LE DIAGNOSTIC CRITIQUE D’ALIOUNE TINE
Fondateur du Centre d’étude et de recherche Afrikajom, un Think tank créé en 2018, Alioune Tine, ancien Secrétaire général de la Raddho, livre à travers cet entretien son diagnostic de la menace sécuritaire qui guette la plupart des états ouest africains

Fondateur du Centre d’étude et de recherche Afrikajom, un Think tank créé en 2018, Alioune Tine, ancien Secrétaire général de la Raddho, livre à travers cet entretien son diagnostic de la menace sécuritaire qui guette la plupart des états ouest africains. Dans cet entretien effectué par correspondance du fait du contexte actuel de la Covid-19 et réalisé en perspective de la sortie du rapport d’Afrikajom, l’ancien directeur Afrique de l’Ouest et du Centre d’Amnesty international revient sur les nouvelles pathologies qui gangrènent la gouvernance démocratique dans la sous-région ouest africaine. Mais aussi sur la Cedeao dont la crise Malienne a mis à nu la carence des mécanismes de régulation, lesquels ne sont pas adaptés, selon lui, à trouver les réponses adéquates à certaines crises du fait des conflits d’intérêts ou des positions partisanes de certains chefs d’Etat ou responsables de la Commission.
La situation au Mali est plus ou moins inédite avec ce coup d’état visiblement bien accueilli par les populations et contesté par la Cedeao. L’institution sous régionale a-t-elle failli et, le cas échéant, à quel niveau ?
La situation du Mali est inédite par la profondeur de la crise, par sa complexité et son caractère multidimensionnel. Crise du suffrage universel et des élections avec comme phénomène accélérateur et déclencheur du Mouvement du 5 juin, déliquescence des institutions de l’État mais aussi crise du leadership politique qui a fait émerger de nouvelles figures : la religion et l’armée. La durée du face-à-face IBK et M5/Rfp, et le caractère inflexible des positions ont amené l’armée à intervenir. C’était prévisible après 3 mois de confrontation dans un pays qui n’avait pratiquement plus d’institution. Maintenant, la Cedeao a fait des efforts inédits par la multiplicité des missions et la qualité des délégations dont deux interventions de très haut niveau. Le problème de la Cedeao aussi, c’est le caractère hétérogène des positions des États membres. Certains sont en crise et appellent à des sanctions soutenant sans réserve IBK. D’autres sont plus flexibles et certainement plus « démocrates ». Les mécanismes de régulation de la Cedeao ne sont pas adaptés pour trouver les réponses adéquates à certaines crises du fait des conflits d’intérêts, des situations de juge et parti de certains chefs d’état ou responsables de la Commission. Il faut faire une étude des mécanismes, identifier les faiblesses et engager des réformes de l’Institution sous-régionale.
Après Alassane Dramane Ouattara, Alpha Conde s’est déclaré candidat pour un 3ème mandat. Y a-t-il un risque d’embrasement en Afrique de l’Ouest francophone ?
Considérant la candidature du Président Ouattara et celle d’Alpha Condé pour un 3ème mandat, cela appelle quelques remarques importantes. Aujourd’hui, il y a de nouvelles formes de coups d’Etat, propres, cosmétiques et hygiéniques qui ont des conséquences plus graves que les coups d’État militaires. Depuis que la candidature du Président Alpha Condé a été préparée avec le référendum et les législatives, il y a eu des dizaines de morts, plus d’une cinquantaine, des dizaines de blessés et de personnes déplacées sans compter les personnes détenues. Nous avons une rupture du pacte républicain et du contrat social aujourd’hui béant devant l’impuissance de la communauté africaine et internationale. Les coups d’état militaires au Niger et au Mali ont fait moins de morts et de blessés. Quant à la Côte d’Ivoire avec le Président Ouattara, on est complètement abasourdi par la capacité de refoulement et d’amnésie pour quelqu’un qui a vécu les événements post-électoraux de 2010. Dès l’annonce de la candidature, les violences ont éclaté avec près de 15 morts. Deux pathologies gangrènent la démocratie en Afrique de l’Ouest : la démocratie constitutionnelle et l’hypertrophie des pouvoirs présidentiels et la démocratie électorale et la crise du suffrage universel. Nous vivons dans une espèce d’imposture démocratique avec l’instrumentalisation politique du droit et de la Constitution et la fraude électorale pour se maintenir au pouvoir à vie. Le 3ème mandat n’a aucune consistance juridique ou constitutionnelle. Il n’est explicitement marqué dans aucune Constitution. C’est une lecture qui découle d’un laborieux tour de passe-passe interprétatif. C’est un détournement de sens comme on parlerait de détournement d’avion. Pourquoi le 3ème mandat ne se pose que dans le constitutionnalisme africain? Parce qu’ailleurs, il existe un principe sacro-saint consistant à considérer le Président qui adopte la limitation de mandat comme n’étant pas impliqué et légiférant pour la postérité. La réforme sur la limitation de mandat est une mesure corrective des errements du passé. Tous les présidents qui l’ont fait ont dit : ça y’est, c’est verrouillé et je ne peux pas faire plus de deux mandats. Ensuite, ce sont les reniements, les mensonges qui coûtent très cher à la collectivité. Il faut reporter les élections en Guinée et en Côte d’Ivoire et organiser un dialogue national pour un consensus sur le processus électoral. La sous-région est dans une vulnérabilité caractérisée avec la dégradation constante de la sécurité et la décomposition des institutions dans plusieurs États. Il faut agir pour que des crises ne viennent pas s’ajouter à d’autres et créer une véritable déflagration.
Au Sénégal, le 3ème mandat est presque un tabou. Que pensez-vous du «ni oui ni non » du chef de l’Etat, Macky Sall ?
Le Président Macky Sall justifie le “ni … ni” par le fait de resserrer les rangs dans son gouvernement et d’éviter d’être diverti. «Il a une intelligence pratique et a vécu intensément les événements du 23 juin en première ligne. Il n’a pas droit à l’erreur.
Le dialogue politique semble grippé avec plusieurs points d’achoppement. Quelle analyse faites-vous des discussions ?
L’essentiel concernant le dialogue politique, c’est le consensus qui renforce l’État de droit, la démocratie et la gouvernance. Je suis les concertations avec intérêt. Je continue à soutenir qu’on aurait pu relire et réadapter les Assises nationales.
La question du statut du chef de l’opposition fait débat. Selon vous, quels doivent les critères de sa désignation ?
Je n’ai pas d’opinion sur le statut du chef de l’opposition
Vous êtes pour l’adoption d’un bulletin unique. En quoi, il peut constituer une avancée démocratique ?
Nous proposons le bulletin unique depuis 2000, c’est plus économique, plus pratique et garantit mieux la transparence. Tous ceux qui sont dans l’opposition sont pour, mais une fois au pouvoir, sont manipulés par une espèce de lobby du bulletin multiple dans l’administration et dans le privé qui y gagne certainement quelque chose. Tous les pays de la Cedeao utilisent, aujourd’hui, le bulletin unique sauf le Sénégal, il est temps qu’on s’aligne.
La pandémie de la Covid-19 a mis à nu la vulnérabilité du monde entier. Comment voyez-vous l’après Covid ?
La seule arme contre la Covid-19, c’est la solidarité internationale, africaine et nationale. Il faut changer les paradigmes du fonctionnement de la démocratie mondiale et régionale. Et considérer désormais la santé comme une ressource à comptabiliser dans les PIB, en tirer toutes les conséquences économiques et sociales et la placer comme priorité et droit fondamental de tous.