site d’échanges féconds autour des thèses de la libération et de l’émancipation des représentants des peuples de tous les continents : Africains, Afro-Américains, Latino-américains, militants de toutes les régions d’Asie et d’Europe se côtoyaient dans une ambiance de fraternité humaine pour un monde plus juste, affranchi des chaines de la domination politique, économique et culturelle.
Alger était la capitale du Panafricanisme !
Le Mouvement Panafricain de la Jeunesse y avait installé ses quartiers généraux. La Panafricaine des Femmes y a été portée sur les fonts baptismaux. Le Festival Culturel Panafricain d’Alger (PANAF) en 1969 fut un des moments les plus emblématiques de cette période historique. La fusion entre le discours politique de libération et les messages militants des entités et personnalités culturelles de l’Afrique et de la Diaspora ont galvanisé les élans pour une Afrique qui invente son propre avenir comme acteur indépendant sur la scène du monde.
Aussitôt son indépendance arrachée, l’Algérie s’engagea dans la construction de l’Unité Africaine.
Le président Ahmed Ben Bella fut un des pères fondateurs à l’initiative de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine en mai 1963 à Addis Abeba.
De manière ininterrompue, il est à noter au crédit de l’Algérie la participation active aux activités diplomatiques de l’organisation continentale sur les questions de la lutte contre le régime de l’Apartheid, le régime raciste de Ian Smith au Zimbabwe, la lutte de la SWAPO en Namibie, le soutien aux Organisations Nationalistes des Colonies Portugaises (CONCP), le Sahara Occidental et la Solidarité Afrique-Palestine-Monde Arabe.
Des années durant, soit comme observateur, soit comme acteur de réunion, je peux personnellement témoigner de nombreux événements en la matière.
Des cadres politiques et des diplomates d’envergure exceptionnelle ont été affectés à la cause africaine et que j’ai eu l’occasion de côtoyer et avec lesquels je reste lié par des sentiments d’amitié et de fraternité militantes. Parmi eux il me plait de citer Ramtane Lamamra, Said Djinit et Leila Zerougui, qu’on ne présente plus dans le landerneau politique africain.
La victoire sur le terrorisme : un acquis exceptionnel de la Révolution Algérienne.
La défaite du terrorisme mérite d’être soulignée comme un des acquis les plus impressionnants de cette révolution. La compréhension des conditions de la victoire sur cette dérive socio politique tragique doit être rapportée à la construction d’un état national forgé dans le feu de la lutte et trempé dans le sang des martyrs. Si le pays a résisté sur ses fondements face à l‘assaut de l’hydre terroriste de manière autonome, c’est que les transformations socio politiques induites par la dynamique de la Révolution en ont constitué un terreau fertile.
Devant la montée du péril terroriste depuis quelques années au Sahel, dans la Corne de l’Afrique et dans le Golfe du Mozambique, la leçon algérienne appelle à une sage méditation pour notre continent et d’autres régions du monde. L’approche méthodologique face à ce phénomène, les procédures de pacification et d’intégration de ses acteurs doivent inspirer dans la reconstruction du tissu national.
L’Algérie Avocat du tiers monde
Les années 1960-1980 furent marquées par la montée de ce qu’on appelait alors le « Tiermondisme».
Ce vocable exprimait le mouvement politique global qui, dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, était porté par les régimes progressistes dans le cadre du mouvement des Non Alignés et les organisations de la société civile à travers le mouvement afro-asiatique et la Tricontinentale (Afrique, Asie, Amérique Latine). Cette chaine de solidarité luttait pour une reconfiguration du monde à l’ère post coloniale et au profit des pays nouvellement libérés, ou en voie d’émancipation nationale.
L’Algérie, auréolée du prestige de la Révolution des Moudjahidines, s’affirma très vite comme un des porte-paroles les plus éloquents de la cause du Tiers Monde. Sur la scène diplomatique de cette période, Abdel Aziz Bouteflika, jeune ministre des Affaires étrangères, s’imposa comme une figure emblématique des combats pour un Nouvel Ordre Economique International, le Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la communication à travers l’Assemblée Générale des Nations Unies, les fora de la CNUCED, de l’UNESCO notamment.
Bouteflika était sans doute bien préparé à ce rôle puisque tout jeune il avait dirigé, à partir de Gao, ville du Nord Mali, sous son nom de guerre Abdel Kader el Mali (ou Tom Pouce pour les services occidentaux de l’époque), la stratégie de lutte du Front de Libération Nationale et les activités de la branche sud de l’Armée Nationale Populaire avec l’appui de Modibo Keita, Kwame Nkrumah et Sékou Touré.
La lutte pour l’appropriation de leurs ressources nationales par les pays producteurs de matières premières se solda, entre autres, par la création plus tard de l’OPEP et d’autres initiatives plus globales comme la conférence de Rio de Janeiro sur l’environnement (1992), de même que tout le processus de la question climatique à l’ordre du jour de la civilisation humaine depuis lors.
La dynamique d’émancipation du Tiers monde née de ces luttes est aussi à l’origine du Forum Social Mondial qui mobilise aujourd’hui une variété de mouvements sociaux dans tous les continents contre le système néolibéral bâti sur le « Consensus Washington ».
L’héritage de l’Algérie est comme on s’accorde à le dire multidimensionnel.
Les Moudjahidines doivent être fiers de leur contribution à l’avancée des idées et initiatives porteuses du bien-être humain sur notre planète.
Camarades Moudjahidines, je vous salue !
Je m’incline devant la mémoire de ceux qui sont tombés dans les tranchées et de tous ceux qui ne sont plus.
Les Patriotes d’Afrique et les militants d’un monde plus juste et équitable vous doivent une fière chandelle. Bravo !
Faire revivre l’esprit de la révolution
Acteurs du monde actuel, nous avons le devoir de faire revivre l’esprit généreux qui a inspiré les Moudjahidines, créer une nouvelle espérance pour l’Afrique et le monde.
L’objectivité et la sincérité nous commandent, à cet égard, d’observer les reculs, les manquements, voire les menaces qui pèsent sur l’héritage de cette admirable Révolution.
L’Afrique est en attente d’une seconde libération.
Le monde aspire à une transformation qualitative des relations internationales guidées par les principes de dignité et de respect mutuels entre les peuples.
La patrie des Moudjahidines, le souffle vivifiant de l’esprit de la Révolution du 1er novembre 1954 qui souffle sur cette conférence peuvent et doivent nous inspirer dans de nouveaux engagements pour l’unité et la solidarité africaines, l’amitié et la fraternité entre les peuples du monde.
Puissions-nous être à la hauteur de cette noble entreprise !
Je vous remercie de votre bien aimable attention.