UNE INSULTE AUX SÉNÉGALAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Le dialogue de Macky Sall sur les hydrocarbures est un soliloque pour se donner bonne conscience - Le pays a besoin d'une remise à plat - Jusqu’ici le Sénégal est spolié - ENTRETIEN AVEC ADAMA GAYE

Le journaliste Adama Gaye, spécialiste des questions pétrolières et gazières, assimile à une insulte la journée du dialogue national choisie par le président Macky Sall pour parler de la gestion des recettes tirées de l’exploitation des hydrocarbures. Il y ajoute que c’était une diversion, un plaidoyer pro-domo voire un soliloque pour se donner bonne conscience et un stratagème pour semer la Justice.
Seneplus : Comment appréciez le dialogue initié par le président Macky Sall pour discuter de la gestion des recettes du pétrole et du gaz ?
Adama Gaye : C’est un dialogue, surréaliste qui n’a aucun sens en dehors d’une volonté de Macky Sall de couvrir ses arriérés. Il sait qu’il a commis de graves fautes financières et techniques. Cela en agissant dans l’ombre avec des figures sulfureuses, comme Frank Timis à qui il a donné des blocs pétroliers dans des conditions floues à des membres de sa famille comme son frère Aliou, le mêlant ainsi dans un délit d’initié, et avec des entreprises, comme Total, BP, Kosmos, qui ont profité de ses largesses moyennant retour d’ascenseur. Avoir posé d’aussi graves actes de mal-gouvernance pour ensuite demander au peuple de venir à la table de négociation, c’est une insulte au pays et aux Sénégalais. Ce n’était pas un dialogue mais un plaidoyer pro-domo, un soliloque, pour se donner bonne conscience et, qui sait, tenter de semer la Justice...
Vous, en tant que spécialiste des questions pétro-gazières, pourquoi avez-refusé de répondre à cet appel ?
D’abord, je n’ai pas été invité et ensuite si je l’avais été je ne m’y serai pas rendu pour avaliser des forfaitures au détriment de notre pays...
Pensez-vous que l’opposition a raison en déclarant que le président devait commencer d’abord par éclairer les Sénégalais sur les conditions de délivrance des licences de recherche, d’exploration et d’exploitation du pétrole et du gaz avant de convoquer une concertation sur la gestion des recettes d’exploitation ?
Bien sûr que l’opposition a totalement raison de souligner qu’en voulant nous entraîner dans des discussions sur les recettes petro-gazières, Macky Sall fait dans la distraction, la diversion. Son souhait est qu’on ne parle plus des horribles crimes déjà commis mais qu’on parle du futur, des recettes. Commode tentative pour noyer le poisson. Surtout qu’il le fait en faisant tinter les 18 mille milliards à recevoir de l’exploitation d’une partie de nos ressources (les réserves commercialisables, pas les ressources non dignes de l’être) en hydrocarbures. Avec de telles sommes, on tente d’endormir les gens. Le hic, c’est que ces chiffres restent pour l’instant virtuels, et pourraient largement le demeurer.
Le président a appelé la société civile à siéger au Cos/Pétrogaz (organe de pilotage stratégique qui a pour mission d’assister le président de la République et le Gouvernement dans la définition de la politique de développement du secteur pétrolier et gazier et d’assurer le suivi de la mise en œuvre). Comment appréciez-vous une telle ouverture ?
Bof. Si ça peut aider à améliorer l’image de ce qui n’est qu’un instrument de blanchiment des actes déjà posés, et si ça peut flatter l’ego d’un individu, pourquoi pas ? Sera-t-il suffisant pour corriger le péché originel, le flou autour de cette structure dont le patron, Ousmane Ndiaye, mérite depuis longtemps d’être audité de son passage à Pétrosen, Miferso et j’en passe ? Là aussi, trop peu, trop tard. C’est une remise à plat dont le pays a besoin. Il faut remonter depuis le début afin de savoir ce qui s’est passé dans notre secteur naissant des hydrocarbures. Si nous voulons réussir la bénédiction en la matière.
Après le vote de la loi, la production du champ gazier Grand Tortue Ahmeyin est aujourd’hui l'objet d'un partage équitable entre le Sénégal et la Mauritanie. Partagez-vous l’opinion de ceux qui disent que le Sénégal est lésé dans ce partage ?
Je préfère attendre de voir avec des experts les détails de cet accord. Je pense cependant que n’ayant pas l’expertise nationale, le Sénégal doit éviter de négocier sans avoir à ses côtés des experts, quitte à les importer ou à les rechercher dans sa diaspora. La gestion efficace par le Botswana de son diamant, en s’appuyant sur de solides experts de la société spécialisée, De Beers, qu’il a recrutés, est une bonne piste à explorer...
Votre mot de la fin ?
Il faut arrêter les ruses et rendre compte et gorge. Jusqu’ici le Sénégal est spolié. Débattre c’est bien pour le moral mais ça ne suffit pas. À la présidentielle, faisons de ces problématiques autour des hydrocarbures un grand enjeu de conversation publique, nationale. La future équipe au pouvoir devra remettre le métier sur l’ouvrage, transparence oblige !