MULTIPLE PHOTOSLES IMPACTS DE LA COVID-19 SUR LA SOCIÉTÉ SÉNÉGALAISE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - Avec la pandémie, les femmes se sentent plus malheureuses. 89,1% des chefs de famille estiment que les liens familiaux dans leur ménage se sont détériorés. Les secteurs en avance sur la digitalisation ont mieux résisté
#SilenceDuTemps - La Covid-19 est intervenue comme un tsunami planétaire avec son cortège de surprises, ses élans d’envahissement, son rythme accéléré, sa nocivité ravageuse, son lot de personnes infectées et un nombre considérables de morts. La pandémie a fortement secoué voire mis à plat le système de santé, réinterrogé le dispositif de santé, d’approvisionnement en médicaments, en matériels médicaux d’une part, et le système de protection sociale d’autre part de la plupart des pays du monde dont le Sénégal. Elle a très vite dépassé la position du point d’alerte, tellement les coups reçus par tous les secteurs socioéconomiques ont été foudroyants et bien souvent fatidiques.
Dans cet article, les impacts de la Covid-19 sur la société sénégalaise sont résumés en s’appuyant sur les résultats des enquêtes réalisées par le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (LARTES-IFAN) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. En premier lieu, la situation socio-économique du Sénégal juste avant la pandémie à la Covid-19 est présentée grâce aux données de l’étude du LARTES-IFAN dans le cadre du Baromètre Jàngandoo sur 16 000 ménages représentatifs à l’échelle départementale et collectées entre avril et juillet 2019 (Fall et al., 2021a et LARTES-IFAN, 2019). Cela a permis d’évoquer le contexte socio-économique avant l’irruption de la Covid-19 et la couverture de la protection sociale au sein des ménages grâce aux données recueillies lors de l’enquête ménage réalisée par le LARTES en 2019.
En second lieu, la situation sanitaire au Sénégal au moment où intervient la pandémie est déclinée au moyen des données de l’enquête nationale sur les facteurs de risques des maladies non transmissibles « STEPS 2015 » effectuée par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD, 2015).
En troisième lieu, les impacts de la Covid-19 sont analysés selon différents secteurs. Tout d’abord, ses impacts sur la société sénégalaise sont résumés en s’appuyant sur les résultats des deux enquêtes conduites par le LARTES-IFAN. La première enquête en collaboration avec l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) portant sur l’impact de la Covid-19 sur 3 003 femmes rurales en 2020 (Fall et al., 2021b ; LARTES-IFPRI, 2020) ; et la deuxième concernant l’impact de la pandémie sur la famille sur un échantillon de 700 ménages en 2021 dans quatre régions (LARTES, 2021) soutenue par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ensuite, les impacts de la Covid-19 sur les acteurs culturels sont discutés en se basant sur les données enregistrées lors de l’enquête réalisée par le LARTES-IFAN en 2021 avec le Musée des Civilisations Noires et le Musée Théodore Monod de l’IFAN sur l’impact de la Covid-19 sur 441 acteurs culturels (LARTES et al., 2021). Enfin, les impacts de la Covid-19 sur les petites et moyennes entreprises (PME) sont démontrés grâce aux renseignements tirés de l’étude du LARTES-IFAN menée en partenariat avec Lux Dev avec le soutien de l’Union européenne sur 200 PME dans les cinq régions Sud et Est (LARTES, 2021b). De même, les ajustements favorables entraînés par cette pandémie sont décrits. En conclusion, des pistes d’actions sont proposées.
- La situation socio-économique du Sénégal avant les premiers cas de Covid-19 -
Des conditions de vie précaires ont caractérisé la situation au Sénégal avant la Covid-19 comme le révèle l’enquête sur 16 000 ménages représentatifs à l’échelle départementale (Fall et al., 2021a et LARTES-IFAN, 2019). Le contexte était d’ores et déjà marqué par des disparités géographiques encore fortes (Dakar, la capitale regroupe 31% de la population du pays) ; des établissements humains multipolarisés et des régions nouvelles peu habitées (la région de Kédougou est habitée par 1% de la population sénégalaise). Les mêmes données montrent que la dynamique collective était définie par une grande taille des ménages (plus de 9 personnes en moyenne), dirigés par les chefs de ménage âgés entre 40-59 ans et un quart des chefs de ménage sont des femmes.
En outre, la précarité des ménages persistait en considérant que 34% des ménages sont locataires, hébergés ou vivent dans un habitat bricolé ; 60% des ménages ne disposent pas de sol en ciment, un quart n’a pas de mur du bâtiment principal en matériaux définitifs ; près de 2/3 des toits des habitations ne sont pas en béton. De même, une bonne partie des ménages (40%) n’ont pas accès à l’électricité ; une grande majorité (79%) n’ont pas de toilettes modernes et /ou n’ont pas de réfrigérateur (70%).
Cependant, entre 2016 et 2019, le niveau de vie des Sénégalais était en meilleure progression que le cadre de vie (Figure 1 à voir en illustration de ce texte). Les données ménages de Jàngandoo montrent que même si en 2019 près du tiers des ménages (32,7% en 2019 contre 42,7% en 2016, présente un niveau de vie « faible » (soit une réduction de la pauvreté de 10 points), le pays connut un léger élargissement des classes moyennes (45,1% en 2019 et 43,8 % en 2016) et surtout un accroissement significatif de près de 10 points entre 2016 et 2019 de ménages ayant un niveau de vie « élevés » (22,2% en 2019 contre 13,5% en 2016).
Cette situation révèle l’intérêt de privilégier l’approche communautaire dans la gouvernance. En effet, les citoyens sont fortement associés à la fois dans différentes communautés d’appartenance religieuse, coutumière, associative, familiale, professionnelle, laissant ainsi régenter une part importante de leur vie par la régulation exercée en groupes socioculturels et socio-économiques. Il s’y ajoute une économie fortement dominée par le secteur dit informel ainsi que le relève le Recensement Général des Entreprises au Sénégal (ANSD, 2016) avec 97% de PME contre seulement 3% de grandes entreprises qui cependant contrôlent 83% des investissements.
- La situation sanitaire au Sénégal au moment où intervient la Covid-19 -
Sur le plan de la santé, lorsqu’intervient la Covid-19, les maladies infectieuses étaient à la baisse, tandis que les maladies métaboliques connaissaient un accroissement exponentiel. Selon les données de l’enquête STEPS 2015 produite par l’ANSD (2015), 42% des décès étaient liés aux maladies non infectieuses. Les mêmes données indiquent que 45% des femmes et 27% des hommes étaient touchés par l’hypertension artérielle. Cette situation indexe les modes alimentaires de consommation ainsi que la détérioration de l’environnement (pollution atmosphérique et hygiène de vie). Ces données montrent également que l’exposition aux comorbidités est forte. Parallèlement, malgré les efforts de l’État, seuls 16,9%[1]des ménages bénéficient d’une couverture sociale tout programme confondu selon l’enquête ménage réalisée par le LARTES-IFAN en 2019 (LARTES, 2019). On retrouve là l’urgence d’étendre rapidement, tant pour le nombre de personnes couvertes que la qualité des prestations, le système de protection sociale.
Si on s’intéresse aux différents programmes de couverture sociale (Figure 3 en illustration de ce texte), la bourse de sécurité sociale est la couverture prépondérante à hauteur de 62.4%, suivi de la Couverture Maladie universelle (CMU) qui recueille 20.7%, tandis que les Instituts de Prévoyance Maladie (IPM) centrés sur les employés assurent 7.9% ; les assurances privées pour 5.5 % et les gratuités de soins de santé pour 2.3%. Les autres couvertures restent résiduelles de l’ordre de 1.2%.
- Les principaux résultats des études sur les impacts de la Covid-19 sur la société sénégalaise -
Le LARTES a réalisé en collaboration avec l’IFPRI une étude sur l’impact de la Covid-19 sur 3 003 femmes rurales en 2020. Avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, une autre étude sur l’impact de la Covid-19 sur la famille autour de 700 ménages en 2021 a été menée sur quatre régions (Dakar (Ouest), Diourbel (au centre), Tambacounda (Est) et Ziguinchor (Sud).
Les résultats de ces études mettent en exergue trois facteurs majeurs que sont :
- L’évolution de l’indicateur de faim qui est passée du simple au triple dans les deux zones rurales des régions d’étude que sont Kolda (Sud) et Kaolack (Centre) ;
- La baisse du bien-être émotionnel des femmes : autrement dit, avec la Covid-19 les femmes se sentent de plus en plus malheureuses (figure 5) ;
- La détérioration des liens familiaux pendant la Covid-19 dans la mesure où 89,1% des chefs de ménage estiment que les liens familiaux dans leur ménage se sont détériorés avec la Covid-19 dont 48,8% de manière « forte »..
Néanmoins, des changements notoires ont été relevés, car la crise de la Covid-19 a renforcé les échanges entre les générations. La présence accrue des membres du ménage durant le semi-confinement a favorisé la réalisation d’activités communes. On note un changement positif dans toutes les régions dans la réalisation d’activités communes. Notons que la tendance à la baisse dans la réalisation d’activités communes est plus observée à Dakar (capitale et à l’ouest) et à Ziguinchor (Sud).
Du point de vue de la répartition des tâches au sein du ménage entre les hommes et les femmes, il n’y a pas eu de changements majeurs. Cependant, les hommes se sont investis davantage dans les tâches réservées aux femmes que l’inverse.
En outre, la quasi-totalité des ménages a fait face à des contraintes financières. Le fait de passer plus de temps ensemble n’a pas favorisé une meilleure communication au sein des couples. Des dégradations sont assez marquées à Dakar et à Ziguinchor et les améliorations sont marginales.
- Les impacts de la Covid-19 sur les acteurs culturels ne sont pas en reste -
Une autre étude du LARTES réalisée en 2021 avec le Musée des Civilisations Noires et le Musée Théodore Monod de l’IFAN sur l’impact de la Covid-19 sur 441 acteurs culturels montre que la pandémie a engendré un manque à gagner pour l’écrasante majorité des acteurs culturels : 95,9% d’entre eux déclarent avoir subi des pertes suite à la pandémie. (voir figure 7 en illustration de ce texte)
- Les impacts négatifs et massifs de la Covid-19 sur les PME -
Le LARTES-IFAN en collaboration avec Lux Dev avec le soutien de l’Union européenne a réalisé une évaluation sur 200 petites et moyennes entreprises (PME) dans les cinq régions Sud et Est du Sénégal : Ziguinchor, Sédhiou, Kolda, Kédougou et Tambacounda en avril-mai 20221. Il apparaît que la Covid-19 plombe les entreprises. Effectivement, l’enquête révèle que les pertes subies (92.7% [2]) par les entreprises en raison de la pandémie de COVID-19 s’avèrent importantes compte tenu du fait que la quasi-totalité d’entre elles sont de petite taille. Face à la crise sanitaire, plusieurs entreprises rencontrent une baisse d’activité qui se traduit par des pertes de revenus. La situation liée à la pandémie entraîne souvent des difficultés conduisant à une cessation complète de l’activité (faillite, liquidation, etc.).
- De quelques ajustements favorables entraînés par la Covid-19 -
L’un des impacts de la Covid-19 sur le mode de travail est le recours au télétravail qui a maintenu beaucoup d’entreprises et de structures publiques en activité. Les secteurs qui étaient en avance sur la digitalisation ont mieux résisté à la pandémie. Le télétravail a maintenu les entreprises en activité. Des niches favorables se sont développées dans le domaine de la cosmétique, de la fabrication et de la vente de masques, des produits chimiques, etc.
Le domaine du transport a également subi des ajustements favorables avec le développement des formes de transport rapides causées par la Covid-19. Les populations font régulièrement recours aux convoyeurs (Tiak Tiak, Car rapide Prestige, Yobante, etc.) notamment pendant les périodes de limitation des déplacements. Cela a entraîné une prolifération des deux roues (jakarta) et des calèches (transport de bagages). Néanmoins, il est utile de surveiller les externalités négatives de ces innovations sociales qui se traduisent par davantage d’accidents, la sédentarité des personnes gestionnaires de l’économie domestique, entre autres, la restriction des loisirs entraînée par l’amplification de l’espace de travail dans la sphère domestique, etc.
- Pistes d’actions -
L’heure est venue d’évaluer la riposte, de soutenir l’emploi et les secteurs sociaux que sont la santé, l’éducation, la protection sociale, le transport, les acteurs culturels, etc.
Sur le plan de la communication, une évaluation de la campagne médiatique au grand public devient incontournable tout en mettant en avant la communication de proximité ainsi que l’acceptation sociale des vaccins anti Covid-19.
Sur le plan de l’engagement communautaire et professionnel, il nous faut évaluer l’implication des leaders religieux et communautaires selon l’évolution de la pandémie. Les bouleversements familiaux observés sont plus durables et leurs portées futures méritent une grande attention.
La protection du monde du travail et l’accroissement de la création d’emploi constituent des stratégies inévitables pour le secteur entrepreneurial et du travail. De même, la mise en place des fonds dédiés aux PME soutiendra ces initiatives.
La Covid-19 a appris aux décideurs l’urgence de développer des stratégies globales de santé publique en favorisant des investissements structurants pour les secteurs sociaux. Le soutien exceptionnel aux personnels de santé s’avère indispensable afin de compenser de manière significative les nombreux efforts et coûts induits par la pandémie.
Pr Abdou Salam Fall est socio-anthroplogue, Directeur de recherche titulaire des Universités en Sociologie, Coordinateur du Laboratoire de Recherche sur les Transformations Économiques et Sociales (LARTES-IFAN). Riche d’une expérience de plus de trois décennies en études de développement, il dirige depuis 15 ans la formation doctorale « Sciences Sociales appliquées au Développement ». Il a publié de nombreux articles et une quinzaine de livres au sein de maisons d’éditions internationales.
Dr. Rokhaya Cissé est sociologue, Chargée de recherche titulaire, chercheure à l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN-CAD). Elle étudie les manifestations des faits sociaux à partir de deux composantes : la qualité du capital humain (éducation, santé, genre, protection de l’enfant, pauvreté et vulnérabilités) et les changements sociaux à partir de l’analyse de la gouvernance et l’élaboration d’outils dans l’accompagnement à la prise de décision.
Dr Soufianou Moussa est démographe, économiste et économètre, chargé de recherche titulaire à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN). Il est diplômé de l’Université Paris Descartes où il a obtenu un Doctorat en Démographie et Sciences sociales. Ses intérêts de recherche portent essentiellement sur la qualité de l’éducation, la pauvreté, les statistiques et l’évaluation des interventions de développement.
Dr Moustapha Seye est chargé de recherche titulaire à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN). Il porte un intérêt particulier à la gouvernance environnementale, à la sociologie du genre, de l’alimentation, aux questions de l’enfance, de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, de cash transfert et de résilience des communautés au Sénégal et dans la sous-région.
[1] LARTES: Baromètre Jangandoo (16000 ménages), 2019.
[2] LARTES: Impact de la COVID-19 sur les PME (200 PME), 2021
Références documentaires
ANSD, 2016, Recensement Général des Entreprises au Sénégal.
ANSD. (2015). Enquête STEPS 2015.
FALL, A. S., CISSÉ, R., MOUSSA, S., LÔ C. (2021). Résultats prémilitaires de Jàngandoo 2019. Policy Brief.
FALL, A. S., SÈYE, M., LÔ C., Leport, A., Peterman, A., Hidrobo, M. (2021). Les femmes rurales sénégalaises à l’épreuve de la Covid-19, Revue Recherches & Educations. Numéro Epistémologies du Sud et santé.
Fall, A. S. (2021). Allo Docteur du 03 2021Sud FM avec le Professeur Abdou Salam Fall. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=FmzTRBfcCso
LARTES. (2019). Baromètre Jàngandoo.
LARTES et IFPRI. (2020). Impact de la Covid-19 sur les femmes rurales.
LARTES. (2021a). Impact de la Covid-19 sur la famille.
LARTES, Musée des Civilisations Noires, et le Musée Théodore Monod. (2021). Impact de la Covid-19 sur les acteurs culturels.
LARTES. (2021b). Impact de la Covid-19 sur les PME.