LES AMIS AFRICAINS DE CHIRAC ? "IL Y AVAIT D'ABORD DIOUF ET BONGO"
Quatorze ans avec Chirac, ça ne s'oublie pas... Michel Roussin, l'ancien ministre français de la Coopération, revient sur les relations africaines de l'ancien chef de l'État

RFI : Si vous avez un souvenir particulier de Jacques Chirac, racontez-nous…
Michel Roussin : Des anecdotes, j’en ai beaucoup. Les plus savoureuses, c’est lorsque je l’ai accompagné dans plusieurs campagnes électorales. Je me souviens à Paris où nous enchaînions les tours dans les arrondissements de l’Est. Je ne savais pas comment on allait s’y prendre. Alors on prenait l’ascenseur pour monter : « Et Michel, on descendra à pied et on s’arrêtera à chaque palier. Et on sonnera ». Cet homme qui avait été Premier ministre disait :
« Bonjour, madame, je suis Jacques »,
« Mais je vous connais, monsieur Chirac ».
« Je viens parce que ce sont les élections. Est-ce que vous avez des problèmes ? »
« Oui, mon fils Tom ne peut pas aller à l’école… »
Et c’était, à chaque moment, une disponibilité, une directive qu’il me donnait pour qu’ensuite, de retour à l’hôtel de ville de Paris, on puisse répondre à la requête de la bonne dame. Et puis des moments très drôles. Un jour, je fête mon anniversaire avec des amis et il est en voiture avec le chef de cabinet, Jean-Eudes Rabut. Et Jean-Eudes Rabut lui dit : « Je vous accompagne parce que c’est l’anniversaire de Michel ? » Il dit : « Mais je ne suis pas invité ! » Et il débarque au milieu de mon équipe de copains et de copines pour me souhaiter un bon anniversaire. Ça, ça ne s’invente pas. Et donc, j’ai vécu avec un chef très au courant de tous les sujets, un travailleur extraordinaire parce qu’on le présente toujours comme ça joyeux, caracolant. Mais pas du tout ! Les ordres étaient précis, les dossiers fouillés. Il signait toutes les correspondances. Et il me disait : « Michel, je signe tout parce que, lorsqu’on reçoit la lettre, les gens mouillent leur doigt et regardent si c’est une machine à traitement de texte qui a signé ou si c’est bien moi ». Ça aussi, ça ne s’invente pas.
Comme chef de cabinet, puis directeur de cabinet du maire de Paris, vous avez été poursuivi en justice dans l’affaire des emplois fictifs à l’hôtel de ville de Paris. Est-ce que Jacques Chirac n’avait pas un rapport un petit peu léger avec les questions d’argent ?
Je ne peux pas me prononcer sur ça. Il y a eu cette histoire d’emplois fictifs. Des décisions de justice ont été prises qui me concernaient, mais peu importe. Quand vous servez un chef et que vous avez une mission, si vous devenez un dommage collatéral, c’est la règle.
Mais vous êtes comme Alain Juppé, vous êtes un fidèle qui vous êtes sacrifié pour le chef ?
Non, je ne me suis pas sacrifié. « Sacrifié», c’est grandiloquent ! Cela a été dur sur le moment, mais quand je fais le bilan, cela fait partie d’un parcours. Et ce parcours, je ne le regrette pas parce que 14 ans avec Chirac, dans la vie d’un bonhomme, je peux vous dire que ça compte.
Vous qui avez été ministre de la Coopération et qui avez beaucoup voyagé en Afrique… Quelles étaient à votre avis les deux ou trois personnes qui comptaient le plus pour Jacques Chirac sur le continent africain ?
Je pense qu’il avait une amitié profonde et une considération manifeste pour le président Abdou Diouf [ex-président du Sénégal]. Je l’ai accompagné plusieurs fois et il y avait une communion d’idées avec le président Abdou Diouf. Cela est certain. Il avait aussi une relation très originale avec le président Omar Bongo [du Gabon]. Une anecdote par exemple : un texte de la France doit passer à l’ONU. Il faut voter. J’ai entendu Jacques Chirac solliciter Omar Bongo. Omar Bongo lui dit : « Mais tu n’as pas vu, Jacques, qu’il y a un décalage horaire ? Tu m’appelles maintenant, mais pourquoi ? » Jacques Chirac dit : « Ce serait intéressant que le Gabon puisse voter pour la motion française ». L’autre éclate de rire et lui dit : « Mais tu m’as téléphoné pour ça ! Mais bien sûr, on votera la motion française ». Et ça, c’est dû à une relation ancienne, affectueuse avec ce chef de l’État qui a été un médiateur en Afrique extraordinaire et toujours très proche de l’exécutif français.
Mais franchement, est-ce qu’il n’est pas allé trop loin dans ses déclarations d’amitié à des chefs d’État fâchés avec la démocratie, comme le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali ou le Togolais Gnassingbé Eyadema ?
Oui. Mais Chirac n’est pas là en tant que supporter de ces gens-là. Jamais. Il a toujours conservé son quant-à-soi et une distance.
Quand vous avez lu cette interview au Journal du Dimanche en septembre 2011 de Robert Bourgi, avocat révélant ces valises de billets circulant entre l’Afrique et le bureau de Dominique de Villepin à l’Élysée. Comment avez-vous réagi ?
Je me suis dit qu’il fallait être très costaud pour transporter toutes ces valises ! Et Bourgi, je lui laisse, moi, la responsabilité de ce qu’il a pu dire.
Et à la mort d’Omar Bongo en juin 2009, quand Valérie Giscard d’Estaing a raconté cette anecdote selon laquelle il avait morigéné le jeune Omar Bongo qui soutenait la campagne du candidat Chirac en 1981 ?
Je ne savais pas qu’il y avait eu cette déclaration du président Giscard. En tant que témoin et en tant que collaborateur, je n’ai jamais assisté à un trafic de ce genre ou été associé. Moi, ancien collaborateur proche de lui sur les affaires africaines, je peux vous assurer que, pour ce qui me concerne, je n’ai jamais été le témoin de quoi que ce soit.
Vous serez à Saint-Sulpice ce lundi aux obsèques de Jacques Chirac ?
Je ferai tout pour être à Saint-Sulpice parce que je pense y rejoindre une équipe qui reste très soudée et qui formait l’équipe de Chirac, Premier ministre à Matignon. C’était une équipe jeune à l’époque. Nous sommes restés très liés. Voilà.
Vous êtes ému ?
Je dois dire que c’est 15 ans de ma vie. Je dois beaucoup à Jacques Chirac. Et pour moi, c’est une espèce de grand vide. Bang ! C’est un coup de tonnerre, une grande émotion dans le même temps.