L’AUDIT DE LA COUR DES COMPTES NE DEVAIT-IL PAS RESTER CONFIDENTIEL ?
Ni le principe de transparence, ni la loi organique qui le surclasse, édictant et encadrant les rapports de la cour des comptes ne sont au dessus de l’intérêt supérieur de la nation

La politique ? c’est tout un art ! Mais c’est un art vil. Et si c’est un art vil, c’est parce qu’elle use de subterfuges, manœuvres et comme au poker, abuse du bluff comme technique pour dissimuler sa stratégie dans un écosystème où chaque erreur de communication se paie cash et peu anéantir un projet ou reporter un important programme, si ce n’est interrompre une carrière politique.
Publier un rapport qui plonge un pays pauvre comme le Sénégal, en quête perpétuelle de financements, dans un désarroi financier sans précédent, en le discréditant auprès des bailleurs de fonds, du FMI et des investisseurs, en entraînant la dégringolade de toutes ses notes souveraines, est-il la panacée ?
Les principaux défenseurs de cette publication, comme le président de la cour des comptes Mamadou Faye, mettent en avant un exercice de transparence inédit en Afrique. Transparence oui, mais à quel prix ?
La politique moderne, c’est l’honnêteté
L’honnêteté de l’État à l’égard du peuple commence par la transparence dans les actes de gouvernance. Les informations recueillies et conservées par le gouvernement sont un bien national. Elles sont la propriété du peuple.
Ainsi, la transparence est une exigence démocratique, Indissociable d’une bonne gouvernance moderne et inclusive. Elle responsabilise les citoyens, qui de leurs impôts et contributions diverses financent les projets de développement Économique et social. D’ailleurs, la trajectoire fiscale du nouveau gouvernement valide parfaitement l’intention d’associer le citoyen-contribuable aux financements des projets de développement à l’heure où l’emprunt coûte cher et devient rare et difficilement accessible aux États les moins bien notés et de surcroît en développement.
Le lancement récent d’un emprunt obligataire par appel public à l’épargne s’inscrit dans cette veine. Comme s’inscrit dans la même veine le très accrocheur slogan « Jub, Jubeûl, Jubànti » aux intentions heureuses et vertueuses. Mais au-delà du charme envoûtant de l’allitération en « J », il ne faudrait pas se laisser bercer par la musicalité des mots, ni se laisser compter fleurette par cet art vil qu’est la politique, si prompte à reprendre ses droits et très souvent encline à une transparence sélective.
En effet, la transparence ne vaut que lorsqu’elle garantit l’existence des autres composantes de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Il convient donc de confier cet outil précieux mais sensible et facile à instrumentaliser, à des autorités capables d’assurer et d’assumer l’équilibre nécessaire entre la transparence et ce qui doit rester confidentiel ou secret.
En effet, l’argument de la transparence est une modalité du jeu politique. Ceux qui ont les prérogatives de la transparence ont également légitimement et souvent légalement, la faculté de la censurer. Ne nous y méprenons pas.
La transparence est un enjeu et une arme politique, forgée par et pour les élites politiques. Il s’agit d’un enjeu interne au champ politique, porté par des professionnels de la politique, à la fois juges et parties . Une des dimensions de leur savoir-faire politique consiste à savoir se jouer du principe.
Dans l’univers si sensible de la macroéconomie, toute vérité est-elle bonne à dire ?
On peut légitimement douter et intellectuellement débattre de la pertinence et de l’opportunité de publier une information qui remet en cause, ralentit ou hypothèque la matérialisation de programmes urgents de développement économique et d’assistance sociale et sanitaire des populations les plus vulnérables. Ce qui, en d’autres termes, constitue un risque économique majeur pour la nation.
Et tout cela, alors qu’on vient d’arriver à la tête d’un pays pauvre, de surcroît mal gouverné depuis toujours, ultra endetté et alors qu’on vient de lancer le plan « Sénégal 2050 : agenda national de transformation », qui a pour objectif d’atteindre un taux de croissance de + de 6 %, et qui a besoin de financements très conséquents, que l’autofinancement, à lui seul, ne saurait assurer.
Quelle est l’intelligence politique derrière la décision de rendre public un audit de 57 pages, couvrant la période de janvier 2019 au 31 mars 2024, de la Cour des comptes le 12 février 2025 ?
Considérant ses effets graves pour la nation, pourquoi n’a-t-il pas été frappé du sceau de la confidentialité, par la cour des comptes elle-même ? « … est strictement confidentiel et ne saurait être communiqué à des destinataires autres que ceux choisis par la Cour des Comptes » ?
Qu’est-ce qui interdisait au gouvernement de le classer confidentiel, lorsqu’il a reçu communication du pré-rapport, en considérant les graves conséquences que sa publication allait engendrer ?
Le gouvernement et la cour des comptes avaient-ils pris la mesures de l’impact considérable que la publication de ce document allait avoir ?
La cour des compte doit comprendre qu’elle pose, à la publication de chacun de ses rapports, un acte éminemment politique.
Quelle est alors l’autorité la plus irresponsable (au sens péjoratif du mot) en décidant ou en n’empêchant pas sa publication ?
Ni le principe de transparence, ni la loi organique qui le surclasse, édictant et encadrant les rapports de la cour des comptes ne sont au dessus de l’intérêt supérieur de la nation.
Dans ce monde globalisé, ou un seul mot placé dans une phrase apparemment anodine, d’une haute personnalité politique, peut faire chuter la bourse de New York, le Nasdaq ou Shanghai.
Un homme politique ayant sous sa responsabilité la gestion d’une population pauvre, doit remuer sa langue mille fois avant de parler. La vie et l’avenir de millions de personnes sont pendus à ses mots et à ses actes.
Le rapport n’apprend rien aux Sénégalais qui ont décidé, en connaissance ou en soupçon des abus, mauvaise gestion et incompétence, de la part de l’ancien régime, de les bouter dehors. Les Sénégalais ne connaissent pas seulement la vérité, ils la vivent depuis 2012 et même bien avant.
C’est un peuple déçu, meurtri et à genoux, fort de ses espoirs, sa maturité politique et de son incroyable résilience, qui a porté sur ses frêles épaules la lutte qui a mené à l’avènement de l’ère Pastef. Le nouveau gouvernement ayant hérité des actifs, ne doit-Il pas assumer le passif et assurer la continuité de l’État ?
Cette publication de l’audit dit de la cour des comptes a été inconsciemment et sûrement involontairement faite au mépris des conséquences qui pouvaient en découler. Car dès la publication, l’agence Moody's a immédiatement abaissé la note du pays à B3, avec une perspective négative, suivie par Standard & Poor's qui l'a faite passer de B+ à B, avec une perspective négative également.
Le FMI a, quant à lui gelé, dès les premières alertes en octobre 2024, le programme d’aide de 1,8 milliard de dollars, négocié avec les anciennes autorités sénégalaises.Interrogé par Reuters, Edward Gemayel, chef de mission du FMI pour le Sénégal, est on ne peut plus clair : « Nous ne pouvons pas discuter d’un nouveau programme avant d’avoir réglé la question des fausses déclarations. »
Si c’était à refaire, le gouvernement n’aurait certainement pas lavé et étendu ce linge sale sur cette place internationale, sur laquelle donne les fenêtres de toutes les institutions financières et autres agences de notation, qui règnent implacablement sur le financement des États. Sinon, quelle serait la pertinence d’un tel acte digne d’un grand-maître de l’autoflagellation ?
Du mésusage de la transparence en realpolitik
Aucun État moderne et démocratique ne l'applique systématiquement. Car malgré son caractère fondamental, elle ne surclasse pas l’intérêt supérieur de la nation. C’est de la responsabilité des plus hautes autorités de l’Etat de passer chaque situation au filtre de l’intérêt national. Éviter l’application systématique des concepts importés, avant leur « tropicalisation », à des contextes qui ne sont pas à l’origine de leur élaboration. Dans la réalité, la transparence est juste une notion alors que « l’intérêt national » est une réalité, comme le sont la faim et la pauvreté.
Ce concept « occidental », importé comme « la démocratie » et parfaitement assimilé par nos élites intellectuelles et politiques est évidemment nécessaire dans les pays démocratiques du tiers monde, mais son usage doit toujours tenir compte de la conjoncture politico-économique.
Les USA, avec leur grande et ancienne tradition démocratique, ont une expérience issue d’un riche vécu et de débats philosophiques et doctrinaux interessants. Dans ce pays, la transparence a souvent été « snobée » au profit du « secret » ou de la « confidentialité », pour des soucis d’intérêt national. Le cas échéant, c’est cette justification qui immunise et exonère d’accusations de trahison ou d’entorse à la démocratie. Car c’est une décision émanent d’autorités élues qui portent la confiance du peuple, pour les représenter et veiller à leurs intérêts supérieurs.
Sciences politiques sans conscience économique peut entraîner la ruine de l’État
Cette publication d’une information mettant en péril l’intérêt national montre l’un des talons d’Achille de cette nouvelle administration qui est en train de réussir le fou et excitant pari de la transition générationnelle.
En effet, elle puise certains de ses cadres dans le vivier si fécond de la jeune élite sénégalaise, diplômée, dynamique et « patriote » au deux sens du mot, qui pêche justement par son manque d’expériences et de recul. Autrement dit , elle a les défauts de ses qualités.
Le haro des institutions financières et agences de notation sur le Sénégal à la publication de l’audit de la dette publique, est une première leçon faite au gouvernement Pastef sur l’importance d’une vision sur la nécessité d’une anticipation par « l’étude d’impact » qui doit précéder toute prise de décision.
La transparence en tant que concept indispensable à la bonne gouvernance semble être passée du fameux « projet » à une application rigoureuse et stricto-sensu, sans passer par le tamis de l’expérience et d’une vision moins philosophique et moins « PowerPoint » de cet outil précieux mais à double tranchant, dont le mauvais usage peut entraîner des conséquences peu enviables.
L’équilibre secret-transparence doit être de mise
Mais attention aux extrêmes. Attention à l’abus de secrets qui déséquilibre les rapports gouvernants et gouvernés. « En opérant des choix sur ce qu’il faut divulguer et sur la manière dont il faut le faire, les procédures de transparence sont porteuses d’un message, d’un sens déterminé par une série de choix humains. La transparence entendue en ce sens est éminemment politique, et peut être instrumentalisée ». Quel est l’intérêt de « donner la bâton pour se faire battre » en mettant les bailleurs et autres institutions internationales dans le secret d’une éventuelle mal gouvernance du régime sortant, susceptible de mettre le pays dans une crise sans précédent et en un moment charnière ? Sinon pour les mettre en état d’alerte ?
Autant de questions qui interpellent sur la vraie raison de la publication d’un tel document qu’aucun Etat aguerri ou averti et responsable n’aurait publié. Tout au plus, c’est un bon document de travail interne qui peut renseigner les gouvernants sur l’état réel des finances publique et lui permettre de réajuster sa politique et ses prévisions.
Ce document devait-il pas rester confidentiel, du moins le temps que les autorités reprennent le contrôle de la situation, trouvent les financements des politiques économiques, avant d’être « déclassifié » plus tard ?
La gouvernance, c’est la prévision. Oú est la pertinence d’un « hara-kiri » économique que ne subiront que les couches défavorisées du pays ?
Tous les États, même les plus grandes démocraties, pratiquent le « secret » ou la « confidence ou le mensonge statistique » pour « charmer » les agences de notation et les bailleurs et investisseurs mais par souci de protéger l’intérêt national.
Cette pratique de la comptabilité publique est bien présente en comptabilité privée, dans la gestion de toute les grandes ou plus petites entreprises également. Quel bon dirigeant ne s’enferme, au moins une fois l’an, avec son comptable ou son conseiller juridique pour bien « ficeler » son bilan comptable, minorer son imposition ?
Mêmes les bailleurs et les autres institutions internationales ficellent leur gestion sur le plan juridique et comptable. Ils ne sont pas des références en matière de justice et d’équité. Ils ne parient que rarement sur l’humain.
L’éthique comme argument n’est pas non plus pertinente, surtout en ce moment ou les puissances, censées être les « gendarmes du monde » s’adonnent à des exactions ahurissantes d’injustices, allant de la colonisation d’États souverains à des attaques en règles contre le droit et les institutions judiciaires internationales. Mais aussi et surtout des agressions violentes et inexplicables contre les économies de pays tiers et souvent partenaires. Les saillies économiques du président Trump, par l'augmentation unilatérale des droits de douanes nous montre que les États ne s’encombrent plus de vertus quand il sagit d’intérêts.
Aussi, la notion de « politique vertueuse », tente-t-elle l’improbable alliage schizophrénique de deux réalités que tout sépare. La morale « sociale » n’est pas la morale politique. La défense des intérêts nationaux semblent donc primer sur toutes les vertus et la morale.
Au-delà de la confirmation de l’existence d’une justice impuissante contre les riches et puissants États, ces actes entérinent la mort de l’éthique politique et l’avènement d’une morale politique permissive, trés proche de la délinquance d’état.
L’urgence, dans la gestion d’un État pauvre et pressé n’est pas dans les tripatouillages et les bidouillages en tous genres, qu’il faut différencier de la reddition des comptes qui est une exigence d’ordre constitutionnel mais qu’il faut manier avec une dextérité politique .
Aujourd’hui, le remède semble pire que le mal ! M. Gemayel du FMI s’est déplacé jusqu’à Dakar pour sermonner le pays et dire qu’il ne débloquera pas le programme commencé en 2023 et qui devait se poursuivre jusqu’en 2026. Cette position du FMI a été réitérée par le responsable pour l’Afrique, M. Sélassié, venu à son tour au chevet de l’économie sénégalaise mais sans apporter une solution. Au contraire, il confirme la suspension de tous les programmes du FMI en faveur du Sénégal, en attendant la communication par le gouvernement d’un plan d’apurement de la situation et un plan de sortie de crise.
On l’appellera comme on veut : « couper la branche sur laquelle on est assis », « se tirer une balle dans les pieds », « se faire hara-Kiri», mais le Sénégal discrédité, est obligé de suspendre ou reporter certains de ses programmes et des projets de développement très urgents pour les populations, en attendant de négocier, manœuvrer, convaincre, pour essayer de débloquer ou trouver des financements.
Bien sûr, si des infractions sont constatées, il faudrait poursuivre.
Tous responsables de l’impasse ?
La cour des compte avertit : « Les faits relatés dans le présent rapport, présumés constitutifs de fautes de gestion, de gestions de fait ou d’infractions à caractère pénal feront l’objet, le cas échéant, de déférés, de référés ou de déclarations provisoires de gestion de fait ». Elle a confirmé avoir transmis des dossier au procureur général. Mais force est de reconnaître, malgré l’apparence de manœuvres « dolosives » dans le comportement présumé de l’ancienne administration, qu’il sera incommode de sanctionner sévèrement des comportements délictueux. D’ailleurs, M. Gemael refuse de parler de « détournements » : «…25 % du PIB. C'est à peu près 6,7 milliards de dollars. Je ne dirai pas détournés. C'est un endettement qui n'a pas été dévoilé. Et donc, le stock de la dette a été sous-estimé d’à peu près ce montant de 7 milliards de dollars ».
Mais il est parfaitement concevable que le fait d’avoir « caché » une dette assez conséquente, qui à conduit à cette situation désastreuse qui cause un réel préjudice au pays et à ses intérêts économiques soit constitutif d’une infraction pénale.
Et en poussant les investigations, l’ensemble de ces manœuvres pourraient être imputé au président sortant, en tant que gardien des finances publiques. Est-ce la solution de l’énigme ?
Mais ceux qui ont rendu public cette information et on incidemment et par ce fait déclenché les nombreuses et graves réactions en chaîne pour l’économie nationale, n’ont-ils pas leur part de responsabilité ?
En attendant que le gouvernement propose au FMI un programme crédible de régularisation de la situation, les citoyens moyens, nos braves « goorgoorlus », auscultent l’horizon économique avec beaucoup de questions et d’incertitudes. Certains rentreront le soir, avec au fond du sac à courses, juste le rapport de la cour des comptes.
Pendant ce temps, l’État s’arrache les cheveux, à la recherche de la formule magique qui l’extirpera de l’ornière. C’est à se demander si le jeu en valait vraiment la chandelle.