DAKAR VIOLE-T-IL LES SANCTIONS DE L'ONU CONTRE PYONGYANG ?
POINT DE MIRE SENEPLUS - La Corée du Nord aurait rouvert discrètement une entreprise de construction au Sénégal, en violation apparente des sanctions des Nations Unies contre le programme nucléaire du pays

SenePlus retranscrit ci-dessous, une enquête traduite en français par nos soins, du média américain Voanews, évoquant le non respect par le Sénégal, des sanctions de l'ONU envers la Corée du Nord, en raison de son programme nucléaire.
La Corée du Nord a rouvert discrètement une entreprise de construction au Sénégal, en violation apparente des sanctions des Nations Unies contre le programme nucléaire de Pyongyang, a confirmé VOA Korean.
Au moins 31 Nord-Coréens travaillent pour la société Corman Construction & Commerce Sénégal Sural (CCCSSS), selon des entretiens et des documents officiels examinés par VOA Korean.
Aux termes d'une série de sanctions radicales adoptées il y a deux ans, les États-Unis ont interdit aux États membres de l’ONU de mener des activités commerciales avec la Corée du Nord. Les sanctions interdisaient également aux États de permettre l'embauche de nouveaux travailleurs nord-coréens et exigeaient que tous les travailleurs en place soient expulsés avant fin de 2019.
Le Sénégal a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) en janvier 2018 qu'il s’était conformé à ces directives en fermant la société nord-coréenne Mansopae Overseas Project Group of Companies (MOP).
Toutefois, des documents montrent que Corman Construction a été enregistrée en juin 2017 sous la direction d'un ressortissant nord-coréen. La société travaille sur certains projets de construction identiques à ceux menés par Mandudae Overseas avant sa fermeture.
Des reporters de VOA Korean se sont rendus à Dakar, la capitale sénégalaise, et ont examiné des documents professionnels, des documents d'immigration et des copies de passeports identifiant les activités commerciales nord-coréennes dans le pays. La source des documents a par ailleurs requis l'anonymat par crainte de représailles.
Dans la matinée du 16 septembre 2019, les reporters coréens de VOA ont vu une poignée de travailleurs nord-coréens sortir d’un logement à Dakar.
Ils sont montés dans une camionnette à double cabine, puis se sont rendus pendant une heure dans une usine appartenant au fabricant de produits alimentaires Patisen, une des trois entreprises sénégalaises à avoir embauché Corman Construction pour des projets.
"Vous venez de Pyongyang?", a demandé un journaliste de la VOA en coréen à des travailleurs accroupis sur le trottoir du parking à l’extérieur de l’usine. «Oui», lui ont-ils répondu.
Un employé a en effet déclaré être arrivé au Sénégal trois ans plus tôt. Par ailleurs, des documents examinés par VOA montraient que huit des 31 travailleurs étaient arrivés plus récemment. La source a déclaré que chaque travailleur gagnait environ 120 dollars par mois après avoir versé une partie de son salaire au gouvernement nord-coréen.
Les autorités américaines soutiennent que la Corée du Nord reçoit des centaines de milliers de dollars par an grâce à ces envois de fonds et autres. Les sanctions visent à empêcher le dirigeant nord-coréen, Kim Jong Un, d’avoir accès à des devises qui pourraient contribuer au financement du programme de développement nucléaire et antimissile de son pays.
Joshua Stanton, avocat basé à Washington et ayant participé à la rédaction de la loi de 2016 sur les sanctions nord-coréennes, estime que la Corée du Nord viole les sanctions américaines.
"Compte tenu de la date butoir fixée à tous les travailleurs nord-coréens pour rentrer chez eux en décembre, il est clair que la Commission de sécurité des Nations Unies voulait interdire toutes les opérations générant des gains de devises à l'étranger", a déclaré M. Stanton.
VOA a contacté les gouvernements de la Corée du Nord et du Sénégal. Sans réponse de l’un ni de l’autre.
Depuis quelques années, l’appui de la Corée du Nord aux mouvements africains qui se sont battus pour l’indépendance des puissances coloniales européennes dans les années 60 est devenu une source de revenus pour Pyongyang.
En 2017, le Groupe d’experts du Royaume-Uni sur la Corée du Nord a publié un rapport dans lequel il décrivait le soutien militaire de Pyongyang aux pays africains, notamment l’Érythrée, la République démocratique du Congo, l’Angola et l’Ouganda. Le rapport a expliqué comment, globalement, le pays de Kim Jong-un
«bafoue les sanctions… avec des techniques d'évasion de plus en plus vastes, de plus en plus sophistiquées».
MOP est l’expansion mondiale du Mansudae Art Studio, fondé en 1959. Il a été créé dans des pays tels que l’Angola, le Botswana, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Mozambique, la Namibie et le Zimbabwe, construisant de gigantesques structures, monuments et bâtiments depuis sa création dans les années 1970. La Corée du Nord a des liens militaires avec certains de ces pays.
En 2010, Mansudae a construit une statue de bronze géante, le «Monument de la Renaissance africaine», sur une colline surplombant Dakar pour marquer le 50e anniversaire de l’indépendance du Sénégal vis-à-vis de la France. Le gouvernement sénégalais a déboursé 27 millions de dollars pour ce statut haut de 49 mètres.
Le régime nord-coréen est soumis à des sanctions internationales depuis 2006, année de ses premiers essais de missiles nucléaires et balistiques.
Après que Pyongyang eut effectué deux essais nucléaires en 2016, la Commission de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution en août 2017 interdisant à ses États membres de «créer de nouvelles joint-ventures ou entités coopératives avec des entités ou des individus de la RPDC», la République populaire démocratique de Corée, nom officiel de la Corée du Nord.
La Commission de sécurité des Nations unies a simultanément interdit aux pays membres d’autoriser d’autres travailleurs nord-coréens, affirmant qu'ils «travaillaient fréquemment dans d’autres États dans le but de générer des recettes d’exportation étrangères que la RPDC utilisait pour soutenir ses programmes de missiles nucléaires et balistiques interdits».
En septembre 2017, la Commission de sécurité des Nations Unies a adopté une autre résolution exhortant ses États membres à fermer toutes les entités nord-coréennes présentes sur leur territoire dans les 120 jours de la résolution.
À l’époque, la plupart des ouvriers nord-coréens employés à l’étranger travaillaient en Russie et en Chine. Depuis lors, ces nations ont informé l'ONU qu'elles avaient renvoyé chez elles des dizaines de milliers de Nord-Coréens.
Le 5 janvier 2018, le Sénégal a informé les Nations Unies qu'il avait fermé MOP, le constructeur du monument de la Renaissance, ajoutant que : « la société a été enregistrée en tant qu'entité juridique sous le numéro SN-DKAR-B6903 le 23 avril 2008 et opère principalement dans le pays dans le secteur de la construction. Le gouvernement sénégalais a systématiquement refusé de délivrer des visas d’entrée de court séjour ou de renouveler les visas pour les travailleurs nord-coréens de la société. En raison de ces mesures, la société ne peut plus continuer ses activités. »
VOA a appris qu'environ six mois avant que le Sénégal n’annonce la fermeture de la MOP, la Corée du Nord avait créé Corman Construction à Dakar en juin 2017. La nouvelle société devait remplacer la MOP, qui avait également été sanctionnée par les États-Unis.
VOA confirme la mise en place de la CCCSS après avoir examiné les dossiers des entreprises demandés par le gouvernement sénégalais.
Alastair Morgan, coordinateur du groupe d'experts américain sur l'application des sanctions en Corée du Nord, a déclaré à VOA que la Corée du Nord continuait de violer les sanctions imposées par l'ONU sur la main-d'œuvre envoyée à l'étranger.
Interrogé sur la situation au Sénégal, un porte-parole du département d’État des États-Unis a déclaré à VOA dans un courriel que tous ses membres «sont tenus de mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité des États-Unis en matière de sanctions, et nous espérons de tous qu’ils continueront à le faire».
Le Groupe d’experts de l'ONU a publié un rapport à mi-parcours en août indiquant que la MOP continuait de fonctionner malgré les sanctions à son encontre. Le panel a également rappelé à ses États membres de renvoyer les travailleurs nord-coréens dans leur pays avant la date limite de décembre 2019, conformément à la résolution adoptée par la Commission de sécurité des Nations Unies en décembre 2017.
Malgré ces sanctions, la Corée du Nord a effectué plusieurs tests de missiles cet été.
Christy Lee a contribué à ce rapport rédigé par VOA Korean.
La version originale en anglais de l'article est à retrouver ici