L’ESPOIR PASSE PAR LE RAIL
Depuis quelques années, le spectacle désolant de passagers prenant d’assaut les trains pour se rendre au Magal de Touba ou au Gamou de Tivaouane nous rappelle, hélas, une erreur monumentale : celle d’avoir laissé le chemin de fer mourir de sa belle mort.

Depuis quelques années, le spectacle désolant de passagers prenant d’assaut les trains pour se rendre au Magal de Touba ou au Gamou de Tivaouane nous rappelle, hélas, une erreur monumentale : celle d’avoir laissé le chemin de fer mourir de sa belle mort.
Une mort orchestrée par les programmes d’ajustement structurel imposés au Sénégal par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, dans les années 1980. Depuis lors, l’imaginaire populaire se nourrit de lointains souvenirs de la belle époque, ces moments inoubliables où la vie socioéconomique des localités traversées battait au rythme du sifflement du train, qui déversait toutes sortes de personnes et de produits et en embarquait d’autres avant de continuer son chemin. Progressivement, le rail, qui était la colonne vertébrale de l’économie coloniale, a perdu sa vocation, dans un contexte de crise. Sous Macky Sall, d’ambitieux projets de relance ont permis de garder espoir (reprise de la ligne Dakar-Bamako par le Sud, avec de nouveaux standards et une charge à l’essieu augmentée de 15 à 22 tonnes, lancement d’un Train express régional).
Avec l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, les choses bougent dans la bonne direction, notamment avec l’ambitieux programme de construction de 2000 kilomètres de nouvelles voies ferrées à écartement standard, qui devrait mailler le territoire national. La ligne Dakar-Tambacounda est érigée en priorité pour relancer les échanges entre le Sénégal et le Mali. Il ne reste plus qu’à dérouler pour rouler. Mais que de péripéties et d’années perdues avant de faire renaître l’espoir. Et pourtant, un simple coup d’œil dans le passé aurait permis de se rappeler que la mise en valeur des colonies dont le Sénégal a été intrinsèquement liée au rail. « Sans le chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny », disait l’explorateur Henry Stanley à la fin du 19e siècle. À leur indépendance, les pays africains ont hérité d’un réseau ferroviaire reliant l’hinterland aux villes côtières pour l’acheminement des produits agricoles et autres matières premières vers la métropole. Et très peu de pays ont investi dans la densification de ce réseau légué.
Au contraire, des lignes ont été laissées à l’abandon purement et simplement. Aujourd’hui, force est de constater que le rail a bel et bien sa place dans la croissance soutenue des pays africains notée ces dernières années. D’abord, avec sa plus grande longévité, il est moins cher que le transport routier, un seul train permettant d’acheminer de plus grandes quantités de frets sur de grandes distances. Tout comme l’avion, c’est le moyen de transport le plus sûr, étant moins exposé aux accidents qu’un camion gros porteur. Mais le chemin menant à la renaissance des chemins de fer en Afrique est très long. À la hauteur des conséquences de l’abandon d’un secteur vital. L’immense déficit infrastructurel induit une perte de croissance économique estimée à 2% par an et de 40% en productivité, révélait lors d’un forum à Dakar (19-21 octobre 2023) le président de l’Union internationale des Chemins de fer/Région Afrique Mohamed Rabie. Le réseau panafricain est handicapé par sa faible densité, sa couverture territoriale ne dépassant pas 6% du réseau ferré mondial, pour un continent qui représente 20% de la superficie de la Terre et abrite 17% de sa population, ajoutait-il.
Alors que, à en croire une étude de 2021 de la Chinese academy of sciences de Beijing, le rail pourrait faire baisser les coûts externes du transport d’au moins 47,5% par passager au kilomètre et 75,4% par tonne de marchandises au kilomètre, en comparaison au transport routier. Et c’est moins nocif pour l’environnement aussi, l’étude révèle que le fret ferroviaire produit 75 à 85% d’émissions de gaz à effet de serre en moins par unité de transport par rapport aux camions articulés. Soit un gain de 0,1 à 0,4 centime par tonne-kilomètre nette. Mais face à la lourdeur des investissements pour un nouveau départ, les pays africains sont obligés de s’allier au secteur privé à travers des Ppp. Ceci après avoir tiré les échecs retentissants des contrats de concession passés. Le train menant aux « Réseau intégré de trains d’Afrique », projet phare de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, passe par l’interconnexion des grandes métropoles. Le succès de la Zlecaf sera aussi tributaire de la création et l’optimisation de corridors ferroviaires bien réfléchis pour être rentables, à travers le continent.