AUCUN PALAIS NE VAUT UNE VIE HUMAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Macky et les siens vont s'accrocher au pouvoir avec l'énergie du désespoir. C’est sous son règne que l'instrumentalisation de la justice est la plus flagrante, systématique et massive - Des propos insensés de Sonko envers Adji Sarr

Ce texte est la version française, une exclusivité SenePlus, d'un entretien en wolof avec Pape Ali Diallo, directeur de publication du journal en ligne Lu Defu Waxu: (https://www.defuwaxu.com/bubakar-boris-joob-bindkat-kenn-warul-a-nedd-ng...). Ousseynou Bèye et Ndèye Codou Fall en ont assuré la traduction. Une précision importante : l'interview que vous allez lire est, tout comme celle avec le quotidien espagnol El Pais, antérieure de plusieurs jours à la tribune co-signée par Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Mbougar Sarr sous le titre "Cette vérité que l’on ne saurait cacher".
Lu Defu Waxu : Quelle est votre lecture globale des événements depuis le verdict du 1er juin ?
Boubacar Boris Diop : C’est jeudi dernier que la justice a condamné Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme, pour l'empêcher de se présenter à la présidentielle de février 2024. Je comprends et je partage la colère causée par un verdict aussi insensé. Comme beaucoup d'autres, j'ai été gêné que depuis plus de deux ans il ne soit question au Sénégal que d'une affaire de mœurs en lieu et place de sujets tels que l'éducation ou la santé des Sénégalais. Le plus choquant, c'est qu'on découvre au final qu'Ousmane Sonko n'a jamais violé personne et que cette affaire a été montée de toutes pièces. Ceux qui ont ourdi ce complot ont échoué sur toute la ligne, car même en son absence et celle de ses avocats, le tribunal n'a eu d'autre choix que de l'acquitter des chefs d'accusation de viol et de menaces de mort. Aujourd'hui, les pieds-nickelés ayant entraîné notre pays dans ce torrent de boue nous doivent au moins des excuses. Cette affaire nous a en effet coûté très cher, on continue à compter les morts, notre économie s'en sortira affaiblie et nous sommes devenus la risée du monde entier. Je pense aussi que ceux qui ont poussé au procès malgré les incohérences manifestes de l'accusation et la légèreté du dossier ont une lourde responsabilité dans cette situation.
- Et cette condamnation à deux ans de prison …
- Le verdict est une preuve irréfutable du complot ourdi contre Sonko. Le tribunal s'est vu forcé de l'acquitter tant les charges contre lui étaient ridicules mais n'a pas osé le laisser libre car derrière, il y avait une commande politique à honorer. Le juge Issa Ndiaye et le procureur qui lui en a soufflé l'idée, in extremis, resteront dans l'histoire comme ceux qui nous ont fait découvrir ce délit de "corruption de la jeunesse" bien difficile à cerner du reste. Il figure, certes, dans notre Code pénal mais Sonko est à ma connaissance le premier de nos compatriotes qu'il envoie en prison. Macky Sall et sa justice mais aussi tous ceux qui se sont refugiés derrière Adji Sarr pour attenter à l'honneur d'un opposant, doivent des comptes au pays.
- Et Adji Sarr elle-même… ?
- Si cela ne dépendait que de moi, on aiderait plutôt Adji Sarr à refaire sa vie au lieu de l'accabler. Je ne vois pas comment à son âge elle aurait pu résister à des manipulateurs fortunés et puissants. En plus, il y a une réelle inquiétude sur son avenir proche. Ce qui est terrible, c'est qu'elle va rester prisonnière de ces gens, ils ne peuvent peut-être même pas prendre le risque de l'envoyer à l'étranger, car elle pourrait leur échapper. Mais on ne l'imagine pas non plus vaquant à ses occupations à Dakar, Saint-Louis ou Diourbel. Selon moi, on doit avoir de la compassion pour Adji Sarr, je crois qu'il faut surtout l’aider.
- Et les attaques de Sonko contre elle ? « Une guenon ayant eu un AVC » ...
- De telles paroles sont tout simplement insensées. Je n'en ai pas cru mes oreilles quand je les ai entendues, rien ne peut les justifier, pas même le harcèlement dont est victime Sonko. On ne peut pas aspirer à diriger un pays et perdre son sang-froid au point de s'exprimer d'une façon aussi regrettable. Je sais qu’en ce moment Sonko a autre chose en tête que de présenter ses excuses à Adji Sarr mais pourtant il devrait le faire et par la même occasion s'excuser auprès de ses sympathisants que cette déclaration a sérieusement mis dans l'embarras.
- Beaucoup pensent que Sonko est victime d'un harcèlement sans précédent. Lui-même a dit que l'on n'a jamais vu pareille chose au Sénégal.
- Je suis entièrement d’accord avec cette façon de voir, la persécution de Sonko par Macky Sall n’a pas de précédent dans notre histoire. Il y a eu certes Mamadou Dia et Abdoulaye Wade ou d’autres encore… Mais c’est la première fois qu’un homme politique de cette envergure est aussi bassement attaqué dans son intimité. Peut-on imaginer un seul instant Senghor descendant à ce niveau ? Abdou Diouf a dû faire face à une formidable hostilité, des partisans de Wade ont même été jusqu'à vouloir déterrer le corps de son père à Saint-Louis mais Diouf n'a pas pour autant fouillé dans la vie privée de son rival. Et Wade lui-même, lorsqu’on lui a dit qu'un leader d'opposition avait été filmé dans une position délicate avec une femme, sur la Corniche, il a ordonné que l'on jette ces images à la poubelle, car lui ne mangeait pas de ce pain-là.
- Êtes-vous de ceux qui pensent que Sonko aurait dû se présenter au tribunal ?
- Il n'est pas facile de répondre à cette question. Parfois je me dis que s’il avait été présent avec ses avocats, personne n'aurait osé parler de « corruption de la jeunesse » mais d'un autre côté, il est difficile pour un homme d’honneur de se prêter à un jeu dont la seule finalité est de vous humilier publiquement par des mensonges obscènes. Il ne faut pas non plus oublier que chaque fois que Sonko a voulu se rendre au tribunal, les forces de l'ordre se sont dressées sur son chemin.
- Vous avez dit tout à l’heure que Macky Sall doit rendre des comptes sur l’affaire Adji Sarr. Quid de l'ensemble de sa gestion ? La justice devrait-elle s'y intéresser demain ?
- Il y a de fortes chances qu'il en soit ainsi, ce qui serait là aussi une première dans notre pays. On note ces temps-ci un tel déferlement de haine que le successeur de Macky Sall pourrait être tenté de le charger, de lui demander des explications sur quelques abus de pouvoir aux conséquences très graves. C’est d’ailleurs un élément de l'analyse à ne jamais perdre de vue, Macky Sall et les siens vont s'accrocher au pouvoir avec l'énergie du désespoir par crainte de lendemains incertains. Mais il se pourrait aussi que Sall soit protégé le moment venu par son statut d'ancien président, ses amis occidentaux pourraient lui trouver un poste honorifique à l'international. Ça s'est souvent vu. Mais quid de ses plus farouches défenseurs, magistrats, journalistes etc.? La plupart n'auront nulle part où aller.
- Vous redoutez une "chasse aux sorcières" ?
- Personne ne la souhaite, c'est justement le piège à éviter à tout prix. Ayant beaucoup travaillé sur un pays comme le Rwanda, je sais où peut mener le désir de se venger. C’est d'ailleurs la principale raison pour laquelle j’admire tant Paul Kagamé. Au lieu de relancer le cycle des représailles, il a réussi à réconcilier des citoyens rwandais divisés par le colonisateur sur des bases fallacieuses. Et ce qui s'est passé au Rwanda pendant trente-cinq ans, de novembre 1959 à juillet 1994, est infiniment plus grave que les soubresauts que nous observons actuellement chez nous. On n'a même pas le droit de les comparer mais avec sa longue tradition de tolérance notre pays doit pouvoir s'inspirer de cette logique de dépassement de passions passagères.
- Pensez-vous que Macky a des chances de remporter la présidentielle si jamais il y participait ?
- Libre à chacun de faire son pronostic, mais moi, je suis persuadé que le président sortant n'aurait aucune chance s'il arrivait malgré tout à être candidat. J'en suis si profondément persuadé que je me dis parfois que cette élection n'aura peut-être pas lieu, que le régime fera tout pour la rendre impossible. Cela ne me surprendrait pas que l'on entende bientôt des mots comme "état d'urgence" ou "état de siège" parmi de possibles prétextes à un éventuel report.
- Pourrait-on réellement en arriver là ?
- Je ne suis pas un devin, je ne peux que spéculer comme tout le monde mais je redoute un tel scenario.
- Comment expliquez-vous la popularité d'Ousmane Sonko ?
- Tout le monde s’accorde à dire que le leader de Pastef est un homme de parole, une personne droite et courageuse. Je le pense moi aussi mais il me semble important d'ajouter qu'il n'est pas le seul acteur politique à avoir de telles qualités, on peut en dire autant d’autres leaders, à commencer par Thierno Alassane Sall qui a démissionné d'un important poste ministériel pour marquer son désaccord avec des contrats signés avec "Total" et contraires aux intérêts du Sénégal. En fait, ce qui a propulsé Sonko à de tels sommets de popularité, c'est en plus de sa ténacité, la persécution dont nous avons parlé au début de cette conversation. Vous savez, chez nous, même dans la vie courante, lorsque vous vous acharnez contre plus faible que vous, les gens ne sont pas impressionnés par votre puissance, ils déplorent plutôt votre lâcheté. L'État s'est mobilisé contre le citoyen Ousmane Sonko, bien décidé à l'écraser. Dans ce combat inégal, les Sénégalais ont spontanément pris parti pour la victime. Il se trouve par ailleurs que les accusations contre Sonko étaient sans fondement et cela l'a rendu encore plus sympathique à ses compatriotes. Je veux aussi signaler qu'à la différence de Karim Wade et Khalifa Sall, le fait qu'il ait choisi de résister a très largement joué en sa faveur, surtout auprès de la jeunesse.
- Vous avez dit récemment dans une émission télévisée qu'Ousmane Sonko est à ce jour l'homme politique le plus populaire de l'histoire du Sénégal...
- À mes yeux cela est indéniable. C’est vrai, d'autres avant Sonko ont drainé des foules immenses, Wade par exemple. Mais c'est la première fois que j'observe des rassemblements d’une telle ampleur. Le plus étonnant, c’est que Sonko, qui est assez jeune, n’est entré en politique qu'en 2014.
- Une ascension aussi fulgurante n'est-elle pas la preuve de ses capacités à la fois personnelles et politiques ?
- C’est cela la question de fond, Pape Ali. Si vous dites d'un leader qu'il est le plus populaire de l'histoire de ce pays, certains peuvent y voir un point de vue partisan, vous soupçonner de porter aux nues votre champion. Ce n’est pas le cas. À mon humble avis, il ne suffit pas d'être populaire, d'avoir du charisme pour être apte à diriger un pays. Ousmane Sonko est plus populaire que ne l'ont jamais été Mamadou Dia, Abdoulaye Ly ou Cheikh Anta Diop mais il n'a encore rien fait qui justifierait qu'on le compare à ces immenses figures de notre vie politique. Ousmane Sonko mérite le ferme soutien de tous les démocrates mais il faut savoir raison garder.
- Pouvez-vous développer ce point ?
- Je veux dire que ce soutien doit prendre en compte la dimension humaine. Elle est fondamentale en ce sens qu'on n'a pas le droit de jouer avec l'honorabilité d'une personne. Je soutiens d'abord le père de famille victime d'attaques infâmes et infondées. Et ce citoyen sénégalais a d'autant plus le droit de se présenter à la prochaine présidentielle qu'il a de sérieuses chances d'en sortir vainqueur. Par souci d'équité, pour faire respecter les règles du jeu démocratique, chacun doit se tenir à ses côtés sur cette question éminemment politique. On peut dire que ces deux combats sont d'ores et déjà gagnés, il est prouvé que Sonko n'est pas un violeur et cette histoire de "corruption de la jeunesse" fait rigoler tout le monde. Et aujourd'hui, personne n'imagine une présidentielle 2024 sans lui, même si l'on doit continuer à faire pression sur le régime. Lorsque sa candidature sera acquise, tous ceux qui auront aidé Sonko à laver son honneur et à redevenir éligible, seront quittes avec lui.
- Et à partir de ce moment-là… ?
- À partir de ce moment, il deviendra un candidat comme les autres, un candidat que les Sénégalais vont écouter pendant la campagne électorale pour savoir comment il compte diriger le pays et s'il est apte à le faire. Rien n'est plus sérieux que de confier la destinée de toute une nation à une personne, ce choix ne doit pas être dicté par un simple élan de sympathie pour quelqu'un qui a été martyrisé par le pouvoir autocratique et borné de Macky Sall. D'autres hommes politiques seront en lice, il faudra les écouter eux aussi. Qu'il s'agisse de Khalifa Sall, Abdourahmane Diouf, Idrissa Seck, Thierno Alassane Sall ou Karim Wade, qu'il s'agisse de l'éventuel candidat de l'APR et des autres, il faudra appliquer à tous les mêmes critères de jugement. Ensuite chacun ira voter le 25 février 2024 pour le candidat de son choix. Il est essentiel que nous sortions de la bipolarisation actuelle, ce n'est pas sain de ne parler que de Macky Sall et Ousmane Sonko, il faut donner à tous les postulants sérieux une chance de nous convaincre.
- Selon vous, pourquoi les Sénégalais en veulent-ils tant à Macky Sall ?
- Macky Sall a été porté au pouvoir par un formidable espoir de changement, nous comptions sur le plus jeune de nos présidents pour renforcer la démocratie sénégalaise. Il n'a pas été à la hauteur de ces attentes. Si je le compare à ses prédécesseurs, j'en arrive au constat d'un net recul de la liberté d'expression. Senghor et Diouf n'étaient pas, selon moi, les grands démocrates tant vantés, ils ne supportaient pas vraiment le pluralisme et ils étaient de grands truqueurs d'élections ; quant à Wade, il n’en a souvent fait qu'à sa tête mais aucun de ces trois n’a jamais jeté en prison des centaines de personnes ayant exprimé des opinions dissidentes. Les prisonniers de conscience sont si nombreux sous Macky Sall qu'on en oublie certains tels que Cheikh Oumar Diagne et "Nit Dof" rejoints plus tard par les journalistes Pape Ndiaye, Maty Sarr Niang et Serigne Saliou Guèye ou des partisans de Sonko ou encore des défenseurs des droits-de-l’homme tel que Aliou Sané de « Y’en a marre ». Je parie aussi que les noms de François Mancabou, Didier Badji et Fulbert Sambou reviendront tôt ou tard sur le devant de la scène. Par ailleurs, si Macky Sall n'est pas le premier président à fouler aux pieds le principe de la séparation des pouvoirs, c'est sous son règne que l'instrumentalisation de la justice est la plus flagrante, systématique et massive. Cela, il sera difficile de le lui pardonner. En outre les émeutes de mars 2021 et juin 2023, si coûteuses en vies humaines et en dégâts matériels, montrent qu'il a déstabilisé le pays en voulant choisir ses adversaires à une élection présidentielle où sa propre candidature serait illégale. Diouf et Wade ont eu l'élégance de laisser les opposants les plus dangereux se présenter contre eux. Sans cela, Sall ne serait d'ailleurs pas président à l'heure actuelle.
- On s’achemine vers 2024…
- Oui, et ici tout le problème vient du refus d'Ousmane Sonko d’être l’agneau du sacrifice. Peu habitué à ce qu’on lui tienne ainsi tête, Macky Sall a été pris de court. Vous savez, quand vous n’êtes pas d’une certaine force de caractère, le pouvoir peut vous monter facilement à la tête, altérer votre capacité de discernement. Dans l'élection à venir, le rôle de la jeunesse sera déterminant. Après avoir fait tomber Diouf et Wade, elle contraint aujourd'hui Sall à une fin de règne peu glorieuse. Et pourtant, comme je l'ai dit il y a un instant, nous avons tous cru en 2012 qu’il serait le mieux placé pour comprendre la marche du monde et s’entendre avec les jeunes.
- Que pensez-vous du “Dialogue national” ?
- Des propos virulents y ont été entendus, le genre de paroles susceptibles de mettre un pays à feu et à sang. Dialoguer est essentiel mais cela ne peut avoir de sens que dans un contexte apaisé, pas quand pour un oui ou un non, l’autorité jette les militants d'un parti d'opposition en prison. Il a par ailleurs suffi que l'on condamne Sonko pour que ce dialogue soit relégué au second plan. On sait aussi que Karim Wade et Khalifa Sall, qui y ont été invités, restent inéligibles. Dans un sens, aucun des deux n'est dupe, le dialogue est une opportunité pour recouvrer leurs droits civiques et il est bien normal qu'ils la saisissent.
- Que pouvez-vous nous dire par rapport au 3ème mandat ? On vous entend souvent affirmer que Macky Sall ne doit pas être candidat à l'élection de 2024. Pour quelles raisons ?
- Vous savez, lorsque Abdoulaye Wade a fait son « wax, waxeet », (quand il a renié sa parole ) on lui a dit : « Désolés, grand-père Wade, ça ne marche pas comme ça, retirez ce projet de loi ou nous allons vous y obliger !" Avec le recul, on se rend compte qu'il y avait une certaine forme de grandeur chez Wade. Face à la pression populaire, il a reculé dès le lendemain.
Macky Sall lui, à y regarder de près a, sur la question d’une éventuelle 3éme candidature, d'abord fait ce que j’appelle du “wax, waxaat”. Plus personne ne sait combien de fois il a proclamé son intention de quitter le pouvoir dans la dignité : « Moi Macky Sall ? En 2024, je sortirai du Palais par la grande porte et un autre occupera mon fauteuil !» On a eu parfois l'impression qu'il était si obsédé par le sujet qu'il se surprenait à répondre à la question sur sa troisième candidature avant même qu'elle ne lui soit posée. Nous l'avons tous entendu jurer au moins une dizaine de fois s'engager à respecter la Constitution. Il nous sera donc difficile d'admettre qu'il passe allègrement du "wax waxaat" au "wax waxeet" ! C’est une simple question d'éthique. Dans chaque famille sénégalaise, on engage l'enfant au respect de soi qui commence par le respect de sa propre parole, c'est aussi ce qu'on lui enseigne dans les cours d'éducation civique. Comment les adultes, à commencer par le chef de l'Etat, pourraient-ils se dispenser de cette obligation morale élémentaire ?
Il y a aussi la durée du mandat. Au pouvoir depuis 2012, Macky Sall n'hésite pas à nous dire aujourd'hui : "Je viens de finir mon premier mandat, maintenant parlons du deuxième..." Sauf que le premier mandat en question aura duré 12 ans ! C'est hautement comique, en fin de compte !
- Pourtant beaucoup de spécialistes du droit soutiennent que Macky Sall peut briguer un 3ème mandat…
- J’ai lu quelque part dire qu’un constitutionnaliste français lui a donné cette assurance. Je crois aussi me souvenir que le célèbre professeur Zouwankeu a suggéré une telle possibilité même si lui a été aussitôt démenti par certains de ses collègues. Macky Sall pourrait s’appuyer, le moment venu, sur ces experts pour prétendre se conformer à la Constitution. Je doute sincèrement que cela puisse prospérer. On a parfois le sentiment que les mêmes juristes peuvent donner du même texte deux interprétations diamétralement opposées et en argumentant chaque fois avec une implacable rigueur scientifique... Personne n'a de temps à perdre avec cela, la loi est faite par des humains pour des humains. Ce qui se joue dans cette affaire n'a rien à voir avec la valeur sémantique de telle ou telle virgule. Il est question ici du destin de tout un peuple et ce ne sont pas de pédantes arguties qui vont trancher un débat dont Macky Sall lui-même a souligné la nature politique. Abdoulaye Wade a dit un jour : "Je ne veux pas marcher sur des cadavres pour entrer au palais". À son successeur de nous prouver que pour lui aussi aucun palais ne vaut plus qu'une vie humaine. Il lui suffira pour ce faire de déclarer le plus rapidement possible qu'il renonce à son projet de troisième candidature
- Qui verriez-vous à la place de Macky Sall dans huit mois ?
- Il est, me semble-t-il, trop tôt pour en parler. Le peuple sénégalais évaluera les offres politiques et prendra sa décision en connaissance de cause. Je crois aussi qu'il nous faut avoir dès à présent une conversation soutenue sur notre système de gouvernement. L'hyperprésidentialisme de plus en plus décrié, cela veut dire qu'au moment même où nous croyons élire un président de la République, nous sommes en réalité en train d'envoyer au palais un véritable monarque dont les pouvoirs, quasi illimités, vont, le plus légalement du monde, échapper à tout contrôle. Faute d'appliquer point par point ses conclusions, on peut souhaiter que l'esprit des Assises nationales souffle sur notre pays. Je rêve d'une campagne électorale où cette question sera au centre du débat politique.
(Propos recueillis par Pape Ali Diallo)