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25 avril 2025
Développement
SERIGNE SALIOU MBACKÉ, UN FIN ÉDUCATEUR PARTI IL Y A 12 ANS
Il est sans doute l’un des dignes héritiers de Serigne Touba, parmi les plus connus de la jeunesse. Doté d’une sagesse “hors du commun”, ce dignitaire de Touba réussira à mener une vie remplie de bonnes œuvres
Serigne Saliou Mbacké est sans doute l’un des dignes héritiers de Serigne Touba, parmi les plus connus de la jeunesse. Doté d’une sagesse “hors du commun”, ce dignitaire de Touba réussira à mener une vie remplie de bonnes œuvres. Il consacrera notamment sa vie à veiller sur l’éducation des enfants.
De son vrai nom Salihou Ibn Ahmadou, Serigne Saliou Mbacké est venu au monde à Diourbel en 1915. Il devient le 5e Khalife des mourides, succédant à Serigne Abdou Khadre Mbacké en 1989. Il bénéficiait d’une grande aura dans cette communauté et dans le monde musulman.
Il participera fortement à la construction de la grande mosquée de France, dont le coût était estimé à 300 millions de F Cfa. Il sera également à l’origine de la refection de la grande mosquée de Touba entre 1995 et 1998. En plus de ces projets, Serigne Saliou Mbacké a fortement œuvré pour l’obtention du terrain qui abrite aujourd’hui la mosquée de Massalikoul Djinan.
Il a par ailleurs, mis en œuvre un plan de viabilisation des terrains d’environ 100.000 parcelles et un réseau d’électrification dans la ville de Touba. De même, des canalisations ont été construites pour une meilleure évacuation des eaux de pluie, dans la ville sainte de Touba.
Son influence dépasse largement le cadre religieux. Il s’est aussi fait sentir à travers différentes médiations dans le milieu politique, pour le maintien de la paix au Sénégal. D’ailleurs ses prêches et allocutions au cours des événements religieux laissent apparaitre en lui un homme de paix et de consensus. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu le nom de “Borom Yeurmandé”.
Le culte du travail
Grand producteur sur l’échiquier national Serigne Saliou Mbacké possède des champs étendus: Ndiouroule , Ngott, Ndiapandal. En plus de ces surfaces, le saint homme était le propriétaire de Khelcom , qui est bâti sur une étendue de 45000 hectares. En effet, Khelcom est le plus grand périmètre champêtre qu’une personnalité religieuse ait jamais possédé au Sénégal. Cet espace accueille ainsi, chaque année des milliers de saisonniers, durant la campagne de récolte.
Serigne Saliou, un fin éducateur
L’éducation fut la principale occupation de Serigne Saliou Mbacke; en atteste ses sites ou les enfants étudient : Gott, Ndiouroul , Ndiapandal, Ndokaa, Khelcom. Dans ses écoles, l’enseignement du Coran et le travail (Tarbiya) étaient associés.L’apprentissage du travail chez les jeunes leur confère la conscience qui permet à l’homme de s’accomplir, d’être utile à lui même, et à la communauté. Quand à l’éducation, elle a pour but dans ces Daaras de faire connaître aux jeunes disciples le sens de la vie, les règles de comportement dans la société, les normes spirituelles et morales dont l’observation assure en chacun la sauvegarde de son humanité. L’accent est également mis sur les sciences religieuses car pour Serigne Saliou, la foi en Dieu est la principale dimension de l’homme.
Cette entreprise d’éducation qui s’adressait à des milliers d’élèves était entourée du plus grand soin de la part de Serigne Saliou qui y consacrait d’énormes ressources, donnant ainsi le signe d’un engagement personnel, profond.Serigne Saliou, l’ami des enfants disparu le 28 Décembre à Touba, à l’âge de 92, laissant le monde de l’éducation orphelin à jamais.
PAR Loup Viallet
POURQUOI L'ÉCO SERA PIRE QUE LE FCFA
Pour que la future monnaie unique soit réellement au service des économies africaines, il faut que la future union monétaire corresponde à un marché commun ouest-africain - Mais depuis 25 ans, l’intégration régionale s’est essoufflée
On dit que c’est une réforme historique. Annoncée samedi 21 décembre dernier depuis Abidjan par les présidents Français et Ivoirien, la création de l’éco dès l’année prochaine en remplacement du sulfureux franc CFA semble constituer un nouveau moment fort de la coopération monétaire franco-africaine. Soixante-quatorze ans après sa création sous la période coloniale et 25 ans après la dernière grande réforme de son fonctionnement, le franc CFA n’a pas suffi à sortir du sous-développement les économies qui l’ont en partage. Malgré bien des évolutions, sa permanence dans les relations franco-africaines depuis la colonisation alimente des ressentiments et des soupçons à l’endroit de l’ancienne métropole, en Afrique comme en France.
Au-delà du changement de nom de la monnaie africaine, la réforme de la coopération monétaire franco-africaine portant création de l’éco est-elle à la veille de transformer les relations entre la France et ses anciennes colonies ? Les mesures portées par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara sont-elles de nature à accroître l’autonomie des États-membres de la future union monétaire ?
Pourquoi les décisions avancées par les présidents Macron et Ouattara ne permettront pas l’autonomie de la politique monétaire de la future zone éco.
D’abord, le rapatriement dans la Banque Centrale d’Afrique de l’Ouest des devises centralisées à Paris ne signifie pas qu’avec la création de l’éco, les autorités africaines vont pouvoir déterminer librement le taux de change de leur nouvelle monnaie. En réalité les États-membres de la future union monétaire seront encore très loin d’avoir parachevé leur autonomie financière.
En effet, le recouvrement de leurs devises placées en garantie à Paris (environ 5 milliards d’euros) ne correspond pas à une valeur telle qu’ils disposeront d’une capacité financière suffisante pour protéger leur nouvelle monnaie des variations fortes issues des diverses pressions que leurs économies traversent déjà, c’est-à-dire les conséquences du réchauffement climatique, l’appréciation ou la dépréciation du dollar, les crises politiques et militaires, la crise de la demande ou de l’offre. Ce sont d’ailleurs ces éléments qui rendent vulnérable et aléatoire la valeur des autres devises du continent africain, qui ne bénéficient pas d’un cours fixe accroché à celui d’une grande monnaie internationale.
Ensuite parce que le Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale peut choisir de maintenir, en période de croissance forte, une politique monétaire restrictive et donc de ne pas utiliser cette nouvelle manne comme un moyen de relance mais plutôt comme une manière de maîtriser l’inflation. On observait déjà cette tendance à la thésaurisation en 2014, lorsque le niveau des réserves légales détenues par la BCEAO était de 30% supérieur à celui exigé par les traités. Il y a donc fort à parier que cet afflux (limité) de devises dans les comptes d’opérations de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest n’aura pas un effet substantiel sur le financement des économies de la zone éco. De ce point de vue, le problème en Afrique subsaharienne ne se situe d’ailleurs pas tant du côté de la monnaie ou des réserves disponibles que du côté de la solvabilité des demandeurs de prêts et du manque de confiance des institutions financières à leur égard, ce que la réforme éco ne réglera pas.
Au même titre que la centralisation d’une partie des réserves en devises des États de la zone franc dans les livres de comptes du trésor français, la présence de représentants français dans les conseils d’administrations de la monnaie africaine constitue une contrepartie à la garantie de convertibilité du franc CFA en euros par la France dans le système actuel. Cette participation, sans pouvoir de veto pour les représentants français depuis la réforme de 2010, pouvait être perçue comme un héritage colonial, mais aussi comme un gage de crédibilité et de transparence. La réforme de l’éco entend les supprimer définitivement plutôt que d’accroître la présence d’experts internationaux (et pas seulement Français) dans les institutions monétaires africaines ainsi que le proposait récemment le président Béninois Patrice Talon.
Pourquoi la création de l’éco ne constitue pas le meilleur chemin pour faire progresser l’autonomie financière et l’autonomie politique des États d’Afrique de l’Ouest.
Le système de l’éco va donc accorder une autonomie factice à la nouvelle monnaie africaine puisque, malgré la disparition du compte d’opérations, la stabilité de l’éco sera encore assurée par l’extérieur. Cependant, cette fois, la garantie française sera accordée sans contreparties du côté africain. Le nouveau système monétaire ne permettra donc pas de régler l’un des plus grands défauts du système précédent, soit la « servitude volontaire » (NUBUKPO) ou « l’état d’esprit de facilité et d’irresponsabilité » (DIARRA) de certains décideurs de la zone franc, qui se reposent sur l’assurance de convertibilité illimitée de leur monnaie pour ne pas chercher à équilibrer leurs balances extérieures ou conduire les réformes nécessaires au parachèvement de leur intégration économique régionale.
Or, pour que la future monnaie commune « éco » soit réellement un instrument au service des économies africaines, il faut que la future union monétaire corresponde à un marché commun ouest-africain. C’était le projet de l’UEMOA, fondée en 1994 entre les huit pays d’Afrique de l’Ouest concernés aujourd’hui par l’éco, sur le constat qu’il fallait doubler l’union monétaire ouest-africaine d’une union économique qui permette la création d’un marché commun unifié dans lequel la monnaie pourrait agir comme moteur. Mais force est de constater que depuis vingt-cinq ans, la construction de l’UEMOA a montré ses limites et l’intégration régionale s’est essoufflée considérablement pendant la dernière décennie : son budget communautaire et ses politiques régionales sont en baisse, sa TVA régionale est un échec, son union douanière a été remplacée par celle de la CEDEAO, ses échanges intra-communautaires stagnent en volume et en valeur. Dans ce contexte, la perspective d’un élargissement de la zone monétaire actuelle à d’autres États-membres, présentée comme une condition de la création de l’éco, risque de compromettre sérieusement un processus d’intégration déjà à la peine à huit États.
Une réforme précipitée, qui supprime les symboles de la contestation du système actuel mais en amplifie les défauts ;
La garantie française peut constituer un avantage comparatif si elle permet aux États qui en bénéficient de l’utiliser comme une assurance de stabilité monétaire et de sécurité économique le temps de construire leur propre autonomie financière, jusqu’à pouvoir enfin s’en passer. Ce n’est pas la direction que prend la coopération franco-africaine avec la création de l’éco, qui plutôt que de renforcer leur unité, va accélérer le morcellement économique des États d’Afrique de l’Ouest, tout en développant leur dépendance financière envers la France, qui se trouvera plus que jamais garante de leurs déficits et soupçonnée de contribuer à nouveau à l’affaiblissement d’une partie de l’Afrique.
Les présidents Français et Ivoirien pensent peut-être tenir, avec la réforme de l’éco, une victoire politique à même de servir leurs intérêts respectifs. D’un côté, cette annonce pourrait constituer un argument électoral massif pour le président Ouattara à dix mois des élections présidentielles ivoiriennes. De l’autre, le président Macron veut sans doute réussir la double prouesse de faire tomber un symbole anti-Français sans rompre la coopération monétaire franco-africaine. Il semble pourtant que la création de l’éco ne soit pas la meilleure réponse possible et constitue même un compromis pire que le précédent : la disparition des symboles gênants liés au franc CFA ne suffira pas à combler les graves défauts de la nouvelle coopération monétaire. La victoire sera de courte durée.
Loup Viallet est spécialiste de l'économie politique de l'Afrique contemporaine. Rédacteur du blog "Questions africaines" : https://questionsafricaines.wordpress.com.Il contribue régulièrement dans Les Echos, Mondafrique, Les Yeux du Monde, Conflits. Ses analyses ont donné lieu à des conférences en France (à l'ESSEC) et en Côte d'Ivoire (à l'École Supérieure de Commerce et des Affaires de Côte d'Ivoire ainsi qu'à l'Institut de Formation Sainte-Marie d'Abidjan).
PAR Jean-Baptiste Placca
LE FRANC CFA VEUT-IL SURVIVRE PAR L'ÉCO ?
Très sincèrement, il est aussi vain que prétentieux d’espérer qu’un pays comme le Nigeria viendrait se ranger sous cette bannière d’un CFA réaménagé. Le Ghana n’accepterait pas davantage de se mettre derrière un eco « made in Uemoa »
Alors que l'Afrique de l'Ouest attend sa monnaie commune, la disparition annoncée du franc CFA sème la confusion. Comme si la zone franc cherchait une planche de salut à travers l'eco.
Présentateur : Samedi dernier, le 21 décembre, vous évoquiez les « certitudes d’espérance » par rapport à l’avenir de l’Afrique. Et quelques heures plus tard, à Abidjan, le chef de l’État ivoirien, aux côtés de son homologue français, annonçait la fin du franc CFA et la naissance de l'eco, la monnaie ouest-africaine. On parle là d'une revendication de l’opinion publique africaine. Peut-on dire qu’une espérance vient d’être comblée ?
Non, hélas ! Non. Et c’est d’autant plus regrettable que la phase dans laquelle on semble s’engager donne une désagréable impression de précipitation, comme si l’on avait voulu court-circuiter la naissance du véritable eco. Les fondements de cet eco semblaient clairs, pourtant, et les peuples commençaient même à intégrer son avènement dans leurs rêves de sursaut de l'Afrique.
Lancer un eco arrimé à l’euro, avec une garantie de la France, n’était, en rien, le projet ouest-africain annoncé par lequel les peuples de la sous-région, particulièrement ceux de l’actuelle zone franc, espéraient renouer avec leur destin et le vivre pleinement. Très sincèrement, il est aussi vain que prétentieux d’espérer qu’un pays comme le Nigeria viendrait se ranger sous cette bannière d’un CFA réaménagé. Le Ghana n’accepterait pas davantage de se mettre derrière un eco « made in Uemoa » (Union économique et monétaire ouest-africaine).
Mais c'est chez les « francophones » - appelons-les ainsi - que l’on entend de plus en plus de voix s’élever contre l’annonce d'Abidjan pour souhaiter que les chefs d'État de la Cédéao reprennent rapidement l’initiative, pour enrayer une cacophonie qui pourrait s’avérer néfaste. Le continent est prêt pour des avancées audacieuses. Et il serait coupable de briser cet élan, par manque de cohésion. C’est de l’avenir des peuples qu’il s’agit.
Il n’empêche, l'Uemoa est la seule zone organisée, le seul modèle possible pour l’eco.
Construire un modèle de sérieux, de rigueur monétaire, n’est pas au-dessus de la sous-région. Le Ghana a des cadres extrêmement compétents. Le Nigeria aussi, et ils sont nombreux au plus haut niveau, aux États-Unis et ailleurs. La Côte d’Ivoire compte des cadres formés dans les meilleures universités et écoles de France, des États-Unis et d’ailleurs, et il en est de même dans chacun des autres États.
Nul ne peut donc faire à l’Afrique l’affront d’imaginer qu’elle manque de profils pointus pour tous les compartiments, toutes les spécialités que requiert une monnaie crédible. Mais pour avancer sur des bases saines, il faut démarrer dans la clarté. Abidjan, pour tout dire, a été un faux-pas, fâcheux, mais pas irréversible. Et ce n’est pas avec des annonces comme celle-là que l’on fera taire les critiques contre le franc CFA, ou un quelconque succédané qu’on en extrairait.
Le dirigeant ivoirien était pourtant dans son rôle. Est-ce bien sérieux de lui demander de renoncer à ses prérogatives ?
Les enjeux actuels portent sur le destin de quelque 350 millions d’âmes et dépassent les considérations personnelles. La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest ronronnait et semblait avoir atteint ses limites. Cet eco, nom tiré de la moitié du sigle anglais « ecowas » de la Cédéao, était une occasion rêvée. Le leadership véritable tient à la capacité de chacun à ne pas gâcher cette opportunité historique.
Un analyste ouest-africain (francophone) a résumé les enjeux en des termes on ne peut plus clairs : « L’intégration est notre seule chance, dit-il. Elle est très, très importante. Il ne faut pas laisser les intérêts politiques du moment de quelques chefs d’État, ou même de quelques États, saper sa marche vers l’intégration, qui est la seule opportunité pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, comme de l’Afrique centrale, et des autres régions, pour constituer une masse critique d’expertises, au plan économique, et mutualiser les forces, les énergies et les ressources, pour peser sur l’échiquier international. »
L’Afrique a 60 ans, dans trois jours. On ne peut plus se permettre de rater des rendez-vous avec l’histoire. Car cette monnaie peut être une étape cruciale vers une refondation du panafricanisme. L’Afrique de l’Est créera sa monnaie. L’Afrique australe se rangera derrière l’Afrique du Sud et son rand. Même l’Afrique centrale pourrait nous surprendre.
Il ne faut pas oublier que dans le compte d’opération jusqu’ici logé dans les livres du Trésor français, cette zone de l’ancienne Afrique équatoriale française représentait les deux tiers, et l’Afrique de l’Ouest n’abondait que pour un tiers.
Même au sein de l’Uemoa, les Africains avaient observé, ces dernières semaines, quelques dissonances entre Alassane Ouattara et Mahammadou Issoufou.
Le chef de l’État nigérien est sans doute le plus au fait de ce qu’est censé être l’eco, puisque depuis plus de cinq ans, c’est à lui et à son homologue ghanéen, John Dramani Mahama, que les chefs d’État de la Cédéao avaient confié la charge de réfléchir à cette monnaie commune. On ne peut plus tergiverser à une étape aussi cruciale.
LA CÔTE D'IVOIRE PRISONNIÈRE DE SES CHEFS
Les accusations de complot portées contre l’opposant Guillaume Soro rappellent que le logiciel politique ivoirien n’a guère évolué depuis vingt ans
Le Monde |
Cyril Bensimon |
Publication 28/12/2019
Triste Côte d’Ivoire. C’était il y a vingt ans tout juste. Le 24 décembre 1999, un « père Noël en treillis » faisait irruption dans la vie des Ivoiriens. Le général Robert Gueï, un officier ayant poussé dans l’ombre du père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, venait de chasser du pouvoir Henri Konan Bédié, un autre héritier du « Vieux ». Une mutinerie de soldats mécontents s’était transformée en coup d’Etat. A Abidjan, on dansa le mapouka malgré les trois cents morts du putsch et les pillages. Les leaders de l’opposition d’alors, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, exclus des dernières élections, se félicitèrent plus ou moins ouvertement de la chute d’un régime dont la trace principale avait été la promotion de l’ivoirité, une forme de préférence nationale appliquée au contexte si particulier de ce pays.
Vingt ans et une guerre de près d’une décennie plus tard (2002-2011), la Côte d’Ivoire n’en a pas fini avec les complots réels ou supposés, les petites manœuvres en coulisses pour prendre ou conserver le pouvoir et une vie politique confisquée, peu ou prou, par les mêmes personnalités qui ont mené le pays vers l’abîme. A dix mois de la présidentielle d’octobre 2020, les jeux ne sont pas faits mais les cartes à disposition n’ont guère changé, chacune espérant trouver l’association qui lui permettra de remporter la mise.
Fréquentations infréquentables
Dans cette partie où l’expérience a montré que toutes les alliances sont possibles, Guillaume Soro, « le nouveau venu », pensait être le plus habile. N’est-ce pas lui qui fut le premier artisan de la chute de Laurent Gbagbo, lorsque le plus roublard des politiciens de la place utilisait tous les stratagèmes pour conserver son fauteuil présidentiel après l’élection perdue de 2010 ? S’il n’a que 47 ans, l’ancien chef rebelle s’est tracé à la hache un parcours au sein des institutions ivoiriennes : premier ministre de Laurent Gbagbo puis d’Alassane Ouattara, président de l’Assemblée nationale. De quoi vanter dans le même temps l’expérience et la jeunesse lorsque l’on se déclare candidat à la magistrature suprême. Mais voilà, Guillaume Soro ne semble pouvoir s’empêcher d’envisager des coups tordus, de s’entourer de fréquentations infréquentables.
Après la publication d’écoutes téléphoniques en 2015 qui le mettaient en cause dans la tentative de coup d’Etat ratée quelques semaines plus tôt au Burkina Faso, son vrai faux retour à Abidjan, quatre ans plus tard, vendredi 23 décembre, a été l’occasion, pour le pouvoir ivoirien, de sortir un autre enregistrement compromettant. M. Soro y assure auprès de ses interlocuteurs avoir ses hommes « positionnés un peu partout » en vue de profiter d’« une insurrection populaire ». Dans le tourbillon des accusations, Afoussiata Bamba, l’une de ses proches, reconnaît que ces propos ont bien été échangés avec Francis Perez, un patron de salles de jeux en Afrique et « une barbouze »française, mais que la bande a été coupée et remonte à 2017. L’aveu est destiné à prouver que les accusations du pouvoir sont purement opportunistes et n’ont pour seul but que d’« écarter Guillaume Soro de la course à la présidence ». Il renseigne néanmoins les Ivoiriens sur les méthodes que le mis en cause est prêt à employer pour satisfaire son ambition depuis qu’il a compris qu’Alassane Ouattara ne lui offrira pas sa succession.
« S’il y va, j’y vais »
L’affaire ne grandit pas non plus le pouvoir en place. Avant son élection en 2010, Alassane Ouattara avait promis de restaurer l’indépendance de la justice. Le mandat d’arrêt international lancé contre Guillaume Soro pour « complot contre l’autorité de l’Etat » le 23 décembre, les accusations de « détournement de fonds publics » concernant l’achat de la villa qu’il occupait depuis près de dix ans, les incarcérations d’une quinzaine de ses proches, dont des députés, ne peuvent cependant que renforcer le sentiment que le pouvoir judiciaire exécute la volonté du palais. « Qui est fou ? », comme il se dit à Abidjan, pour croire que le procureur de la République n’avait d’autre choix que de lancer ces poursuites. Dans le petit jeu des accusations mutuelles, l’ex-chef de la rébellion a d’ailleurs fait savoir qu’il « ne reconnaît qu’une seule déstabilisation, celle du 19 septembre 2002 pour le compte de l’actuel président de la République, M. Alassane Dramane Ouattara ». Il avait jusqu’ici toujours déclaré le contraire, mais la vérité du moment est la meilleure à entendre et revenir sur sa parole ne semble plus être un motif de disqualification.
Il en va de même pour le président Ouattara qui, à la veille de sa réélection en 2015, avait exclu toute possibilité de briguer un troisième mandat du fait de la révision constitutionnelle qu’il venait de faire adopter. Mais aujourd’hui, « pour empêcher ceux qui ont détruit le pays de revenir au pouvoir » comme le dit une source à la présidence, le chef de l’Etat laisse poindre la possibilité de concourir en 2020. Il aura alors 78 ans. Soit huit ans de moins qu’Henri Konan Bédié, « un jeune comme les autres » selon sa propre appréciation, avec lequel il semble avoir noué un étrange pacte négatif : « S’il y va, j’y vais. »
La candidature du « Sphinx de Daoukro » n’est pas encore formelle mais vingt ans après sa chute, celui-ci n’a jamais fait le deuil du fauteuil que tous ses successeurs se sont montrés « indignes » d’occuper. Dans les instances de son parti, la relève attend depuis longtemps et se prépare à attendre encore. « Nous sommes pris en otages, mais, dans lacommunauté Akan où un chef ne désigne pas son successeur et où la base de notre électorat est communautaire, il est suicidaire de contester Bédié », explique un jeune plus si jeune d’un ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), où « les cordons de la bourse restent entre les mains du patron ».
Nostalgie amnésique
Dans les rangs du parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), gare également à celui qui ose contester la figure du chef. L’avenir de l’ancien président, aujourd’hui en résidence surveillée à Bruxelles, est jalonné de points d’interrogation : en aura-t-il fini de ses affaires judiciaires devant la Cour pénale internationale (CPI) avant la fin juillet, date limite du dépôt des candidatures ? A-t-il le souhait, la santé, la volonté de se lancer dans une nouvelle bataille électorale ? Une chose est sûre : l’homme continue de faire l’unanimité chez ses partisans et de créer la peur chez ses adversaires. « S’il le peut et s’il le veut, il sera notre candidat naturel », dit Laurent Akoun, le vice-président du FPI, tout en reconnaissant « cette tendance mortifère à l’hyperpersonnalisation de la vie politique ». « Dans la conscience collective, il a développé une sympathie de martyr. Qu’il soit candidat ou pas, il demeure une menace bien plus grande qu’Henri Konan Bédié. Un mot d’ordre de sa part représentera 20 % de l’électorat », se désole un responsable important du parti au pouvoir (RHDP).
Près de neuf ans après son transfert devant la CPI, « la popularité de Laurent Gbagbo reste intacte, même si ses années de pouvoir ont été catastrophiques. Son populisme lui a permis de construire un lien fusionnel avec le peuple », constate le sociologue Francis Akindès. Le souvenir de la brutalité de ses sbires, de l’ultranationalisme brandit comme un étendard au motif que la guerre avait été « imposée de l’extérieur » s’est dissous dans une nostalgie amnésique.
« La société ivoirienne a peur de revivre ce qu’elle a vécu, mais elle n’a pas renouvelé son logiciel politique. Ouattara, Bédié et Gbagbo sont des icônes communautaires. Or nous sommes toujours sur une rhétorique tribale et dans un système “grand-frériste” qui vassalise les jeunes et les empêche d’afficher une ambition. Cependant, il existe désormais une très grande fracture avec la classe dirigeante qui sait qu’elle doit partir, mais ne sait pas trouver les modalités d’un bon départ », analyse M. Akindès, pointant pour preuve de cette désaffection grandissante les moins de 4 % d’inscrits sur les listes électorales parmi les 18-24 ans.
« On est l’un des seuls pays de la région à n’avoir jamais connu de transition démocratique et pacifique, reconnaît piteusement une figure politique ivoirienne. C’est à la fois une frustration pour notre génération et une humiliation pour notre pays. »
L'AFRIQUE TOUJOURS EN QUÊTE DE SON MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT
Près de soixante ans après la grande vague des indépendances de 1960, où en est l'Afrique subsaharienne ? Démographie, croissance, pauvreté, inégalités...Le continent reste à la recherche de son modèle de développement
Près de soixante ans après la grande vague des indépendances de 1960, où en est l'Afrique subsaharienne ? Démographie, croissance, pauvreté, inégalités...Le continent reste à la recherche de son modèle de développement, crucial pour répondre aux besoins d'une jeunesse avide d'avenir.
Mais comment mesurer le chemin parcouru?Les experts soulignent la difficulté de décrire avec précision l'évolution d'un continent qui demeure un "désert statistique".
Par exemple, "huit pays africains seulement disposent d'un système d'enregistrement des naissances couvrant au minimum 90% de la population, et trois seulement d'un système d'enregistrement des décès couvrant au minimum 90% de la population", relève la Fondation Mo Ibrahim dans son rapport 2019 sur la gouvernance en Afrique.
Puisés dans les bases de données des grandes institutions internationales, quelques indicateurs, forcément partiels, permettent toutefois d'esquisser un tableau.
UN MILLIARD D'HABITANTS
Portée par les progrès de la médecine, en dépit des épidémies de sida, du paludisme et de la tuberculose, l'espérance de vie en Afrique subsaharienne a progressé de 20 ans ces soixante dernières années, selon la Banque mondiale (BM).Sa population s'est envolée: 227 millions d'habitants en 1960, plus d'un milliard en 2018, le double en 2050, selon les projections.Nigeria, Ethiopie et République démocratique du Congo (RDC) forment le trio de tête.
C'est aussi le continent le plus jeune au monde.En 2015, plus de 60% des Nigériens avaient moins de 20 ans, selon les Nations unies.
Depuis les années 60, "le changement le plus spectaculaire est l'irruption d'une jeunesse désoeuvrée", explique à l'AFP le sociologue camerounais Francis Nyamnjoh."Une population jeune, prête à exploser à tout moment parce qu'elle a faim de libertés politiques, faim d'opportunités économiques et d'accomplissement social".
Une jeunesse en déshérence qui peut constituer une proie facile pour les groupes armés, notamment jihadistes, quand elle ne tente pas une émigration clandestine souvent mortelle, vers l'Europe en particulier.
PAUVRETÉ ET INÉGALITÉS
La part de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 1,90 dollar US par jour) est passée de 54,7% de la population en 1990 à 41,4% en 2015, selon les dernières données disponibles de la Banque mondiale.
Mais cette moyenne masque d'énormes écarts d'un pays à l'autre, entre le Gabon (3,4% de la population en 2017) et Madagascar (77,6% en 2012).
"Les inégalités inter-pays sont aussi élevées qu'en Asie et les inégalités intra-pays aussi élevées qu'en Amérique latine, où des paysans sans terre coexistent avec d'énormes propriétaires fonciers", estime l'économiste togolais Kako Nubukpo.
Pour Christophe Cottet, économiste de l'Agence française de développement (AFD), "on mesure très mal les inégalités.Il n'y a notamment aucune donnée sur les inégalités de patrimoine, alors que c'est fondamental en Afrique".
MÉGALOPOLES ET CAMPAGNES
Lagos, Kinshasa...Les dernières décennies ont vu pousser les mégalopoles africaines, souvent ceinturées de bidonvilles d'une pauvreté extrême, mais aussi de très nombreuses villes moyennes.
Plus de 40% des Africains vivent désormais en zone urbaine, contre 14,6% en 1960 (BM).En 1960, seules deux métropoles africaines - Le Caire et Johannesburg - comptaient plus d'un million d'habitants.D'ici 2030, il y en aura une centaine, selon le cabinet McKinsey.Deux fois plus qu'en Amérique latine.
Mais cette urbanisation ne rime pas forcément avec exode rural.
"La part de la population urbaine continue à croître mais ça ne veut pas dire que les campagnes se dépeuplent, c'est l'Afrique entière qui se peuple.Les villes à un rythme un peu plus élevé que les campagnes.Il y a aussi un problème de chômage en ville en Afrique donc les gens n'ont pas tellement intérêt à migrer vers les villes", juge Christophe Cottet.
ECONOMIE : "20 ANS DE PERDUS"
L'économie du continent a connu une phase d'expansion jusqu'au début des années 80, puis une période de crise de deux décennies (crise de la dette, politiques d'ajustements structurels…), avant une "renaissance" dans les années 2000.
En témoigne l'évolution en dents de scie du Produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars constants: 1.112 USD en 1960, 1.531 en 1974, 1.166 en 1994 et 1.657 en 2018 (BM).
Des statistiques à nuancer, car elles "couvrent le secteur enregistré, officiel" et non "l'économie réelle", largement informelle, souligne l'économiste Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
"Si on fait le bilan sur 60 ans, il s'est passé quelque chose de grave en Afrique: on a perdu 20 ans. Mais il ne faut pas nier ce qui est en train de se passer maintenant qui est plus positif", observe Christophe Cottet.
"En mettant l'accent sur le court terme au détriment des investissements en matière d'éducation, de santé, de formation, les programmes d'ajustements structurels du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale ont cassé la dynamique de développement", déplore aussi Kako Nubukpo, auteur de "L'urgence africaine, changeons le modèle de croissance".
UN MODÈLE À INVENTER
Faiblement industrialisée, avec un secteur agricole prédominant et une récente émergence du tertiaire, l'Afrique cherche donc encore son modèle de développement.
"On n'est pas sortis du modèle colonial.Au fond, l'Afrique reste productrice et exportatrice de matières premières", du cacao à l'uranium."Et elle importe ses propres matières premières transformées", épingle Kako Nubukpo."C'est patent sur le coton: 97% de la fibre de coton africaine est exportée sans transformation.Or, c'est au moment de la transformation de la matière première que se créent la valeur et les emplois".
Pour Jean-Joseph Boillot, "l'Afrique est encore en phase de recherche d'un modèle économique de développement".
"Il y a très peu de développement d'industries locales.Cela ne peut se faire que par une protection industrielle très forte du continent, mais il est taraudé par les grandes puissances pour continuer le libre-échange.Les Chinois, les Indiens et les Occidentaux veulent pouvoir continuer d'y déverser leurs produits", juge l'auteur de "Chindiafrique, la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain".
GOUVERNANCE
"Nos responsables politiques doivent faire beaucoup plus pour défendre les intérêts des Africains, pour s'affirmer dans leurs relations au reste du monde", estime Francis Nyamnjoh.
Pour Kako Nubukpo, "l'Afrique ne se développe pas parce qu'elle est prise au piège des rentes et les premiers rentiers, ce sont les dirigeants africains.Il faut promouvoir la démocratie, des élections libres et transparentes pour avoir des dirigeants légitimes qui aient à cœur l'intérêt général, ce qu'on n'a absolument pas".
Parmi les quarante pays jugés les plus corrompus au monde en 2018, 20 étaient en Afrique subsaharienne, selon l'indice de perception de la corruption de Transparency international.
par Abdou Diaw
COMPRENDRE LE CHOIX DU NOM DE LA MONNAIE UNIQUE ÉCO
Qu'est-ce qui explique ce choix ? Quels ont été les autres propositions de nom soumises au groupe de travail chargé du programme de la monnaie unique de la Cedeao ?
Rappelons que le Groupe de travail sur le nom de la monnaie unique de la CEDEAO avait retenu trois noms sur un ensemble de treize (13) propositions soumises à son appréciation.
Par ordre, les noms proposés étaient :
1) ECO,
2) AFRI
3) KOLA.
Les choix de ses noms ont été opérés sur la base des critères pondérés préalablement définis, à savoir :
i) Identité de la CEDEAO (40 %) ;
ii) (ii) Signification (25%) ;
iii) iii) Facilité de prononciation (20%) ; et
iv) iv) Créativité (15%).
De même, les symboles associés à chacune des trois propositions de nom ont été présentés à la réunion. A l’issue des échanges sur cette question un consensus s’est dégagé sur la dénomination ‘’ECO’’ comme monnaie unique de la CEDEAO.
Source: Rapport final de la Réunion du comite ministériel sur le programme de la monnaie
unique de la Cedeao, tenue les 17 et 18 juin 2019 à Abidjan.
Ps: Rappelons également que Eco est le nom proposé pour la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Zmao) qui devait réunir la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria, le Cap Vert et la Sierra Leone.
REDÉFNIR UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL ENTRE L'AFRIQUE ET SA JEUNESSE
Avec « Panser l'Afrique qui vient ! », Hamidou Anne avait ouvert au « Point Afrique » des pistes de réflexion que le contexte actuel appelle à explorer
Le Point Afrique |
Malick Diawara |
Publication 27/12/2019
Quel est le rôle de la société civile dans tout ça ? Peut-elle aider à réconcilier ou à lier le monde politique, dont tout le monde se méfie, et les réalités locales ?
Absolument ! Quand on voit aujourd'hui l'importance qu'a prise la société civile ces dernières années, on se rend compte qu'il y a un présent à transformer et un futur à proposer avec elle. Je parlais il y a quelques jours d'un nouveau contrat moral à redéfinir entre le politique, la société civile et le monde économique. Quand on voit des mouvements de la société civile comme Y'en a marre au Sénégal, Le Balai citoyen au Burkina Faso, Filimbi en RD Congo, et d'autres ONG un peu partout, on constate qu'il y a un dynamisme de la société civile, laquelle est à cheval entre le monde politique et le monde de l'économie.
Elle a certainement moins de moyens pour faire les choses mais, par contre, elle a plus de marge de manœuvre dans les territoires où les politiques sont absents, dans ces territoires que les services publics ont désertés.
Il en est ainsi dans nos campagnes, mais aussi dans nos villes où elle accompagne les populations les plus vulnérables. De fait, cette expérience, cette idée, cette vision de développement endogène devrait être utilisée par les politiques pour proposer de nouvelles politiques publiques.
On dit que l'Afrique est le continent de l'avenir. Quelles sont selon vous les conditions pour que cet avenir ne soit pas un cauchemar ?
D'abord, on dit que l'Afrique est le continent de l'avenir, le continent du futur. C'est un récit souvent repris en Occident que je trouve assez candide. Pourquoi ? Parce qu'on promeut des personnalités, des individualités, des jeunes leaders par-ci par-là sans interroger assez la réalité et le vécu. On ne se projette pas assez dans le corps social de nos pays et des possibilités du futur.
Pour preuve, quand on interroge la démographie africaine on sait que d'ici à 2050 la population passera à 2,4 milliards. Une fois cette donne posée, il faut imaginer qu'il faudra nourrir cette population, l'éduquer, la soigner, lui donner un toit, etc. À mon avis, il faut fondamentalement changer de modèle. Le modèle capitaliste, libéral post-Seconde Guerre mondiale a montré ses limites partout, notamment à travers l'impasse climatique, les inégalités sociales, le repli sur soi, la montée des nationalismes qu'on voit en Europe.
Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on promeut les mêmes solutions qui ont échoué ailleurs. Or, nous devons redéfinir un nouveau contrat social entre l'Afrique et sa jeunesse, entre les populations africaines elles-mêmes, et faire en sorte que les populations et les élites dialoguent en vue de mettre en place un nouveau modèle ancré sur nos réalités sociales, sur notre contemporanéité.
L'idée serait de repenser les imaginaires et de proposer un chemin différent. L'Afrique était à la traîne ces siècles derniers mais, avec le tournant civilisationnel, elle peut redéfinir un nouveau modèle ancré sur l'humain qui soit à même de diriger le tournant civilisationnel du monde.
L'une des particularités de l'économie africaine, c'est l'importance de son secteur informel. Comment faire pour réconcilier ce secteur avec l'univers de l'autre secteur, le formel ?
D'abord, il faudrait interroger les chiffres. Aujourd'hui, plus de 80 % des entreprises au Sénégal, parfois très connues, sont informelles, et le restent souvent parce qu'elles n'ont pas intérêt à se formaliser eu égard à des enjeux de fiscalité et aux failles dans l'environnement des affaires. Nous sommes dans un marché, une société différente avec des pratiques différentes et où on doit vraiment interroger le secteur informel et essayer de travailler avec lui de sorte à intégrer tout ce beau monde dans un même et seul circuit économique.
Au Sénégal, quand on regarde les chiffres : 400 000 emplois formels, pour 100 000 fonctionnaires, 300 000 du secteur privé et tout le reste de la population active est dans le secteur informel. Comment faire pour intégrer tous ces gens-là dans le circuit formel de l'économie ?
Est-ce qu'on interroge les modèles que certains ont développés pour conclure que tout n'est pas forcément à considérer dans les schémas classiques de l'économie mondiale ?
Est-ce que l'Afrique, à l'aune de sa réalité qui est différente, ne peut pas proposer un modèle différent ? Est-ce qu'on ne peut pas interroger nos économies, notre structuration, notre modèle entrepreneurial, à l'aune de nos réalités et à l'aune des difficultés que nos économies rencontrent ?
À quoi devrait ressembler le modèle idéal africain, étant donné que l'Afrique est impliquée dans les circuits internationaux et souvent par le mauvais côté. Il y a beaucoup de choses en tout cas qui viennent de l'extérieur, or « qui finance commande » !
Aujourd'hui, dans l'enceinte des relations internationales, notamment aux Nations-unies, la formule consacrée est « chaque pays a une voix ». C'est inexact ; toutes les voix ne sont pas égales. La réalité est que le pouvoir est entre les mains des puissances économiques réunies dans leur petit cercle. Face à cette réalité, il faut absolument que l'Afrique fasse émerger des économies fortes afin que les décisions prises ailleurs ne lui soient plus imposées.
Mais la dignité ne se négocie pas. Les pays africains n'ont pas vocation à attendre d'être forts pour imposer leur voix. Observons le Rwanda ou le Ghana, dont les économies ne sont pas forcément puissantes, mais qui ont su prendre une place de leader par leur prise de parole forte sur la notion de développement, sur la relation avec les pays occidentaux et sur la nécessaire redéfinition de la carte des relations internationales.
Mais ce qui fonde en dernier recours mon optimisme est la montée de la dignité chez les jeunes Africains. C'est elle celle qui va enclencher la rupture et la transformation qui vont libérer l'Afrique et lui octroyer un futur désirable.
OÙ VA L'ARGENT DES MIGRANTS ?
En 2019, les fonds envoyés par les migrants et les diasporas dans leurs régions d’origine vont dépasser le total des investissements des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Coup de projecteur sur cette manne
Le Monde |
Julien Bouissou |
Publication 27/12/2019
En 2019, les fonds envoyés par les migrants et les diasporas dans leurs régions d’origine vont dépasser le total des investissements des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Coup de projecteur sur cette manne et les circuits financiers utilisés par les expatriés.
Depuis qu’il a ouvert un magasin Apple au Mali, il y a une dizaine d’années, Diadie Soumaré est surnommé « la Pomme ». Lors de ses passages à Paris, l’élégant trentenaire, chemise blanche, costume noir, donne ses rendez-vous à la brasserie Barbès, sur le boulevard du même nom. Lui, fils de migrant qui a grandi dans le Val-d’Oise, et sa famille avaient l’habitude d’aider leurs proches restés au Mali en contribuant à des caisses communes appelées « tontines ». L’une pour financer l’achat de denrées de base, l’autre pour réparer un barrage ou encore construire un puits.« Mais l’aide associative a ses limites et l’investissement a davantage d’impact pour le développement à long terme du pays », a réalisé « la Pomme ».
Il a donc décidé d’investir au Mali, tout en continuant de financer des projets dans le village de sa famille par le biais des tontines WhatsApp, lesquelles ont remplacé les vieux carnets de compte rédigés à la main.
Avec plusieurs amis, il a monté l’Union des ambassadeurs franco-maliens, qui aide les entrepreneurs français de la diaspora à investir au pays. Les enfants de migrants comme Diadie Soumaré possèdent des atouts précieux pour aider au développement de leur autre pays d’origine : la connaissance du marché, des compétences acquises en France et, enfin, l’accès aux capitaux. Ils prennent des risques dans les pays pauvres que d’autres investisseurs ou entreprises étrangères ne prendraient pas. Ils sont devenus des acteurs incontournables du développement.
« BAILLEUR DE FONDS LE PLUS FIABLE »
A tel point que les fonds envoyés par les mi grants et diasporas chaque année dans leur pays d’origine vont dépasser pour la pre mière fois, en2019, le total des investisse ments directs des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Selon la Banque mondiale, ils devraient atteindre les 550 milliards de dollars (494 milliards d’euros) en 2019, soit plus du triple de l’aide publique au développement. Les cinq plus grands pays bénéficiaires sont l’Inde, la Chine, le Mexique, les Philippines et l’Egypte. Un chiffre qui pourrait même être beaucoup plus élevé si l’on tenait compte des flux fi nanciers qui ne sont pas inscrits dans les sta tistiques officielles, comme l’envoi d’argent en espèces par des proches. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ces transferts informels pourraient représenter 35 % à 75 % des flux comptabilisés, en fonction des régions.
Cette hausse des transferts s’explique en partie par l’accroissement du nombre de mi grants. Entre 2000 et 2018, la part des mi grants dans la population des pays à haut revenu de l’OCDE est passée de 8,8 % à 13,9 %, avec une forte hausse – 78 % sur la même période – de l’immigration en provenance de pays du Sud. Des expatriés de plus en plus qualifiés. Dans d’autres pays riches comme ceux de la région du Golfe, les migrants, en majorité originaires d’Asie du Sud, sont majoritaires : ils constituent près de 90 % de la population en Arabie saoudite et plus de 80 % de la population au Koweït et au Qatar. Enfin, le coût des transferts d’argent a diminué grâce à l’adoption des nouvelles technologies et à la hausse de la concurrence, même si les tarifs restent élevés. Les commissions de transfert sont en moyenne de 6,4 % et atteignent au plus haut 9 % en Afrique subsaharienne. Au-delà de l’aide finan cière, l’OCDE note, dans son rapport sur les tendances de la migration internationale en 2019, qu’audelà des flux financiers, la diaspora est la source de « transferts de com pétences, de savoirs, d’idées et de valeurs» vers le pays d’origine.
«La diaspora est devenue le bailleur de fonds le plus fiable, souligne Olivier Kaba, chargé des projets migrations à l’Agence française de développement (AFD), ils sont là quand d’autres partent au bout de quinze ans, changent de priorités ou de destinations géographiques. » Les transferts d’argent sont aussi plus stables que les investissements étrangers et servent d’amortisseurs aux catastrophes naturelles ou aux crises éco nomiques. « Les investisseurs étrangers ont tendance à rapatrier leurs capitaux à la moindre difficulté tandis que les migrants en voient au contraire de l’argent pour aider leurs familles », explique Dilip Ratha, écono miste chargé du programme Knomad, le centre d’expertise de la Banque mondiale sur les migrations. A rebours des agences de développement et des banques multilatérales qui privilégient les prêts aux dons, l’aide de la diaspora est donc cruciale. «Quand on est pauvre, on ne cherche pas à investir mais à se nourrir, se soigner et envoyer ses enfants à l’école», insiste M. Ratha, qui ajoute que l’« investissement est une dette pouvant se transformer en fardeau ».
RECUL DE LA PAUVRETÉ
La Banque mondiale a calculé que ces fonds envoyés par la diaspora avaient permis de faire reculer la pauvreté de 4 points de pour centage au Népal, 10 au Bangladesh et 11 en Ouganda. Des chercheurs ont même observé que, dans les foyers éthiopiens et bangladais recevant de l’argent d’un de leurs membres partis à l’étranger, le travail des enfants avait diminué et la malnutrition avait reculé. La Banque mondiale note également que les transferts d’argent permettent une hausse des dépenses dans l’éducation au Sénégal et au Kenya, un meilleur taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur au Salvador et aux Philippines.
Les agences et les banques de développement misent donc sur ces « agents du changement ». « Ils sont des relais de très grande proximité. Grâce à eux, on a accès directement à la communauté ou au village», témoigne M. Kaba, qui reconnaît volontiers que «le travail avec la diaspora a changé la manière de faire du développement ». Grâce aux liens entretenus par les migrants avec leur ville ou village d’origine, le rôle des collectivités locales dans les pays récipien daires a été redynamisé et la coopération s’est décentralisée. Et contrairement aux institutions étrangères parfois critiquées pour leur ingérence, la diaspora est très res pectée dans son pays d’origine. «Tout le monde les écoute, car ils contribuent à une part importante du PIB et ont gagné en in fluence politique », observe Diadie Soumaré.
L’AFD cofinance ainsi des projets de déve loppement portés par les migrants dans leur pays d’origine. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a mis en place en Palestine, au Liban, ou encore au Liberia, le projet Tokten (Transfer of Knowledge through Expatriate Nationals, ou transfert de savoirs par l’intermédiaire des expatriés), qui consiste à mettre les compétences et expertises de la diaspora au service de son pays d’origine. De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations a mis sur pied le programme Temporary Return of Qualified Nationals pour aider et financer le séjour de migrants qualifiés qui souhaitent participer à l’effort de reconstruction dans leur pays d’origine. L’aide des migrants est très difficile à tracer. Certains sont sans papiers, d’autres vivent dans des foyers.
Un exemple de l’influence de cette diaspora ? L’organisation à Paris, le 25 avril, de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Ce jourlà, des chanteurs, des créateurs de mode et des hauts responsables comme Abdourahmane Diallo, le directeur général du Partenariat RBM («pour en finir avec le paludisme »), et Peter Sands, le directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, avaient fait le déplacement sur l’esplanade de l’Hôtel de ville.
La capitale française n’est pourtant pas la ville au monde la plus touchée par l’épidémie, mais elle regroupe des diasporas de plusieurs pays africains touchés par l’épidémie, et qui jouent un rôle important dans les messages de prévention. «A chaque personne qui tombe malade, c’est à nous qu’on demande de l’aide, alors mieux vaut prévenir que guérir, c’est la mission de service public de la diaspora », explique Mams Yaffa, directeur de l’association Esprit d’ébène, partenaire de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Cet enfant de migrants maliens estime à 30% la part des dépenses de santé dans les sommes envoyées au Mali.
UN IMPACT MICROÉCONOMIQUE
Dans son local du quartier de la Goutte d’Or, à Paris, Mams donne des conseils aux autres migrants et revendique une approche différente de celle de ses parents, immigrés du Mali : « Quand mon père recevait un coup de fil de la famille restée au village, il envoyait directement l’argent, nous, on prend le temps de demander à quoi l’argent va servir avant de l’envoyer.» Les enfants de migrants ne sont pas soumis à la même pression sociale ou familiale que leurs parents.
L’afflux de tels montants a-t-il un impact sur la croissance des pays bénéficiaires ? La réponse n’est pas évidente. En exploitant les données recueillies dans 49 pays en déve loppement entre 2001 et 2013, les économis tes Jude Eggoh, Chrysost Bangake et Gerva sio Semedo ont montré, dans une étude pu bliée en2019 par la revue The Journal of International Trade & Economic Develop ment, que les transferts d’argent n’avaient une influence macroéconomique que s’ils débouchaient sur des investissements.
Encore faut-il que les systèmes financiers en place le permettent. C’est ce qui a conduit les caisses des dépôts, en France et en Italie, à signer des partenariats avec leurs homo logues au Maroc, au Sénégal et en Tunisie afin que les migrants en Europe puissent placer leurs économies dans des produits d’épargne qui servent à des investissements del’autre côté de la Méditerranée. L’Australie et le Canada ont développé, avec l’aide de l’Organisation internationale du travail, une application disponible sur smartphone pour aider les migrants à épargner. D’autres Etats, à l’instar de l’Inde, du Sri Lanka ou du Liban, ont émis des obligations destinées à leur diaspora pour financer des projets d’infrastructure ou d’éducation.
Certaines expérimentations permettent également aux migrants de choisir l’utilisation de leurs fonds de transfert, que ce soit pour l’éducation ou la création d’une entreprise, par le biais d’applications. «Les migrants qui ont la possibilité de choisir la destination des fonds envoyés ont tendance à les augmenter », explique Dean Yang, professeur à l’université du Michigan, qui travaille sur une expérimentation menée par le centre de recherches américain Abdul Latif Ja meel Poverty Action Lab.
D’autres économistes sont plus prudents. Dans une étude publiée en 2016 par la revue Economic Analysis and Policy, Samuel Adams et Edem Kwame Mensah Klobodu soulignent l’importance de la stabilité politique dans les pays bénéficiaires. « Les transferts d’argent ont un impact microéconomique qui ne peut pas remplacer des politiques macroéconomiques de développement », met en garde Richard Kozul Wright, directeur de la division sur la mondialisation et des stratégies de développement à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. L’argent ne peut pas tout.
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par Mamoudou Ibra Kane
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Mamoudou Ibra Kane |
Publication 27/12/2019
Pour sa toute dernière chronique de l’année 2019, Mamoudou Ibra Kane fait le choix de regarder davantage dans son pare-brise que dans le rétroviseur. Plus de perspectives que de rétrospectives. Séduit par la sexy 2020 qui arrive avec son lot de bénédictions ou de bénédictions. Au delà des clivages, tous sont interpellés pour faire de la nouvelle décennie qui arrive le point de départ d’une émergence tant attendue, estime-t-il dans cette chronique qui veut regarder 2020 d’un air des plus optimistes.