VIDEOCHIRAC, LE BRUIT ET L'ODEUR
En juin 1991, alors que le Front national grignote des voix, l'ancien président français prononce un discours stigmatisant à propos des immigrés

Le 19 juin 1991, Jacques Chirac, président du RPR et maire de Paris, prend la parole entre le fromage et le dessert lors d’un dîner-débat à Orléans devant 1 300 militants. Le teint luisant et rougi, il balance : «Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. […] Il faut mettre un moratoire au regroupement familial.»
Pour bien appuyer son propos, le candidat de droite de la prochaine présidentielle relate une visite qu’il vient d’effectuer avec Alain Juppé dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Paris : «Le travailleur qui habite à la Goutte-d’Or et travaille avec sa femme pour gagner environ 15 000 francs. […] Sur son palier d’HLM, ledit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler. […] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou. Ce n’est pas être raciste que de dire cela», conclut-il, déclenchant l’hilarité et les applaudissements de son auditoire.
Les habitants de la Goutte-d’Or «ont eux beaucoup moins ri»,raconte Jean-Raphaël Bourge, chercheur à l’université Paris-VIII et habitant du quartier : «Prendre l’exemple de la Goutte-d’Or était un prétexte facile pour fustiger l’immigration parce que ce quartier est porteur de tout un tas d’images et de clichés autour de la figure de l’immigré et de l’Arabe en particulier. Cette sortie de Chirac est une marque indélébile dans les mémoires. C’est un souvenir toujours vif pour les anciens qui y vivent encore. Pour les habitants, il était encore moins tolérable de faire croire que la cohabitation était impossible entre eux alors qu’il y a toujours eu une relative harmonie», corrige-t-il.
«Parenthèse raciste par opportunisme électoral»
Dès le lendemain et alors que le RPR fait front avec Chirac, la phrase «le bruit et l’odeur» provoque aussi un tollé à gauche. «Le langage de Monsieur Chirac ressemblait beaucoup à celui de Le Pen», analyse par exemple la Première ministre socialiste Edith Cresson, qui précise avoir pressenti «ce rapprochement» avec le FN. Mais Jacques Chirac s’en défend : «Je ne suis pas suspect de sympathie à l’égard de M. Le Pen. Je ne vois pas en quoi il aurait le monopole de souligner les vrais problèmes», assure-t-il, tandis que le président du parti d’extrême droite Jean-Marie Le Pen s’en frotte les mains, assurant que les électeurs «préféreront l’original à la copie».
«On peut plaider la parenthèse raciste par opportunisme électoral», avance le politologue et ex-insoumis Thomas Guénolé. Au moment de son discours, le FN s’est en effet installé dans le paysage politique français depuis le début des années 80. Le parti a obtenu près de 11% des voix aux européennes de 1984, plus de 10% aux législatives de 1986 et récolte 14,34% des voix au premier tour de la présidentielle de 1988. Dans l’espoir de limiter l’hémorragie, Jacques Chirac lepénise alors son discours. Mais cette sortie raciste a marqué les esprits. Quelques années plus tard, le groupe Zebda reprend ses propos dans son deuxième album le Bruit et l’Odeur : «Qui a construit cette route ?/ Qui a bâti cette ville ?/ Et qui l’habite pas ?/ A ceux qui se plaignent du bruit/ A ceux qui condamnent l’odeur/ Je me présente…»
«Avant 1986 et après 1991, il n’y a pas de traces de Chirac de ce même genre de propos sur l’immigration, avance Thomas Guénolé. Lors de ces deux mandats présidentiels, «ses ministres en charge de l’immigration adopteront tout de même une ligne dure mais, dans le même temps, Chirac reste irréprochable dans les discours qu’il prononce. Selon moi, il adhère donc à l’hostilité envers l’arrivée de nouveaux immigrés, mais sans aucun racisme envers ceux déjà installés en France», avance Guénolé, qui rappelle le discours de Jacques Chirac lorsqu’il quitte le pouvoir en 2007 : «Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. C’est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit. Tout dans l’âme de la France dit non à l’extrémisme.»
Dommage de prononcer deux ans plus tard une petite phrase qui fera polémique. En 2009, Jacques Chirac se promène à Bordeaux avec le maire de la ville Alain Juppé (décidément), lorsqu’un jeune homme les approche. Jacques Chirac lui demande alors : «Vous êtes d’où vous ?» Le jeune homme répond : «Je suis de Lormont [à côté de Bordeaux, ndlr].» Mais alors que le passant s’éloigne, l’ex-président murmure à son ancien Premier ministre : «A mon avis, il n’est pas tout à fait né… natif de…» La scène a été filmée… Et «le bruit et l’odeur» ressorti du placard.