THIAROYE 44, ENTRE ESPÉRANCE ET FRUSTRATIONS
Le plus symbolique dans la cérémonie organisée pour commémorer ce que désormais tout le monde appelle « le massacre de Thiaroye » c’est sans doute que c’était « notre » cérémonie, par nous, entre nous et à notre discrétion

Le plus symbolique dans la cérémonie organisée pour commémorer ce que désormais tout le monde appelle « le massacre de Thiaroye » c’est sans doute que c’était « notre » cérémonie, par nous, entre nous et à notre discrétion. Nous en avions assez d’être invités, et d’être souvent des invités relégués au rang de faire-valoir, dans des manifestations où on célébrait nos misères et nos sacrifices, en donnant l’impression qu’en fin de compte nous n’avons jamais été que la cinquième roue de la charrette. Cette fois nous étions les concepteurs, les organisateurs et les maîtres de cérémonie et, symboliquement, toute l’Afrique était là, celle de la savane et celle de la foret, l’ouest et l’est, le centre et le nord, pour rappeler au monde une tragédie parmi d’autres vécues par l’Afrique coloniale, dont le souvenir avait été longtemps enseveli sous le poids de la morgue et de l’injustice.
Un seul regret: il manquait à cette cérémonie la présence, au plus haut niveau, des représentants des pays dont les fils avaient constitué le principal filon de recrutement de ce qu’on a appelé « Tirailleurs Sénégalais » : le Mali, ancien Soudan français, et le Burkina Faso, ancienne Haute Volta. En revanche la France était présente, non à la place qu’elle avait l’habitude d’occuper, mais à celle qui lui a été assignée, ni en grandiloquent maître des horloges, ni en victime expiatoire. Une fois n’est pas coutume et contrairement à l’un de ses prédécesseurs, Jean Yves Le Drian qui tutoyait le Président de la République du Sénégal en public comme s’ils avaient gardé les vaches ensemble, son représentant s’est montré discret, à moins que ce ne soit l’estocade reçue à Ndjamena qui lui ait servi de leçon. Il a dit des mots justes et bien choisis et surtout il a fait cet aveu impensable il n’y a pas longtemps :la France reconnait que Thiaroye a été un massacre !
Dieu, que ce fut difficile d’en arriver à cette évidence.
On peut dire néanmoins qu’un pas décisif a été franchi, mais il en reste bien d’autres, ne serait-ce que de nous éclairer sur ce qui a été à la base de cette tragédie et de nous dire, passé le moment solennel du recueillement, où est passé l’argent qui n’a pas été versé aux Tirailleurs. Il restera à l’ancienne métropole à traduire ses paroles en actes, et l’Histoire nous a appris que dans le domaine de la repentance (même si le mot n’a pas été prononcé) il y a loin de la coupe aux lèvres. La vraie question est de savoir si France est prête à solder son passé colonial, comme ont tenté de le faire la Belgique ou les Pays Bas.
S’il nous reste un peu de frustration, c’est qu’il y a quelquefois des moments où l’Histoire bascule, et personne n’aurait imaginé que la prise d’une prison, où s’ennuient une demi-douzaine de malheureux privilégiés et par une marée de va nupieds, aurait pu provoquer une des plus grandes révolutions de l’ère moderne.
La cérémonie de ce 1e décembre aurait pu constituer un tournant dans les relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique si un deus ex machina s’était donné la peine d’y mettre du sien. Imaginons que le président français y soit présent, non pas en vedette américaine, comme sans doute il l’avait envisagé, mais simplement en homme en bonne volonté. Imaginons que les présidents du Mali et du Burkina sortent de leur sublime isolement et fassent le voyage de Dakar. L’ordre protocolaire alphabétique aurait placé Macron à côté de Goita et qui sait ce qui se serait passé ? Imaginons que le président de l’ancienne puissance coloniale relègue son arrogance aux oubliettes, tende la main à son voisin et prononce ces mots que son pays refuse toujours d’assumer : des excuses ! Thiaroye 2024 aurait été un grand moment de diplomatie ! La rencontre n’a pas eu lieu, mais il n’en reste pas moins que la commémoration des 80 ans du massacre de Thiaroye doit être l’acte 1 d’une série de manifestations domestiques dont le but est de savoir ce qui s’est réellement passé sur tous ces sites de douleur qui parsèment nos pays et troublent notre mémoire, à Dimbokoro, à Sétif, à Madagascar et ailleurs. Pour que ce qui vient de se passer ne soit pas qu’un moment de solennité médiatique, il importe que dans nos écoles, nos collèges et nos lycées, les maitres et les professeurs se l’approprient enfin et l’inscrivent dans la mémoire de leurs élèves. Si ceux-ci ont besoin de viatique, s’ils se posent encore la question de savoir s’ils peuvent relever la tête, alors qu’ils puisent leur inspiration dans ce poème de Maya Angelou, « Still I rise », que Didier Awadi aurait pu inscrire dans son répertoire de ce jour ,et dont voici quelques extraits :
« Vous pouvez me citer dans l’Histoire,
Avec vos mensonges amers et tordus,
Vous pouvez me trainer dans la boue,
Mais comme la poussière je m’élève encore …
Vous pouvez m’abattre de vos paroles,
Me découper avec vos yeux,
Me tuer de toute votre haine,
Mais comme l’air je m’élève encore…
Hors des cabanes honteuses de l’Histoire Je m’élève
Surgissant d’un passé enraciné de douleur
Je m’élève !
Je suis un océan noir, bondissant et large,
Jaillissant et gonflant je porte la marée
Laissant derrière moi des nuits de terreur et de peur
Je m’élève
Vers une aube merveilleusement claire
Je m’élève
Emportant les présents que mes ancêtres m’ont donnés
Je suis le rêve et l’espérance de l’esclave
Je m’élève,
Je m’élève,
Je m’élève !