MALAISE AU SOMMET DE L’ÉTAT
Entre un président poussant à faire pression sur la justice, un Premier ministre revendiquant le contrôle du Garde des sceaux, et un ministre affirmant son indépendance, le nouveau régime expose ses contradictions sur la séparation des pouvoirs

Il est malheureux que les confrères qui avaient en face d’eux le président de la République (dans le cadre de son «Face à la presse») n’aient pas émis la moindre objection lorsque Diomaye Faye a déclaré qu’il appartient aux Sénégalais de mettre la pression sur la Justice afin de contraindre cette dernière à faire son travail. Parce que, a ajouté le chef de l’Etat, «on ne peut pas identifier des tiers épinglés par les différents corps de contrôle et que la Justice se mette à traîner les pieds».
Avant Diomaye, son Premier ministre, Ousmane Sonko, lors de la campagne électorale pour les Législatives, avait clairement fait savoir que le ministre de la Justice n’était ni un homme libre ni un homme indépendant. Que lui, Premier ministre, avait le pouvoir d’ordonner au Garde des sceaux de poursuivre telle ou telle personne, et que ce dernier était tenu de s’exécuter. «Le ministre de la Justice n’est pas une autorité judiciaire, c’est une autorité politique», avait-il justifié. Ce à quoi le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, avait rétorqué plus tard disant que personne ne pouvait mettre la pression sur sa personne, «surtout dans un sens déterminé», et qu’il ne fallait pas non plus compter sur lui pour mettre la pression sur les magistrats du Siège.
Au président Diomaye : comment mettre la pression sur la Justice ? En assiégeant le bâtiment qui abrite le ministère ? En organisant des marches de protestation ? En kidnappant des magistrats ? En brûlant leurs maisons ? En déversant sur eux et sur leurs familles des insanités sur les réseaux sociaux ? Bref, l’on ne demande qu’à savoir comment nous y prendre.
En attendant, nous estimons que ces propos sont d’une gravité extrême, a fortiori lorsqu’ils sortent de la bouche du chef de l’Etat en personne. Le problème est simple : vous n’êtes pas d’accord avec la posture de votre ministre ? Dégommez-le et placez une marionnette à la place, au lieu d’un appel à l’émeute ou au soulèvement ! Au Premier ministre Ousmane Sonko : combien de Sénégalais ont perdu la vie du fait, aussi, d’une Justice dont il disait qu’elle était instrumentalisée ? Aujourd’hui, Premier ministre, M. Sonko nous rappelle qu’il a les pleins pouvoirs et qu’il pouvait manipuler la Justice à sa guise. Lui est fondé à le faire, mais ses devanciers, non. En tenant ces propos, Sonko avoue qu’il ne fallait pas compter sur ce régime pour opérer la rupture pour laquelle des centaines de Sénégalais ont sacrifié leur vie. En fait, le moins que l’on puisse dire est que la communication de nos dirigeants actuels est d’un catastrophisme inquiétant.
Au ministre de la Justice, Ousmane Diagne : pour votre honneur et pour votre dignité, rendez le tablier !