LE CRIME DE LÈSE-BUDGET N’EXISTE PAS !
EXCLUSIF SENEPLUS - Même si la Haute cour de justice est une juridiction d’exception, les juges ne manqueraient pas de convoquer le principe de l’opportunité de poursuivre Macky Sall pour haute trahison sur la seule base d’une dette sous-évaluée

Honorable député, l’honneur, la réputation et l’avenir de ce pays dépasse Macky et vous dépasse …nous dépassent tous. L’exécutif et le groupe parlementaire Pastef ne doivent pas vous suivre, vous leur faites prendre le risque d’un revers juridique et politique inutile.
Faisons semblant de croire qu’un tel projet n’a pas eu l’aval préalable de sa hiérarchie politique. Le député, M. Guy Marius Sagna, a convoqué ce 11 avril 2025 les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 101 de la Constitution de 2001 et la loi 2002-10 modifiée portant loi organique sur la Haute cour de justice, afin de demander la mise en accusation du président Macky Sall, pour des faits susceptibles de relever de la haute trahison dans l’exercice de ses fonctions présidentielles. C’est une accusation très grave, car la haute trahison est un crime.
Ce nouveau « projet » de mise en accusation est malvenu et est voué à un cinglant échec pour des raisons juridiques et démocratiques, et pourrait avoir des incidences politiques mais aussi économiques et sociales très néfastes. L’image du pays et celle des nouvelles autorités pourraient également en être affectées à l’international.
Nous ne sommes pas en Roumanie en 1989 et le président Macky, aussi diabolisé soit-Il, n’est pas un totalitaire autoproclamé « Danube de la pensée » ou « génie des Carpates » et ne s’appelle pas Nicolaë Ceausescu.
Il ne s’appelle pas non plus Nelson Mandela, ni Walter Sisulu. Oui, rappelons-le ! Rappelons que Nelson Mandela, l’un des hommes politiques les plus respectés au monde, et son compagnon de lutte Sisulu, furent condamnés pour haute trahison par une mise en accusation de la part des « maîtres de Pretoria », alors au summum de l’injustice et de la pire politique de développement séparé que l’Afrique et le monde eurent connue. Mais rappelons également que Nelson Mandela finira réhabilité par sa libération après 27 années de prison, un Nobel de la paix et son accession à la présidence de la république sud africaine. Ce projet porte le risque d’un revers judiciaire majeur pour Pastef.
L’impertinence juridique du projet de liquidation du président Sall
Selon plusieurs spécialistes et parlementaires crédibles, la proposition de M. Guy Marius Sagna devait, aux termes de l’article 91, être présentée par une des commissions de l’Assemblée nationale au risque d’irrecevabilité. Elle pourrait donc être mort-né.
Mais Pastef étant ultra majoritaire à l'Assemblée nationale, pourrait, s’il porte « le projet » de l’hyperactif député, par le mécanisme de l’interprétation, ou un autre jeu de passe-passe dont lui seul a le secret, déclarer le projet de M. Sagna recevable.
On passerait alors à l’étape de l’instruction. Durant cette phase, le texte passerait inéluctablement par les filtres impartiaux des juges professionnels qui se feront le plaisir de le passer au scanner du corpus pénal, bien plus précis et plus rigoureux que le cocktail de généralités aussi ambiguës qu’imprécises qui héberge cette notion pourtant constitutionnelle, mais dépassée.
La « haute trahison » est une notion malaisante pour les juristes modernes. Elle fait partie de ces dispositions-fantômes qui hantent les textes codifiés des procédures judiciaires au 21e siècle. Elle ne fait plus recette depuis la fin des monarchies et des dictatures. Elle sera un casse-tête chinois pour nos magistrats qui seront face à un manque criant de précédents et d’un vide jurisprudentiel. Et même en allant à la recherche de bois mort dans les lointaines forêts du droit comparé, leur mémoire ne rapporteraient que quelques fagots qui ne leur permettraient pas de poursuivre ou de se forger une intime conviction.
La haute trahison n’est même pas reconnue pas la CPI, parce qu’elle est obsolète et « remplacée » par des infractions plus précises et plus facilement documentées comme le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et les crimes d’agression.
En effet, la « haute trahison » est morte, victime de la démocratie et de l’État de droit. Même si la Haute cour de justice est une juridiction d’exception, les juges ne manqueraient pas de convoquer le principe de l’opportunité de poursuivre l’ex-président Macky Sall pour haute trahison sur la seule base d’une dette sous-évaluée.
De l’opportunité de la poursuite du président Macky Sall devant la Haute cour de justice
La procédure de la Haute cour de justice est dérogatoire du droit commun, du moins en certaines de ses dispositions mais le juge professionnel ne se privera pas de passer le « projet » de M. Sagna au tamis de ce grand principe.
La haute trahison est une notion vague. Le juge judiciaire aime « travailler » le Droit promu Science juridique de la façon la plus …scientifique possible. Le principe de l’opportunité de la poursuite lui impose de s’assurer de détenir les éléments probants et factuels des poursuites dont il est le seul maître.
Il s’agira en l’espèce de prouver le respect des procédures et la véracité des chiffres de l’audit du rapport de la Cour des comptes et y isoler les actes constitutifs d’un crime qualifiable de « haute trahison ». Ce sera sûrement la tâche la plus ardue de l’instruction judiciaires, si on en arrive à ce stade.
Il va falloir mobiliser une armée d’experts budgétaires et autres spécialistes de la matière financière, pour les expertises et les contre-expertises.
Cette procédure coûtera très cher au contribuable sénégalais. Parce que la procédure ne sera pas expéditive. L’accusé, redoutable stratège politique, aguerri et préparé, ne bradera pas son avenir pour le franc symbolique. Il sera combatif et ne se pressera point pour monter les sinistres marches qui mènent à l’échafaud politique et n’aidera sûrement pas son bourreau à préparer et à lubrifier le noeud coulant qui l’étranglerait, le cas échéant. L’État de droit garantirait un procès loyal car le monde nous regarde.
L’audit lui-même pose déjà son propre débatn car il est contesté par des experts et par le gouvernement sortant. La dette cachée n’est pas un scoop, ni une découverte inédite faite par l’audit de la Cour des comptes. Elle est une « vieille connaissance » des experts du FMI, une pratique à laquelle se sont prêtées de grandes démocraties comme la France et certains pays africains.
Le FMI, à qui on fait dire ce qu’il n’a pas dit a voulu être clair. Il n’a pas vocation à certifier, ni les chiffres de l’audit, ni un éventuel respect des étapes de son élaboration comme le respect du principe du « contradictoire » et donc son impartialité politique. Interrogé sur la question, à l’issue de sa visite du 18 au 26 mars 2025, le « monsieur Sénégal » du FMI, Edward Gemayel, considère que « seul l’Etat du Sénégal peut confirmer les chiffres … ». Il va plus loin , lui l’expert budgétaire : « …je ne dirais pas détournement…ces conclusions mettent en lumière de graves lacunes dans le contrôle budgétaire et la reddition des comptes, soulignant l’urgence de mettre en œuvre des réformes structurelles. La mission a cherché à mieux cerner l’ampleur des écarts et les insuffisances juridiques, institutionnelles et procédurales qui les ont rendus possibles » .
Il s’agira de prouver que de « graves lacunes » peuvent constituer un crime assez grave pour entraîner des poursuites contre un ancien chef d’Etat et sa condamnation pour haute trahison.
Les juges professionnels seront intransigeants et ne suivront pas les délires d’illuminés, comme ils n’ont pas suivi le président Macky lorsqu’il a voulu attenter à l’État de droit en préconisant le report des élections de 2024.
Il faudrait également arriver à mettre sur le dos du président sortant la responsabilité des « insuffisances juridiques, institutionnelles, procédurales » ayant rendu possible ce crime de lèse-budget, alors que des centaines de hauts fonctionnaires, experts et responsabilisés travaillent avec les ministres de l’économie et des finances à l’élaboration, au contrôle et au fonctionnement du budget.
Où étaient ces hauts fonctionnaires qui doivent refuser d’exécuter tout ordre manifestement illégal ? Et la Cour des comptes d’alors qui a « validé » sans « vérifier » et quelle est la part de responsabilité de tout ce beau monde ? Bref, on n’est pas sorti de l’auberge !
Même si on peut légitimement douter de l’impartialité des députés « Pastefiens » membres de la haute cour de justice, on peut espérer que les juges professionnels ne seront pas partisans et vont se fonder sur des expertises budgétaires et financières sérieuses et éclairées pour se forger une conviction.
On peut être certain que ces juges du siège, parmi lesquels le premier président de la Cour suprême, indépendants de l’exécutif, ne voudront pas faire moins que l’honorable Badio Camara ( PSL).
A l’issue de toute cette procédure, Macky pourrait bénéficier d’un non-lieu, d’une relaxe pure et simple, ou très peu probablement condamné. Au pire des cas, il serait responsable mais pas coupable.
Mais un objectif politique, s’il en est, pourrait être atteint, avant la fin de la très longue, coûteuse et energivore procédure : Macky pourrait ne pas fouler le sol sénégalais d’ici 2029, dates des prochaines élections présidentielles pour galvaniser ses troupes et faire face à un Pastef déjà fragilisé par une gouvernance de cinq années très difficiles. Et si c’était l’objectif d’un député en service commandé ?
Cette procédure est antidémocratique et ne reflète pas la volonté populaire.
Honorable député, votre « projet » trahit la volonté populaire et l’esprit des mécanismes démocratique
Cette démarche est brutale, elle n’est ni sénégalaise, ni démocratique. Ce que M. Guy Marius Sagna propose n’est pas la suite naturelle et logique d’une alternance démocratique paisible. Cette démarche est un mésusage notoire de l’outil démocratique. La haute trahison est légale, mais sa mise en œuvre en l’espèce n’est pas démocratique.
La démocratie semble être le chemin préféré par Pastef pour conquérir le pouvoir. Il n’a pas choisi l’insurrection. La transition, l’une des modalités de cette démocratie est utilisée depuis un quart de siècle par le peuple-électeur qui, non plus, n’a pas choisi l’insurrection.
Ce peuple a réitéré son choix l’année dernière en portant Pastef au pouvoir, en dépit des regrettables soubresauts politiques qui avaient enveloppé notre pays dans un linceul de violence, rouge du sang de dizaines de jeunes martyrs et qui ont failli enterrer notre belle stabilité dans les cimetières de l’histoire démocratique.
Si cet exploit fut possible, c’est parce que ce peuple a pu compter sur nos solides institutions qui ont démontré avoir assimilé, à leur tour, « l’esprit » de la volonté populaire de façon inaliénée et définitive. La démocratie est donc le choix définitif du peuple sénégalais.
Cette démocratie, pour être viable exige une respiration périodique, qui est l’occasion offerte aux électeurs de sanctionner ou non les dirigeants qui auront déçu leurs espoirs. Aussi, l’alternance est-elle la seule sanction prévue par la démocratie à l’issue d’élections libres et transparente. Elle est un élément essentiel de maintien de la paix, un élément constitutif de l’État de droit et une preuve de vitalité démocratique.
Il faut laisser notre démocratie, construite de longue luttes et de grands sacrifices finir tranquillement sa respiration périodique. C’est une exigence démocratique. C’est la suite naturelle du processus de transmission pacifique du pouvoir que de laisser partir le chef de l’état qui a organisé les élections, accepté sa défaite et accueilli son successeur dans les règles protocolaires les plus républicaines. Il a déjà été sanctionné par les urnes. La politique c’est aussi le fair-play. Elle est belle dans l’élégance. La démocratie n’est pas un jouet pour apprentis politiciens, c’est un outil sérieux au service d’une nation et son usage est hautement sensible.
Accuser un ancien président de haute trahison et demander sa traduction devant une Haute cour de justice est un saut périlleux dans le vide sidéral qui sépare la politique politicienne et le droit pur qui s’y frotte s’y pique !
Les incidences économiques d’une telle procédure
Cette procédure, si elle est enclenchée, viendra rajouter une couche de discrédit à la déjà fragilisée réputation budgétaire internationale du Sénégal.
Attention à ces actes éminemment politiques qui ont vocation a entraîner des conséquences économiquement désastreuses. Car l’économie est la caisse de résonance de la politique. Les institutions financières, les bailleurs et autres investisseurs sont tapis dans l’ombre de notre politique intérieure, elle n’hésiteront pas à l’inscrire sur le compte déjà débiteur de nos notes souveraines.
Les investisseurs attendront que la stabilité revienne au Sénégal avant de s’y aventurer à nouveau.Les conséquences macroéconomiques de cette procédure auront des retombées micro-économiques dramatiques .