PRESSE, GAGNER L’AMERE DES BATAILLES
Si des organes de presse ont eu, au cours de leur histoire, à faire face à l’abus de pouvoir des autorités étatiques, on ne peut pas dire que toute une corporation a ainsi été mise à l’index

Une presse libre, crédible et indépendante, cela risque bientôt de devenir une denrée plus que rare dans le pays de «Sonko moy Diomaye», dans les semaines, mois ou années à venir. Le contexte actuel rend l’exercice du métier assimilable à celui d’un funambule sans filet, entre deux gratte-ciel dans le ciel de Manhattan, à New York. En plus d’entraves administratives et fiscales que le nouveau régime a, dès son arrivée aux affaires, posées sur la route des médias, en vue de les asphyxier littéralement, nous sommes passés à des injonctions pour leur interdire toute diffusion. Le 25 avril dernier, c’est un arrêté ministériel, signé du ministre Alioune Sall, qui enjoint à ceux qu’il appelle des «médias non conformes» de mettre fin à leurs parutions dès notification. Certains organes ont d’ailleurs subi le couperet de l’arrêté en question.
Si des organes de presse ont eu, au cours de leur histoire, à faire face à l’abus de pouvoir des autorités étatiques, on ne peut pas dire que toute une corporation a ainsi été mise à l’index. En dehors des organes dont on se demande dans quelle mesure ils n’appartiennent pas à des tenants du pouvoir, on peut aujourd’hui affirmer que le degré de crédibilité de certains organes se mesure par les atteintes à la liberté d’exercer leur métier qu’ils subissent. Le Quotidien en parle avec assurance, pour avoir fait l’objet d’attaques, non seulement à travers la personne de son éditeur et ancien Administrateur général, mais aussi par des convocations intempestives de son Directeur de publication. Sans parler de la résiliation des conventions de publicités ou du blocage des comptes de l’entreprise.
Parler de toutes les avanies à l’encontre de la presse sénégalaise ne vise pas à apitoyer l’opinion, car dans sa majorité elle est bien informée de cette situation. Il s’agit tout simplement de démontrer que le nouveau pouvoir au Sénégal, dans son tâtonnement, n’appuie pas encore sur le bouton qui sortira le pays de l’ornière dans laquelle cette politique erratique nous plonge.
Le même 24 avril où son ministre de la Communication sortait son arrêté qu’il a placé au-dessus de la loi et du Code de la presse sénégalais, Bassirou Diomaye Faye présidait, au Cicad, la 4ème édition de la Conférence sociale sur l’emploi et l’employabilité des jeunes. Il a, à cette occasion, reconnu que le défi de l’emploi des jeunes au Sénégal se heurte, entre autres, à des obstacles qui ont pour noms «une démographie croissante, une population très jeune et une économie dominée par le secteur informel». Il a également reconnu que plusieurs initiatives ont été prises depuis des années pour la création d’emplois sans résultats concrets. Le chef de l’Etat a déclaré, dans son discours introductif, avoir pris des mesures pour promouvoir l’emploi et l’employabilité. Il a d’ailleurs détaillé certaines de ces mesures qui imposent notamment, selon le président Faye, «d’instaurer un dialogue responsable entre le gouvernement, les organisations d’employeurs, les organisations syndicales de travailleurs et la Société civile. C’est cela le garant d’un cadre d’épanouissement aux entreprises et de la sauvegarde des intérêts des travailleurs. Le dialogue doit être permanent, surtout en temps de paix qui offre plus de calme et de sérénité propices à des opportunités de résultats constructifs pour un environnement économique et social sain. Un climat social apaisé en milieu de travail contribue fondamentalement à l’accroissement de la productivité et de la compétitivité».
Le plus admirable, si l’on peut dire, est que le chef de l’Etat connaît le mal qui ronge le tissu social du pays, il en a fait un diagnostic sérieux et cohérent… mais peine à assurer la mise en œuvre complète des solutions et remèdes qu’il recommande. Ainsi, dans les axes de travail qu’il propose dans son discours, le troisième vise à «placer l’innovation et l’entrepreneuriat au cœur des actions de développement économique, avec une attention particulière aux startups technologiques et aux entreprises innovantes qui sont des moteurs essentiels de compétitivité et d’opportunités économiques pour la jeunesse à l’horizon 2050».
Si Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall avaient pratiqué sa rhétorique, la majorité des organes de presse actuels n’auraient pas existé dans le paysage audiovisuel sénégalais. En dehors des organes de l’Etat comme la Radiotélédiffusion sénégalaise (Rts), Le Soleil ou l’Agence de presse sénégalaise (Aps), tous les autres sont le fruit de l’initiative privée. Il a fallu des pionniers comme Babacar Touré, Sidy Lamine Niasse, ainsi que d’autres, pour croire à l’inéluctabilité de l’ouverture médiatique, dans un contexte où la liberté de la presse était fortement encadrée par les pouvoirs publics. Leur intrépidité a fait que la censure préalable, héritée du régime de Léopold Senghor, sous la forme pudique de «loi sur le dépôt légal», n’a jamais vraiment été mise en application depuis Abdou Diouf. Pourtant, la presse sénégalaise n’a jamais connu de dérapages éditoriaux comme ceux qui ont caractérisé des confrères dans certains pays de la sous-région.
Le sens des responsabilités et l’esprit d’entreprenariat des acteurs des médias ont créé un appel d’air qui attire plein de jeunes Sénégalais vers l’exercice du métier de journaliste. Grâce à cela, on a vu fleurir, au côté de l’Ecole de formation des journalistes qu’est le Cesti, plusieurs autres structures offrant une formation plus ou moins digne de recommandation, et qui contribuent, chacune à sa manière, à asseoir la belle réputation de formation du Sénégal. Ce sont, chaque année, des dizaines de jeunes ressortissants de plusieurs pays d’Afrique qui viennent se former au Sénégal au métier qu’ils adorent. On pourrait donc affirmer que la liberté de la presse a non seulement permis de consolider les racines de la démocratie sénégalaise, éveiller la conscience de nos citoyens, mais surtout a créé des emplois et permis de résorber le chômage, dans un environnement des plus défavorables sur le plan juridique.
En effet, si la presse est aujourd’hui considérée comme un fourre-tout où sont casés des résidus de la politique politicienne, toute la classe politique en est responsable. Il a fallu plusieurs années pour que soit voté le Code de la presse. Et beaucoup plus de temps encore pour en voir des décrets d’application. Et quand des éléments comme la Carte nationale de presse sont finalement rendus obligatoires, ils perdent leur valeur en n’étant pas en mesure de distinguer les journalistes «sérieux» des autres. Plus encore, le Fonds d’aide à la presse, qui est voté par la loi, est très souvent réparti en dehors de toute forme de transparence. Au point qu’il y a des années où l’on reprochait à des ministres de contribuer à la création de certains organes à l’approche de la date de distribution de ces fonds. Une manière de rétribuer une certaines clientèle, disait-on.
Mais le fond a été atteint l’année dernière, quand le gouvernement a décidé de bloquer tout simplement l’argent voté par la loi, et ce sans aucune explication. Le président Faye s’est permis de déclarer à des journalistes qu’il recevait, que ledit montant devrait passer, pour cette année, d’1, 4 à 4 milliards pour les médias. Sans rien dire de la cagnotte de l’année dernière. Et personne ne lui a demandé si le meilleur moyen de contraindre les médias à respecter la loi consisterait, pour le gouvernement, à violer lui-même la loi ?
Quoi qu’il en soit, l’asphyxie de certains organes a non seulement réduit des journalistes au chômage, mais surtout conduit des reporters à la précarité. On peut croire que le chef de ce gouvernement, qui avait annoncé un «Mortal kombat» afin d’accéder au pouvoir, pense qu’il lui suffirait de gagner la première bataille contre la presse, considérée comme le bras armé de ses adversaires. Cela prouve qu’il ne connaît pas l’histoire de la presse de ce pays. Sinon, il comprendrait que les moyens dont il use aujourd’hui avaient existé bien avant son entrée en politique. Et ils n’ont pas permis de domestiquer les hommes et femmes qui exercent ce métier. Ce n’est donc pas lui, dans le délai qui lui est imparti, qui pourrait gagner cette amère des batailles.