AU-DELÀ DES RÉFORMES
Les réformes institutionnelles suffiront-elles à redresser le Sénégal ? Non, répond Moussa Diaw. Pour l'universitaire, le pays a besoin d'une véritable révolution conceptuelle "adossée à la pensée politique référentielle" de Cheikh Anta Diop

La situation catastrophique des finances publiques sur la période 2019-2024 et les détournements de fonds dans la gestion du Covid-19 procèdent, aux yeux du Pr Moussa Diaw, d'une façon de concevoir le pouvoir qui repose entre autres sur l’enrichissement personnel et le clientélisme politique. Pour sortir de ce cercle vicieux, le politologue estime qu'au-delà de la reddition des comptes, il faut une nouvelle approche paradigmatique pour restaurer la confiance perdue des acteurs politiques.
Les pratiques de mauvaise gestion décriées dans les rapports du Fonds Force Covid-19 et de l'audit des finances publiques sont le résultat de l'affaissement des mœurs politiques. C'est en substance la tribune signée par Moussa Diaw et intitulé “ Le Sénégal à l’épreuve de la gestion néo-patrimoniale et clientéliste du pouvoir”.
D'après le politologue et spécialiste des relations internationales, les débats sur les révélations du rapport de la Cour des comptes et la gestion des fonds du covid-19, et du foncier mettent à nu les pratiques et les stratégies développées par ceux qui gouvernaient le pays avant le tournant du 24 mars 2024. “Cette façon de concevoir le pouvoir repose sur l’enrichissement personnel, l’implication des membres de la famille et clans pour se partager les ressources publiques et entretenir une clientèle politique pour la conservation du pouvoir (Jean-François Médard, 1991)*”, a-t-il analysé.
Dans cette logique, constate le Pr Moussa Diaw, tout est mis en œuvre afin de sacraliser l’homme qui étend son pouvoir de décision dans tous les espaces, devenant incontournable en s’accaparant de tous les leviers. Ce processus de légitimation se manifeste par la production d'ouvrages vantant les appartenances nobiliaires du chef, ses prouesses politiques le confondant même à un génie politique. Alors que, regrette-t-il, le pays est confronté à des défis majeurs d’une jeunesse désœuvrée, attirée par l’émigration clandestine vers l’Europe et l’Amérique, de la pauvreté endémique et d’une orientation économique peu portée par l’industrialisation. “Pendant ce temps, un petit groupe de privilégiés, sans aucune compétence reconnue, s’empare du patrimoine foncier et des ressources pour la plupart des prêts alloués par des organisations financières internationales. Il en résulte une dette abyssale et des tensions budgétaires sans précédent”, a relevé le spécialiste des relations internationales qui, dès lors, s'interroge : “ Comment sortir de cette impasse dans un climat marqué par des désirs de revanche et de rupture politique brutale ?”
Sous cette perspective, il convient, d'après le Pr Moussa Diaw, de pacifier cette atmosphère de guerre permanente entre la majorité et l’opposition mais cela ne peut se faire sans la reddition des comptes pour situer les responsabilités de ceux qui sont impliqués dans cette mauvaise gouvernance des finances publiques afin d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. A ce titre, le remboursement des fonds détournés est une exigence qui ne doit s’établir sur aucune base de négociation ni de marchandage au-delà des sanctions pénales prévue par la loi, a-t-il écrit.
Ainsi, de l'avis du Pr Moussa Diaw, c'est l’occasion de procéder à des réformes de grande envergure dans la gestion des finances publiques de manière à inculquer des valeurs indispensables au management des affaires publiques dans un esprit patriotique et d’intérêt général. Même s'il reconnaît, par la suite, que les pratiques bureaucratiques et financières qui ont généré ces dysfonctionnements sont fortement ancrées dans les mœurs, qu’il faudra beaucoup de temps pour les effacer de la gouvernance économique et de la gestion des fonds publics. Ainsi, dit-il, la rigueur et la vigilance doivent être de mise pour accompagner ce nouveau tempérament inscrit dans l’agenda des nouvelles autorités.
“Le changement engagé s’accompagnera de beaucoup de pédagogie afin de garantir sa réussite. Certes, les réformes institutionnelles et politiques s’avèrent nécessaires dans une refondation de la démocratie et de l’Etat de droit, mais elles ne seront pas suffisantes pour atteindre les mutations indispensables à leur fonctionnalité. D’où une nouvelle approche paradigmatique adossée à la pensée politique référentielle (Cheikh Anta Diop, 1979)* qui, dans une démarche collective, associe l’ensemble des acteurs pour bâtir un Sénégal nouveau. C’est ainsi que le Dialogue politique apparaît comme un mécanisme pouvant aboutir à l’apaisement des mœurs politiques et instaurer la confiance perdue entre les différentes parties. En effet, il demande un respect réciproque et un attachement aux valeurs de la République et de la démocratie”, a préconisé le politologue et spécialiste des relations internationales.