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26 avril 2025
Développement
LA FRANCE RENOUVELLE SES ÉQUIPES EN CHARGE DE L'AFRIQUE
Remaniement au sommet sur les dossiers africains. Le Quai d'Orsay opère d'importants changements en nommant de nouveaux responsables pour prendre en main la politique française en Afrique, après une série de crises
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 29/12/2023
Selon un article publié le 19 décembre 2023 par le journal Le Monde, de nombreux changements ont eu lieu au sein du ministère français des affaires étrangères concernant les questions africaines. Christophe Bigot, directeur de l'Afrique et de l'océan Indien depuis 2020, a été remplacé par Emmanuelle Blatmann, ambassadrice de France au Nigeria.
Ce remaniement, qualifié de "jeu de chaises musicales" par Le Monde, intervient après "la succession des coups d'Etat au Sahel et le recul de l'influence française dans la région" et marque selon le journal la volonté "d'ouvrir un nouveau chapitre". Christophe Bigot, reconnu pour sa compétence mais aussi critiqué pour sa gestion des crises, n'a pas informé ses équipes de son remplacement.
Cet été, la France a également connu un échec au Niger avec le coup d'Etat militaire du général Abdourahamane Tiani, troisième pays sahélien à tomber aux mains de militaires hostiles à la présence française. Emmanuel Macron a durci le ton mais la junte a exigé le départ de l'ambassadeur et des soldats français.
Autre signe de la crise, le poste de conseiller Afrique de l'Elysée est longtemps resté vacant avant que Jérémie Robert, ancien conseiller d'affaires africaines de Jean-Yves Le Drian, n'accepte de le prendre en charge. Ces changements visent selon Le Monde à "rebâtir une ligne politique en Afrique" dans un contexte régional difficile.
par l'éditorialiste de seneplus, tidiane sow
LE DERNIER MESSAGE À LA NATION DE MACKY SALL
EXCLUSIF SENEPLUS - Mitterrand dans son dernier discours avait étalé ses croyances, Senghor s’était inscrit dans le registre de l’espérance. Que dira le président Sall ? Quelles paroles prononcera-t-il qui survivront à sa postérité ?
Voila une année qui tire à sa fin. Dans quelques jours Macky Sall prononcera son message à la nation. A vrai dire les années précédentes, ce n’était plus un discours attendu car trop convenu et où le président se cantonnait à égrener son catalogue de réalisations. Cette fois ce sera diffèrent. Pas parce qu’on n’aura pas droit à la longue litanie habituelle des « réussites », mais surtout parce que c’est le dernier discours qu’il prononcera.
Quelle phrase prononcera-t-il et qui survivra à sa postérité ?
Mitterrand dans son dernier discours avait étalé ses croyances en évoquant « les forces de l’esprit » qui sont passées dans l’Histoire. Senghor s’était inscrit dans le registre de l’espérance. Dans son dernier message à la nation en 1981[1], rêveur, il nous rassurait sur un meilleur avenir assorti à une double condition : “Si encore une fois, nous savons être, non seulement plus unis sur l'essentiel, mais encore et surtout plus attentifs et réfléchis, plus méthodiques, plus organisés, plus travailleurs” et il poursuivait : "Si nous savons également maintenir la démocratie, c'est-à-dire le pluralisme des partis dans le respect des Droits de l'homme et des libertés fondamentales". Voilà ce que disait en substance le président poète au moment de quitter le pouvoir. Quelques 40 ans plus tard, force est de constater qu’on en est hélas au même point. Le pays est divisé, la démocratie en berne.
La dernière fois où il parla, il nous surprit. C’était au mois de juillet dernier. Contre toute attente, il annonça une bonne nouvelle pour le Sénégal : il ne sera pas candidat en 2024. L’effet de surprise fut tel qu’on le soupçonna pendant quelques mois encore de n‘avoir pas abdiqué. La principale raison était que pendant des années, malgré nos injonctions et objurgations, il avait laissé planer le doute sur une éventuelle troisième candidature, mère de tous les maux, renvoyant du reste de sa coalition tous ceux qui se prononçaient contre cette initiative scélérate.
En attendant dans deux mois, il ne sera plus président de la République. Une délivrance ! Sortir de ce cycle de troisième mandat dans lequel il nous avait enfermés, entamer la refondation dont nous avons besoin. Fermer cette parenthèse qui nous a fait beaucoup mal. Voilà les priorités. Certains me rétorqueront si ce n‘est lui cela pourrait être son frère – comprenez Amadou Ba –. Nous savons que dès que ce dernier sera aux commandes, il n’aura de cesse que d’effacer Macky de la scène publique comme Gottwald le fit de Clémentis sur la photo[3]. Pour l’heure, Amadou Ba joue au jonc, plier sans rompre car il sait que sans Macky et son appareil Benno, il n’ira de façon sûre, nulle part.
Se mettre donc sous sa coupe, avalant des couleuvres ça et là, - les sorties intempestives de ses camarades de parti laissent peu imaginer qu’elles n’aient l’aval du boss de l’APR – et épaissir son cuir restent donc sa posture. Avec un peu de chance, il pourrait peut-être remporter la mise. Mais rien n’est certain. A l’évidence le lest Macky le plombe, toute la question est de savoir jusqu’à quel point !
En termes de certitude, en 2024 la rue Mermoz où habite le président sera (re)livrée à la voie publique. L’air y sera assurément plus pur : Point de pétarades de grosses motos, ni de manoeuvres de véhicules de protection/répression en perpétuel mouvement. Être voisin du président n’a cependant pas que des inconvénients : certains riverains avaient suspendu leur service de gardiennage individuel. La gendarmerie nationale veillait sur la rue. Leur sécurité aux frais du contribuable. Il n’y a pas de petits bénéfices. Tout est bon à prendre. Fini tout cela, ils devront revenir à la dure réalité de la vie sans privilèges. Je ne sais pas si les voisins immédiats, délogés pour raisons de sécurité contre forte compensation je présume, seront contents de retrouver leur demeure après une si longue absence. Ils trouveront que leur rue a bien changé. Elle est pavée et refaite à neuf. On y roule pas on y glisse comme sur un coussin d’eau. Au départ les cars rapides avaient voulu en faire un itinéraire bis pour rallier Ouakam mais je présume que la propreté des lieux et la présence de gendarmes bien visibles (les chauffeurs de « car rapide « n’aiment pas les gendarmes) ont dû les dissuader d’établir cette rue comme voie secondaire car je ne les vois plus.
La fin d’année est propice à l’esprit de digression. Où en étais-je ?
Tout le monde attend que Macky ne soit plus président en mars 2024. Etonnamment que Macky ne soit plus président semble avoir plus d’intérêt que qui sera le nouveau président. La certitude qu’il ne sera pas président l’emporte largement sur la curiosité de qui le remplacera. On redoute les heurts et le chaos qui pourraient naître de cette dernière campagne mais comme toujours on pense qu’on s’en sortira même si on ne sait pas trop comment. La résignation d’aujourd’hui sur les manquements de ces derniers mois : une justice aux ordres, une DGE figée dans une position hiératique de vassalisation à l’exécutif refusant d’appliquer les lois, n’est soutenable que parce qu’elle est perçue comme un contre feu à une espérance que l’on chérit de tous nos coeurs et qu’on sait qu’elle adviendra car on sait qu’il ne sera plus président en mars 2024. C’est toute la force de l’espoir, comme d’ailleurs celle qui fait emprunter des chaloupes à des milliers de jeunes pour rejoindre l’Europe.
Amadou Ba comme solution de rechange reste leur solution qui risque de ne rien changer s’il ne change pas. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire car il nous faut une refondation et non une continuité. Ce verdict est sans appel.
Alors quel destin attend Macky ?
Devenir une ombre misérable qui aura besoin de l’ombre pour se protéger ? - Cette ombre que lui a proposée Macron et qu’il a acceptée en public alors qu’il est encore président du Sénégal – une sorte de destin à la Fouché à la différence qu’il gardera le titre ‘ d’« ancien président » et il ne sera certainement pas sans fortune. Par contre, il pourrait être sans importance. Jugez-en !
On parlera de lui dans la postérité en faisant référence au billet de 500 frs CFA ou en disant que « Deukk bi deffa Macky » pour dire que les temps sont durs, qu’on est dans la dèche. Une métonymie venait de naître. N’est-ce pas pervers et contradictoire d’aller acheter « son fondé »[4] du soir avec un « macky »[5] ? Idrissa Seck, cynique en diable avait débusqué l’anomalie et l’avait raillé en disant que le legs de Macky Sall se résumait au plus petit billet de notre monnaie. Et pourtant le camp majoritaire aurait pu rétorquer que Che Guevara incarnait la petite pièce de 3 pesos et que les Cubains prenaient le bus avec un « Che ». La valeur du billet peut être inversement proportionnelle à la valeur de la personnalité. C’eut été la bonne réplique à Idy. Mais cela aurait été un autre débat.
Je m’imagine la vie sans Macky. Je resterais surement quelques mois avant de « m’adapter » à la nouvelle figure qui arrivera. Il était devenu le sujet de la plupart de mes articles. Je serai sevré de « matière première » pour ainsi dire. Je m’y ferai.
En attendant, j’attends son dernier message à la Nation pour ce 31 décembre 2023. Cette fois je regarderai et j’écouterai car il y aura une part de lui dans le texte. La révélation de la croyance de Mitterrand, l’espérance de Senghor, quel sera le dernier mot de Macky ? Comme disent mes amis anglo-saxons : « I can’t wait »[6]
D’ici là, joyeuses fêtes et bonne année !
Dr C. Tidiane Sow est Coach en communication politique.
LA CAPACITÉ ANNUELLE DE TRAITEMENT DE LA SAR EST PASSÉE DE 1,2 A 1,5 MILLION DE TONNE
le ministre de lu Pétrole et des Energies a également évoqué l’anticipation ayant permis d’adapter l’unité industrielle au traitement du futur pétrole brut sénégalais de Sangomar’’.
Dakar, 28 déc (APS) – Le ministre du Pétrole et des Energies, Antoine-Félix Abdoulaye Diome, a révélé, jeudi, que la capacité annuelle de traitement du pétrole brut de la Société africaine de raffinage (SAR) est passé de 1, 2 à 1, 5 million de tonne en cinq ans à la faveur de la mise en œuvre du Projet d’augmentation des capacités et d’adaptation des unités pour le traitement du brut Sangomar (ACATBS).
‘’Des efforts importants ont été consentis pour arriver à ce résultat’’, a-t-il expliqué en faisant notamment allusion d’un programme ambitieux d’augmentation des capacités et d’adaptation des unités pour le traitement du pétrole brut.
S’exprimant lors d’une visite des installations de la Société africaine de raffinage et de la SENELEC, le ministre de lu Pétrole et des Energies a également évoqué l’anticipation ayant permis d’adapter l’unité industrielle au traitement du futur pétrole brut sénégalais de Sangomar’’.
Selon le ministre, ‘’toutes les caractéristiques du pétrole brut sénégalais ont été intégrées dans le cadre de ce programme dénommé ACATBS’’.
‘’Ce programme nous permettra sans difficulté, dès la sortie du premier baril, de prendre les choses en main pour l’amélioration des conditions de vie des populations’’, a-t-il déclaré.
Il assuré que ‘’la SAR s’est suffisamment préparée depuis 2019 (…) afin de mettre sur le marché les quantités à la hauteur de nos besoins pour satisfaire aussi bien les demandes en termes de produits blanc (Super, gasoil ou différents gaz)’’.
La société s’est également préparée pour ‘’les autres produits dont a besoin l’industrie pour pouvoir fonctionner correctement’’, a indiqué Antoine-Félix Abdoulaye Diome.
Il a souligné qu’à partir de 2019, »cet ambitieux programme a commencé à être mis en œuvre pour recourir à une expertise locale dans le raffinage de notre pétrole brut’’.
Le ministre a annoncé que la SAR va vers un important programme d’investissement notamment en matière de sécurisation de ses infrastructures.
Pour le moment, fait-il savoir, ‘’il y a un dispositif de surveillance et une protection pour apporter des réponses en permanence en cas de difficultés’’.
Selon le ministre, ‘’les capacités de production du secteur de l’électricité ont été multipliées par trois’’.
Il s’est réjouit de la »situation actuelle reluisante » de la SAR, rappelant ‘’les grosses inquiétudes sur l’existence même » de l’entreprise »à un moment’’.
Le ministre a également salué ‘’l’esprit d’équipe fait dans la solidarité et surtout dans une certaine cohésion au niveau de la SAR’’.
Pour Antoine Diome, cet esprit s’est matérialisé ‘’avec la signature du pacte social’’, lequel devrait permettre de travailler pendant trois ans »dans un climat de paix ».
EN CASAMANCE, 2023 SOUS LE SIGNE DES TRAGÉDIES
Si l'accalmie semblait être revenue en Casamance, l'année a été marquée par de nouveaux accrochages et accidents mortels, plongeant à nouveau la population dans la violence et le deuil
La mort de quatre militaires sénégalais dans l’explosion d’une mine anti-char à hauteur de Diaboudior et l’enlèvement de l’agent de sécurité de proximité (ASP) retrouvé mort dans la forêt de Santhiaba Manjack font partie des faits marquants de l’année 2023 dans la principale région du sud du pays.
Malgré l’accalmie notée depuis plusieurs années, la Casamance est marquée en 2023 par la résurgence des accidents de mine.
Quatre militaires ont été tués le 14 décembre dans l’explosion d’une mine à hauteur de Diaboudior, un village de la région de Ziguinchor au cours d’une opération de sécurisation conduite par l’armée.
Cet accident s’était produit dans la commune de Djibidione, dans le nord Sindian. Les militaires se trouvaient dans un véhicule au moment de l’accident.
En juin 2023, l’agent de sécurité de proximité enlevé en janvier de la même année à Ziguinchor, a été retrouvé mort dans la forêt de Santhiaba Manjack où il avait été pris par des éléments armés non identifiés.
Barthélémy Diatta, l’ASP en question, avait été enlevé le 20 janvier dans la forêt de Santhiaba Manjack, une commune située le long de la frontière avec la Guinée-Bissau voisine.
Les restes des corps de deux enfants trouvés dans la forêt
Le corps de l’ASP a été enterré sur place vu son état de décomposition très avancé.
En mai 2023, trois enfants ont été retrouvés morts à l’intérieur d’un véhicule en stationnement dans un domicile à Darou Salam Chérif, dans le département de Bignona, avait annoncé le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Ziguinchor.
Le 20 novembre 2023, des restes des corps d’une fille et d’un garçon ont été retrouvés dans une forêt située dans l’arrondissement de Tenghory, dans le département de Bignona.
Les deux enfants, une fille de quatre ans et un garçon de cinq ans, habitaient le quartier Château d’eau de Tenghory. Ils étaient portés disparus depuis plusieurs mois.
Des manifestations violentes
En juin 2023, trois personnes ont trouvé la mort dans des heurts survenus à Ziguinchor entre manifestants et forces de l’ordre. Ces affrontements ont eu lieu après l’annonce du verdict du procès pour “viol’’ et “menaces de mort’’ de l’opposant et maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, contre une ancienne employée d’un salon de beauté, Adji Sarr.
Ces violences ont entrainé plusieurs dégâts dans les villes de Ziguinchor et de Bignona.
4 000 mètres carrés ravagés par les flammes
Le commerce est marqué par l’arrêt du navire Aline Sitoé Diatta qui assurait la desserte maritime entre Dakar et la principale capitale du sud, causant des désagréments aux usagers qui empruntaient cette voix pour se rendre en Casamance.
Le chapitre de l’économie locale est aussi marqué par un violent incendie qui s’était déclaré au marché de Boucotte à Ziguinchor, ravageant des magasins et installations commerciales érigés sur une emprise de 4 000 mètres carrés.
Les travaux de construction du musée-mémorial national Le Joola sur les berges du fleuve Casamance à Ziguinchor sont terminés à la grande satisfaction des familles des victimes et rescapés du naufrage de ce bateau qui assurait la liaison entre Dakar et la métropole du sud.
TENSIONS ENTRE L'ÉTAT ET LA VILLE DE DAKAR AUTOUR DE L'ORGANISATION DES JOJ 2026
Premier accroc dans l'organisation des JOJ 2026 ? La mairie de Dakar s'insurge contre un conseil interministériel auquel elle n'a pas été conviée et menace de saisir le CIO si la collaboration avec l'État ne s'améliore pas
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 28/12/2023
Alors que les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de Dakar 2026 approchent à grands pas, des tensions apparaissent entre les principaux partenaires que sont l'État du Sénégal et la Ville de Dakar.
Dans un communiqué publié mercredi 27 décembre 2023, la maire de Dakar s'insurge contre le fait d'avoir "appris par voie de presse" la tenue d'un conseil interministériel au cours duquel le chef de l'État aurait "soi-disant, salué le travail des différents acteurs". Or, déplore la Ville de Dakar, elle n'a été "associée ni de près ni de loin à cette rencontre".
Citant son maire, le communiqué municipal dénonce vigoureusement "cette démarche sélective et sectaire" et menace de saisir le Comité International Olympique si besoin. La Ville rappelle également que "le choix de la Capitale Sénégalaise pour abriter ces Jeux, est d'abord le résultat des multiples et dynamiques actions menées par les autorités municipales et leurs services compétents".
Plus loin, elle souligne que "la Flamme Olympique a été remise au Maire de la Ville de Dakar", revendiquant "toute sa place dans l’organisation de cet évènement sportif mondial". Les autorités municipales appellent enfin l'État à "faire preuve de transparence" et à respecter "l'esprit du mouvement olympique en s'inscrivant dans une démarche inclusive et participative".
Ces déclarations tendues illustrent les tensions naissantes autour de la gouvernance des JOJ 2026, dont la réussite nécessitera une collaboration étroite entre l'État central et la capitale sénégalaise, hôte de l'événement.
EXACERBER LES TENSIONS ALORS QU’UNE ÉLECTION EST CENSÉE APAISER CELLES-CI
RAPPORT SENEPLUS D’ANALYSE PRÉ-ÉLECTORALE – Quelle est la portée du pouvoir de supervision de la Cena ? Une Administration peut-elle s’y opposer ? Une décision de justice faisant l’objet d’un recours peut-elle l’entraver ? (3/3)
(EXCLUSIF SENEPLUS) - Un autre sujet de désaccords entre les parties prenantes dans le processus électoral est celui lié aux prérogatives des divers acteurs du processus électoral et la question de leur chevauchement. Cette question s’est posée avec une acuité particulière et une intensité presque dramatique dans la mesure où elle recélait deux enjeux majeurs : la possibilité juridique et factuelle d’une participation de l’opposant Sonko à la présidentielle et, d’un point de vue plus institutionnel, le rôle et les pouvoirs de la CENA dans le processus électoral.
A la suite du jugement rendu par le Tribunal de Ziguinchor annulant la radiation de Ousmane Sonko des listes électorales et ordonnant sa réinscription (jugement du 12 octobre 2023), les « mandataires » de celui-ci se sont présentés à la Direction des élections afin de récupérer les fiches nécessaires au « parrainage » de leur candidat, toujours emprisonné. La direction des élections – qui est un démembrement du ministère de l’Intérieur – a opposé un refus au motif que ledit jugement faisait l’objet d’un recours et que celui-ci en « suspendait » l’exécution.
De leur côté, les avocats de l’opposant ont fait valoir qu’un tel caractère suspensif ne figurait nulle part dans la loi. Ils ont alors saisi la CENA, laquelle a demandé à la Direction des élections de remettre les fiches de parrainage au candidat. Cette dernière a derechef opposé un refus et les conseils de M. Sonko ont alors demandé à la CENA de se substituer à l’Administration en vertu de son pouvoir général de supervision du processus électoral (art L5 et L11 du Code électoral) et de son pouvoir « de dessaisissement et de substitution » de toute défaillance (art L13).
Entretemps, sans doute indisposé par la décision de la CENA, le président de la République a pris un décret renouvelant entièrement la composition de l’institution, le mandat de l’équipe sortante étant au demeurant épuisé depuis des années. Ce décret lui-même n’a pas tardé à être contesté devant la Cour suprême, certains des nouveaux membres s’étant illustrés dans le passé par des prises de positions partisanes, au mépris donc de l’exigence d’impartialité attendue d’eux.
En l’occurrence, la Direction Générale des Elections (DGE) a refusé, en dépit des dispositions pertinentes du code électoral, de respecter la décision du Tribunal d’Instance de Ziguinchor en invoquant le caractère non définitif de cette décision. Les dispositions du code électoral sont pourtant très claires. Elles prévoient que tout citoyen omis sur la liste électorale ou victime d’une erreur purement matérielle portant sur l’un de ses éléments d’identification et détenant son récépissé peut exercer un recours devant le président du Tribunal d’Instance dans les vingt (20) jours qui suivent la publication de la liste électorale, soit directement, soit par l’intermédiaire de la CENA. C’est cette disposition que les avocats du candidat Sonko ont mis en œuvre en saisissant le Président du Tribunal d’Instance de Ziguinchor, lieu de son inscription. Ce dernier, conformément à la loi, a statué dans les délais fixés puis a notifié sa décision dans les deux (2) jours à l’intéressé et à l’administration locale.
La décision du président du Tribunal est rendue en dernier ressort, autrement dit, elle ne peut faire l’objet d’appel. La seule possibilité offerte à la partie non satisfaite, c’est un recours en cassation devant la Cour Suprême, conformément aux dispositions de la loi organique sur ladite Cour. Or, celle-ci ne prévoit d’effet suspensif d’un recours que dans certaines hypothèses, qui ne concernent absolument pas le contentieux électoral.
C’est dire que la DGE n’est absolument pas fondée à refuser d’appliquer la décision de réintégration du candidat SONKO conformément à l’ordonnance n°01/2023 en date du 12 octobre 2023 du Président du Tribunal d’Instance de Ziguinchor qui a annulé la mesure de radiation de ce dernier des listes électorales et ordonné sa réintégration par les services centraux du ministère de l’intérieur sur la liste électorale de la commune de Ziguinchor ainsi que sur le fichier général des électeurs.
La DGE a également refusé de respecter une injonction de la Commission électorale nationale autonome (C.E.N.A). En effet, suivant requête en date du 30 octobre, la C.E.N.A a invité la DGE à prendre, en relation avec tout concerné du ministère chargé des élections, les mesures nécessaires pour faire tenir à la disposition du mandataire de Monsieur Ousmane Sonko et ce dans les meilleurs délais, la fiche de parrainage, la clé USB ainsi que tout autre outil de collecte prévu par la loi. La DGE a opposé une fin de non-recevoir à cette demande avec comme explication qu’elle s’en tenait à son précédent communiqué[1].
Dans le même temps, les développements récents de la situation politique nationale ont mis en évidence des limites de l’organe de supervision des élections qu’est la CENA, certaines lui étant imputables, d’autres étant le fait des autorités politiques elles-mêmes, et notamment du président de la République.
C’est à la C.E.N.A que le législateur sénégalais a reconnu le pouvoir de contrôler et de superviser l’ensemble des opérations électorales et référendaires. Elle veille, en particulier, à leur bonne organisation matérielle et apporte les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté. La C.E.N.A fait respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits. La C.E.N.A a le pouvoir d’intervenir à tous les niveaux du processus électoral depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats.
Alors que toute l’opinion se demandait comment la C.E.N.A comptait donner suite à la position de la DGE, quelle attitude, elle allait adopter, allait-elle mettre en œuvre les pouvoirs que lui reconnait la loi à savoir prendre des décisions immédiatement exécutoires d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action, nonobstant son pouvoir de saisine des juridictions compétentes.
La réponse à toutes ces interrogations a été donnée par le Président de la République qui, à travers le décret n°2023-2152 du 03 novembre 2023, a nommé une nouvelle équipe de la CENA. Le mandat de presque la totalité des membres de l’équipe qui venait d’être renouvelée avait expiré depuis, pour certains, deux ans et demi. C’est une anomalie que le chef de l’Etat a tenté de réparer avec beaucoup d’irrégularités dans le décret et à un moment où, tout laisse croire, qu’il s’agit d’une punition de l’ancienne équipe.
C’est le code électoral qui dispose que la C.E.N.A comprend douze (12) membres nommés par décret. Ils sont choisis parmi les personnalités indépendantes exclusivement de nationalité sénégalaise, connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou toute autre structure.
Deux membres parmi les douze nommés ne sont ni neutres ni impartiaux. Il s’agit de militants du parti au pouvoir. Il s’agit de Monsieur Cheikh Awa Balla Fall, Inspecteur général d’Etat à la retraite et de Monsieur Serigne Amadou Ndiaye, Professeur d’Université à la retraite. Leur militantisme (le premier l’assume ouvertement à travers une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux[2]) est connu de tous. L’on aura, apparemment pas pris en compte la « jurisprudence » Amadou Abdoulaye DIeng nommé, en 1993, Président de l'Observatoire national des élections (O.N.E.L) à la veille de l'élection présidentielle alors qu’il était impliqué dans le mouvement de soutien Horizon 2000 pour la réélection du président Abdou Diouf. La contestation fut vive et le Conseil d’Etat saisi à travers un recours pour excès de pouvoir. Le juge n’aura pas à trancher car le Président de l’O.N.E.L démissionna quelques jours après.
En nommant douze membres de la CENA, le président a implicitement mis fin aux fonctions de M. Seydou Nourou BA dont le mandat ne doit expirer qu’au mois d’octobre 2024. Il a été nommé membre de la CENA par le décret n°2018-1930 du 9 octobre 2018. Le législateur dispose pourtant qu’il ne peut être mis fin, avant l’expiration de son mandat, aux fonctions d’un membre de la CENA que sur sa demande ou pour incapacité physique ou mentale, dûment constatée par un médecin désigné par le Conseil de l’Ordre, après avis conforme de la CENA.
M. Abdoulaye Sylla, Inspecteur général d’Etat à la retraite a été nommé par décret n°2023-2153, Président de la C.E.N.A alors qu’il est membre du Conseil constitutionnel (il a été nommé par décret n°2018-2126 du 6 décembre 2018 pour un mandat de 6 ans). Nous présumons qu’il a démissionné du Conseil constitutionnel après avoir suivi la procédure prévue à l’article 5 de la loi n° 2016- 23 du 14 juillet 2016 qui dispose : il ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande ou pour incapacité physique, et sur l’avis conforme du Conseil.
Incontestablement, des leçons doivent être tirées de ces événements très récents. Elles font apparaître la nécessité de répondre aux questions suivantes :
Quelle est la portée du pouvoir de supervision de la CENA ? Une Administration peut-elle s’y opposer ? Une décision de justice faisant l’objet d’un recours peut-elle l’entraver ?
Le mandat des membres de la CENA peut-il subsister dans les faits alors qu’’il est théoriquement épuisé ? Quel doit alors être le comportement des membres de l’institution eux-mêmes et celui de l’autorité qui nomme ? Au-delà des discussions juridiques, cet épisode, ne met-il pas en évidence une forme de désinvolture à l’égard des institutions, de divers côtés ? Quelle doit être la « dignité » d’un organe de ce type ?
Les crispations nées de cet événement – qui ne sont pas terminées au moment où ces lignes sont écrites – nécessitent sans doute une précision du rapport de la CENA, organe indépendant, avec les autorités en place, quelles que soient celles-ci.
Les scénarios possibles -
A la lecture du contexte politique et social sénégalais actuel, trois (3) grands scénarios nous paraissent concevables, chacun d’eux appelant quelques recommandations.
Scénario 1 :
Il est le plus « optimiste » et suppose réunies les conditions suivantes :
Toutes les personnes emprisonnées à la suite des événements politiques qui ont secoué le pays sont libérées avant les élections ;
Ces élections sont parfaitement inclusives, le parti « Pastef » notamment, dissous, est réellement – et non, bien sûr, juridiquement, formellement – « représenté » dans la compétition ;
Les décisions rendues par les juridictions appelées à intervenir d’ici février 2024 ne sont pas sérieusement contestées ;
L’élection elle-même se déroule sans accroc majeur et un vainqueur est désigné sans que sa victoire ne souffre de contestation importante.
Dans un tel cas de figure, des initiatives pour le renforcement du système démocratique sénégalais pourraient néanmoins être imaginées après les élections. Il prendrait la forme d’une éradication de quelques problèmes de fond révélés ces deux ou trois dernières années : la question du mandat et des pouvoirs du président de la République, le rôle et la place de l’organe chargé d’arbitrer les élections (la CENA), la problématique de l’indépendance de la justice…
Scénario 2 :
Il est le plus « pessimiste » et recouvrirait les réalités suivantes :
Les personnes emprisonnées n’auraient aucune chance d’être libérées et ne participeraient donc pas à l’élection ;
Celle-ci ne serait pas inclusive, des candidats majeurs seraient écartés de la compétition ;
Le soupçon de « partialité » de la CENA et des tribunaux, fondé ou non, est largement partagé ;
L’élection elle-même pourrait être entachée de fortes contestations parce qu’il existe un contentieux préélectoral substantiel.
Scénario 3 :
C’est un scénario « intermédiaire ». Il serait constitué des éléments suivants :
Les personnes actuellement emprisonnées le resteraient ;
L’opposant Ousmane Sonko resterait également emprisonné et ne pourrait se présenter au scrutin ;
Néanmoins, cette frange radicale de l’opposition s’identifie à une personne dont la candidature est déclarée recevable ;
La campagne électorale elle-même se déroule de façon correcte et, rien ne laisse envisager la possibilité d’une contestation de la sincérité du scrutin.
Les Scénarios 2 et 3, de notre point de vue, ne se distingueraient pas sur le plan des recommandations qu’ils appellent. Celles-ci pourraient être les suivantes :
les arbitres du jeu électoral seraient solennellement rappelés à leurs devoirs : la CENA et le pouvoir judiciaire, mais aussi l’Autorité de régulation des médias (CNRA). Compte tenu de la particularité du contexte, ils veilleront à très scrupuleusement exécuter leur mission. La société civile pourrait même, dans cette perspective, mettre en place des formes de dispositif de veille qu’elle pourra déterminer ;
les partis politiques seront encouragés ou appuyés dans leur volonté d’être présents à toutes les étapes du processus de l’élection ; seule leur présence étant, en dernière analyse, le moyen d’éviter des fraudes ou des contestations ;
les candidats aux élections, notamment présidentielles, devront publiquement prendre l’engagement d’accepter les résultats définitifs du scrutin. Il convient de rappeler que dans l’histoire politique sénégalaise depuis 2000, un tel engagement a eu un effet cathartique sur l’élection. Et de fait, les tensions post- électorales ont toujours été instantanément résorbées par des déclarations de reconnaissance de la victoire de l’autre camp. Il en a été ainsi en 2000 et en 2012. Il est incontestable qu’il a eu un effet dans le dénouement pacifique de l’élection et il a bien été obtenu, de la part des candidats, entre les deux tours.
Deux réserves doivent être faites en conclusion :
Il est évident que le climat préélectoral n’est pas serein. Si l’élection de février 2024 se déroulait mal au surplus, il est certain que la tension socio-politique s’aggraverait dangereusement. Au débat sur la légitimité de l’élection – qui tourne autour de son caractère inclusif ou « fermé » - ne doivent pas s’ajouter des soupçons de mauvaise organisation matérielle ou de fraudes.
Si des mesures de « désescalade » ne sont pas prises d’ici février 2024, et si notamment le scénario 2 décrit ci-dessus se produisait, les lendemains électoraux pourraient également exacerber les tensions alors qu’une élection est censée apaiser celles-ci.
À suivre le premier rapport de 2024 à partir du 1er janvier.
[1] Communiqué ainsi libellé « …Sur celle question, il y a lieu de préciser qu’il n’y a pas encore de décision définitive, l’Etat du Sénégal ayant décidé d’exercer les voies de recours qui s’offrent à lui.
Par conséquent, le dossier suit son cours judiciaire… »
[2] En 2019, il a mis en place le mouvement de soutien TGV à Guédiawaye pour la réélection de Macky
PAR Tamsir Anne
QUELLE POLITIQUE LINGUISTIQUE POUR LE SÉNÉGAL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Il devrait s’agir de trouver un système original, multilingue, qui élève les langues nationales à une égale dignité que le français et qui s’ouvre davantage à d’autres grandes langues internationales
La question des langues nationales s’est invitée de façon inattendue dans le débat politique national. Des commentaires faits par le chef de l’état sur l’écriture des langues nationales avaient dans une récente sortie soulevé une vague de protestations et inspiré des mises au point. Ce qui est important ici est de rappeler que la codification des langues nationales est régie par plusieurs décrets dont le premier est le Décret présidentiel no 71566 du 21 mai 1971. Des décrets ultérieurs en 1975, 1985 et 2005 ont apporté des ajustements et correctifs nécessaires. Bien que les défis à ce niveau soient mineurs, des réformes s'avéreront, comme pour toute langue vivante, toujours utiles dans le futur. Les questions fondamentales de ce débat, auxquelles la classe politique dans son ensemble devrait répondre, sont plutôt relatives à la place et au statut que les hommes politiques aspirant à diriger le Sénégal entendent accorder aux langues nationales. Quelles stratégies ont-ils définies dans leurs programmes concernant ces problématiques et quelles mesures concrètes prévoient-ils d'adopter pour les mettre en œuvre ?
Aucun programme de leader politique ne semble, à notre connaissance, esquisser de politique linguistique claire, allant au-delà de simples pétitions de principes et constats d'échec. Leurs positions, quelle que soit par ailleurs leur affiliation politique, restent généralement vagues et évasives. Le temps d’une campagne électorale la créativité des uns et des autres pour trouver des noms porteurs d’adhésion populaire (Aar Senegaal, Ànd defar Senegaal, Bennoo Bokk Yaakaar, Taxawu Senegaal, Yewwi Askan etc.) ne connaît plus de limite. Cependant, une fois élus, ils reviennent systématiquement au français, une langue que, selon les estimations les plus optimistes, plus de trois quarts de la population ne comprennent pas. Le français serait-il la barrière, dont parlait Cheikh Anta Diop il y a plus de quatre décennies, que les politiciens érigent arbitrairement entre eux et la population pour échapper au contrôle populaire ? Comment s’étonner dès lors que la participation citoyenne tant proclamée demeure un vœu pieux ? Lorsque l'écrasante majorité des populations se sent déconnectée ou ne comprend pas le sens des politiques publiques formulées dans une langue qui leur reste étrangère, le dialogue de sourds devient inévitable. Le sens des textes législatifs et juridiques, des programmes politiques, économiques et sociaux élaborés majoritairement sans leur concours leur reste globalement opaque et inaccessible. Pourtant, la dimension linguistique est évidente dans les diverses crises récurrentes qui secouent notre société : crise de la citoyenneté, crise des valeurs, divorce entre administration et administrés, crises politiques et sociales.
La démocratie par exemple, étymologiquement le gouvernement du peuple par le peuple en langue grecque, ne peut véritablement fonctionner dans une langue que le peuple ne comprend pas. Le débat démocratique, hormis les périodes électorales, reste essentiellement le domaine d'une minorité ayant le privilège de maîtriser la langue française. La question du troisième mandat qui a fortement secoué les fondements de notre système démocratique lors des deux premières alternances est édifiante à ce sujet. Car, en dehors de ses aspects proprement juridiques, il s’est également agi d’une querelle sémantique sur l'interprétation d'une disposition de la constitution, qui à notre sens, n’aurait dû souffrir d'aucune ambiguïté. Si l’on s’en souvient encore, l’un des experts français, commis il y a plus d’une dizaine d’années par le président Wade, avait laconiquement déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une question de droit mais de français.
En réalité, contrairement à des préjugés tenaces, la question des langues nationales n'est ni une préoccupation dépassée ou secondaire, mais se trouve bien si l'on y regarde de près au cœur des défis du monde moderne. L’exemple de l’Union Européenne, dont nous nous suffisons des langues, devrait nous donner à réfléchir. L’UE est en effet aujourd’hui la grande championne de la diversité linguistique dans le monde avec un total de vingt-quatre langues officielles. Tous les actes juridiques de l’Union doivent être disponibles dans ses 24 langues officielles. La charte des droits fondamentaux de l’Union postule par ailleurs le droit pour tout citoyen de communiquer avec les institutions européennes dans l’une des 24 langues officielles de l’UE, et les institutions sont tenues de lui répondre dans la même langue. L'argument de la diversité linguistique, utilisé dans le contexte sénégalais pour écarter l'impératif de considérer effectivement les langues nationales dans toutes les politiques publiques, perd de son poids au regard de ces expériences. Les énormes avancées technologiques dans le domaine du traitement automatique des langages naturels permettraient également de réduire sensiblement la complexité de certains problèmes.
Une autre idée reçue voulant réduire la langue à un simple outil de communication, à un « code dépersonnalisé » est également à rejeter. Au-delà d’être l’outil de communication le plus sophistiqué qui se puisse concevoir encore, la langue est loin d’être neutre ; elle véhicule toujours une vision spécifique du monde et transporte des valeurs, des modes de vie et de pensée. La langue est autant une mémoire qu'une empreinte distinctive d'une culture qui se construit et s'articule à travers elle. Elle modèle, comme disait le linguiste américain Sapir, du seul fait qu’elle est langue l’univers intellectuel, moral, spirituel, que nous pensons. Par conséquent la crise des valeurs et la crise de la citoyenneté devraient être réexaminées sous ces différentes optiques.
La crise endémique de l’école également, qui implique autant la baisse générale du niveau des élèves que la perte de compétence non seulement en français mais aussi dans les langues nationales, mériterait l’exploration de nouvelles pistes.
L'Unesco recommande depuis des décennies un modèle d'enseignement multilingue basé sur les langues maternelles pour améliorer significativement les performances des apprenants. Les nombreuses études et programmes menés depuis plusieurs années par l’organisation internationale convergent dans leurs résultats sur les points suivants : les enfants qui apprennent les six à huit premières années de leur scolarité formelle dans leur langue maternelle ont non seulement de meilleurs résultats scolaires que leurs pairs qui reçoivent un enseignement dans une langue qui leur est totalement étrangère, mais ils développent également une plus grande aptitude à apprendre une autre langue étrangère et obtiennent de meilleurs résultats dans les disciplines scientifiques. Enfin, sur le plan psychologique, un enseignement dans la langue maternelle renforce l'estime de soi et favorise la créativité, au lieu d'une simple mémorisation par cœur. Il va sans dire, espérons-nous, que de tels résultats ne sauraient en rien découler automatiquement de l’introduction des langues nationales. Plusieurs autres facteurs clés de succès, d’ordre politique, social, culturel et organisationnel sont tout aussi déterminants. Bref il devrait s’agir de trouver un système original, multilingue, qui élève les langues nationales à une égale dignité que le français et qui s’ouvre davantage à d’autres grandes langues internationales, africaines d’abord, mais aussi au chinois et japonais par exemple. La prise en compte effective des langues nationales dans un enseignement multilingue, loin d'impliquer un chauvinisme ou une volonté de repli sur soi, peut bien au contraire signifier plus d'ouverture sur le monde sans pour autant se suicider culturellement.
La politique a de toute évidence un rôle capital à jouer dans cette grande entreprise de transformation de nos différents systèmes sociaux. La tâche est certes ardue et demande des efforts conjugués et l’adhésion de tous les segments de la société. Elle sera même le labeur cumulé de plusieurs générations, mais notre génie propre, notre capacité de tirer profit de l’expérience d’autres peuples ainsi qu’une volonté politique inflexible nous permettront de relever à coup sûr, haut la main, tous les défis. Nous sommes convaincus que la maîtrise et le développement des langues nationales sera comme en Europe a l’époque de la Renaissance le catalyseur d’un renouveau intellectuel, scientifique, politique, culturel et moral.
Dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons seulement avoir le courage de faire nos propres expériences, d'apprendre et de tirer profit de nos erreurs, plutôt que de continuer à vivre avec des leçons, des certitudes et des vérités qui ne sont pas les nôtres.
Dr. Tamsir Anne est Senior IT-Consultant, auteur-chercheur.
par Ibrahima Thioye
LES ERREURS DE LA MOUVANCE PRÉSIDENTIELLE
La logique de combat présente des limites en démocratie, car la mouvance présidentielle lutte contre un ennemi protéiforme. La toute-puissance de l’acteur qui détient les moyens de l’État ne perdure que s’il bénéficie d’un bon niveau de capital confiance
Cet article met en lumière cinq erreurs de la mouvance présidentielle. Celles-ci sont des réflexions, des discours ou des actions qui ne contribuent pas au succès sur le marché électoral.
Erreur 1 — Une mauvaise appréciation des principaux déterminants du vote
Erreur 2 — Une illusion de toute-puissance et une logique de combat contre-productive
Erreur 3 — Des atteintes à la démocratie et aux libertés individuelles et collectives
Erreur 4 — Des problèmes de communication
Erreur 5 — De fortes hésitations à propos du troisième mandat et du dauphinat
À des nuances près, tous les régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance partagent les pratiques sous-jacentes aux trois premières erreurs. La quatrième erreur concerne la communication du camp présidentiel qui est paradoxalement favorable à Ousmane Sonko. En plaçant ce dernier au cœur de tous les débats, elle a largement amplifié sa notoriété. La cinquième erreur a engendré des contradictions internes au sein du camp présidentiel et pose surtout la question du positionnement clair du candidat de BBY.
Erreur 1 — Une mauvaise appréciation des principaux déterminants du vote
Cette mauvaise appréciation des principaux déterminants du choix des électeurs résulte d’une fixation sur le paradigme selon lequel en gagnant la confiance des leaders d’opinion, on assure l’adhésion des masses populaires qu’ils drainent. Ce paradigme s’est souvent appuyé sur l’argent, l’érigeant en déterminant principal du vote. Un tel système favorise l’achat de conscience, la transhumance politique et amplifie le népotisme et la corruption. Il était efficace avant la montée des nouvelles aspirations de patriotisme stimulée par l’arrivée des smartphones. Il est désormais devenu désuet, inopérant, et a atteint ses limites surtout dans les grandes agglomérations qui concentrent une forte proportion de l’électorat.
À côté de ces fortes aspirations de patriotisme et de besoin de souveraineté à tous les niveaux émergent des exigences et des attentes nouvelles propres au contexte du système démocratique évolué, intégrant les nouvelles valeurs du digital (liberté d’opinion, ouverture, tolérance, transparence, humilité, etc.). Elles deviennent de plus en plus importantes pour l’acteur politique qui veut établir des interactions fécondes en interne ou avec les électeurs.
Erreur 2 — Une illusion de toute-puissance et une logique de combat contre-productive
Le sentiment de toute-puissance est renforcé par les dispositions légales qui confèrent tous les pouvoirs au président de la République. En déclarant qu’il réduirait l’opposition à sa plus simple expression, Macky Sall avait annoncé son approche. Celle-ci a bien fonctionné avec Karim Wade et Khalifa Sall qui n’ont pas pu prendre part à l’élection de 2019. Avec Idrissa Seck, la « réduction » s’est faite par l’intégration de Rewmi dans le camp présidentiel. Il ne restait que Pastef, dont la notoriété se limitait surtout à une partie de l’intelligentsia et de la diaspora.
Pour de nombreux observateurs, tous les actes posés contre cet adversaire n’ont servi qu’à augmenter le niveau de notoriété et le capital confiance des deux marques que représentent Sonko (marque leader) et Pastef (marque parti). Le positionnement des marques Sonko et Pastef tourne autour de deux éléments phares : honnêteté et patriotisme. Auprès du segment cible (les jeunes), il incarne la vraie posture « antisystème ». Tout autre candidat qui souhaite obtenir ce positionnement sera confronté à un obstacle majeur, car malgré la situation de Sonko, qui est en prison, et la dissolution du parti Pastef, c’est cet élément qui constitue leur véritable atout. La marque Sonko s’est installée dans l’esprit des larges masses avec un positionnement qui correspond parfaitement aux aspirations de celles-ci.
La logique de combat est une option qui présente des limites en démocratie, car la mouvance présidentielle est en train de lutter contre un ennemi protéiforme. Ce dernier s’incarne à travers des marques mères (Sonko et Pastef) capables de générer d’autres marques filles (Diomaye et peut-être d’autres). Plus la mouvance présidentielle s’inscrit dans la logique du combat avec des atteintes à l’État de droit et une remise en cause des libertés individuelles et collectives, plus la notoriété et le capital confiance de Sonko augmentent, transformant ce dernier en mythe, en super-héros qui, même s’il est écarté des prochaines joutes électorales, aura une capacité assez forte de mobiliser en faveur de celui qui sera élu prochain président de la République.
Erreur 3 — Desatteintes à la démocratie et aux libertés individuelles et collectives
On a assisté durant cette période récente à une remise en cause des acquis démocratiques et à des restrictions de libertés fondamentales : interdictions systématiques et répressions brutales des manifestations, entraves aux libertés des partis ou d’autres organisations de la société civile. En démocratie, toute atteinte aux acquis démocratiques suscite indignation et ressentiments. On interdit les manifestations à la place de l’Obélisque, mais Cheikh Bara Ndiaye et Sa Ndiogou de Walf organisent tous les jeudis un live qui est suivi en direct par près de 20 000 personnes et enregistre jusqu’à 100 000 vues en 48 heures ou 72 heures. Il s’agit d’un meeting virtuel qui a une audience particulièrement importante.
La démocratie a cette capacité de se défendre elle-même contre ceux qui utilisent des moyens antidémocratiques au sein du système. La toute-puissance de l’acteur qui détient les moyens de l’État ne perdure que s’il bénéficie d’un bon niveau de capital confiance. Si ce dernier, ancré dans la perception des électeurs, s’érode, la chute de cet acteur s’ensuivra grâce au jeu démocratique. En démocratie, plus le niveau de conscience des électeurs s’élargit, moins ils accepteront l’usage de moyens antidémocratiques, quel que soit le camp de l’auteur. Les électeurs ont deux solutions pour faire face aux dérives antidémocratiques : les manifestations immédiates d’indignation ou le bulletin de vote.
Erreur 4 — Des problèmes de communication
Depuis l’indépendance, on a assisté à l’utilisation exclusive des médias officiels par le pouvoir en place, réduisant ces outils à des instruments de propagande. Après 2012, un autre phénomène est apparu. Le pouvoir a entrepris de tisser des relations très étroites avec la plupart des médias classiques privés de type télévision ou presse. Dans l’imaginaire collectif, mise à part une minorité de médias — Walf, Sen TV —, tous les autres ont une ligne éditoriale qui ressemble à de la propagande au service du gouvernement. Mais durant la même période, on a également assisté à l’émergence de sites en ligne, offrant ainsi au public une diversité de points de vue.
À partir de mars 2021, toute la communication a tourné autour de Sonko. Après l’affaire « Adji Sarr », il y a eu l’affaire « Mame Mbaye Niang » et c’est le délit de vol de portable qui a servi de prétexte à son incarcération. Tous ces dossiers, même s’ils ont entamé l’honorabilité et la quiétude de Sonko, lui ont assuré une notoriété très importante non seulement auprès des jeunes, mais aussi au niveau des autres segments.
Par ailleurs, ce que beaucoup d’observateurs ne comprennent pas, c’est le message que Macky Sall veut envoyer en prenant des photos avec des personnes qui étaient auparavant farouchement opposées à la mouvance présidentielle et qui « changent de veste », même si elles furent d’anciens insulteurs ou pourfendeurs de son régime. Cela peut en inciter certainement d’autres à se « rendre », diminuant ainsi les capacités de nuisance des adversaires, mais détruit l’image de marque du Président.
Erreur 5 — De fortes hésitations à propos du troisième mandat et du dauphinat
En retardant le processus de désignation de son dauphin, cela a exacerbé les tensions en interne. Le candidat désigné a beaucoup de mal à se démarquer et à afficher un positionnement différent de celui de Macky Sall. Dans l’esprit des populations, Amadou Ba est un Macky Sall bis.
Comme évoqué en introduction, ces cinq erreurs ne contribuent pas au succès sur le marché électoral.
- L’enrôlement de leaders d’opinion, qui s’est souvent appuyé sur l’achat de conscience et la transhumance, n’entraîne plus une adhésion systématique des masses drainées par ces derniers. Efficace par le passé, il est devenu inopérant dans les zones à forte pénétration de smartphones, où l’on note de nouvelles aspirations et exigences.
- La toute-puissance et la logique de combat contre un adversaire politique présentent de sérieuses limites. Pire encore, elles contribuent à développer la notoriété de ce dernier.
- Les atteintes à l’État de droit ne peuvent perdurer dans un système démocratique. Les électeurs ont tendance à « corriger » tout acteur qui ne respecte pas le jeu démocratique.
- La communication de la mouvance présidentielle est brouillée par les « affaires Sonko », malgré les réalisations importantes au niveau des infrastructures.
- Les hésitations du président qui ont accompagné tout le processus de désignation d’Amadou Ba ne garantissent pas le maximum de chances au camp présidentiel. Ce candidat a beaucoup de mal à se démarquer de son tuteur et cela ne lui permet pas de construire un positionnement adéquat.
Ibrahima Thioye est consultant.
LE DG CHEIKH DIOP REPOND A GUY MARIUS SAGNA ET REMET LES POINTS SUR LES «I»
Visiblement très alerte et sans doute sûr de lui, le Directeur général du Programme d'urgence de développement communautaire (PUDC), Cheikh Diop, n’a pas perdu de temps pour répondre au député Guy Marius Sagna
Peu prolixe, le Directeur général du Programme d'urgence de développement communautaire (PuDC), Cheikh Diop, est sorti de sa réserve pour répondre à Guy Marius Sagna. Le parlementaire a adressé hier une question écrite au gouvernement, demandant si l’État «doit de l'argent à des entreprises du BTP auxquelles il a confié des travaux dans le cadre du programme d'urgence de développement communautaire (PuDC)».
Visiblement très alerte et sans doute sûr de lui, le Directeur général du Programme d'urgence de développement communautaire (PUDC), Cheikh Diop, n’a pas perdu de temps pour répondre au député Guy Marius Sagna qui a adressé hier une question écrite au gouvernement, demandant à l’équipe dirigée par Amadou Ba : «est-il vrai que le gouvernement du Sénégal doit de l'argent à des entreprises du BTP auxquelles il a confié des travaux dans le cadre du programme d'urgence de développement communautaire (PUDC) ?».
Avec des arguments à l’appui, Cheikh Diop est monté au front pour remettre les points sur les «i» et clore le débat. «C'est un consortium d'entreprises défaillantes qui, au bout de 7 ans (pour des contrats de 02 ans), n'ont pu respecter leurs engagements. Le PUDC a dû résilier les contrats pour passer à autre chose. Loin de nous l'idée de les asphyxier mais nous avons exercé notre droit de résiliation devant la situation de défaillances manifestes constatées», a-t-il indiqué.
Poursuivant son argumentaire, Cheikh Diop, qui a certainement voulu épargner au Premier ministre et son gouvernement de se triturer les méninges pour répondre à Guy Marius Sagna en cette période de fin d’année, persiste et signe : «Quand il s'est agi de sortir le PNUD de la gestion du PUDC, nous avons signé les protocoles de cession de contrats. Le premier engagement que devaient respecter ces entreprises n'a jamais été honoré à savoir: la substitution des cautions qui étaient au nom du PNUD et devant être libellées au nom du PUDC. Nous les avons pourtant accompagnées pour finir les travaux, mais hélas ! Nous avons pu constater leur incapacité à faire le travail. Le syndicat auquel elles sont affiliées est venu voir le PUDC : les dirigeants sont retournés convaincus que le PUDC était dans son bon droit parce que nous leur avons ouvert notre comptabilité avec tous les éléments de preuves à l'appui. Ils ont par la suite envoyé une correspondance pour requérir l'indulgence du Programme vis-à-vis de ces entreprises, sachant qu'elles n'avaient pas respecté leurs engagements et étaient en situation difficile».
Selon lui, «le PUDC dans sa phase1 a signé plus de 100 contrats; seules 3 entreprises se trouvent dans cette situation et crient sur tous les toits que nous les avons mises en difficulté». «Il n'en est rien. Si c'était notre option, nous aurions demandé au PNUD de rappeler les cautions et les banques émettrices seraient dans l'obligation de rembourser au Programme ces montants. Finalement, c'est cette catégorie d'entrepreneurs sénégalais qui font que certains programmes de l'État sont en retard. Oui pour les accompagner mais non à la complaisance ni la faiblesse pour ce qui concerne des infrastructures de base dédiées à des Sénégalais comme eux, des populations qui manquent de tout ; et le PUDC, autant que faire se peut, travaille pour le rattrapage de ce retard en infrastructures et équipements du monde rural. Les entreprises qui ont compris notre principe d'actions, nos valeurs, travaillent et bénéficient de notre confiance et celle de nos partenaires (BID, BAD et FSD) dans la transparence la plus absolue», a-t-il fait savoir.
Par Fadel DIA
BYE BYE, LA FRANCE !
Ce n’est pas nous qui quittons la France, c’est la France qui nous quitte, et nous ferme ses portes, l’une après l’autre, y compris celles que nous croyions les mieux verrouillées
Ce n’est pas nous qui quittons la France, c’est la France qui nous quitte, et nous ferme ses portes, l’une après l’autre, y compris celles que nous croyions les mieux verrouillées. Elle n’a pas seulement quitté le Mali, le Burkina Faso et le Niger, (et encore il ne s’y est agi que de fermer des bases et des ambassades), elle est après l’adoption de la loi Macron sur l’immigration, sur le point de quitter nos consciences.
Adoptée le lendemain de la Journée Internationale des Migrants, issue d’un projet hors contrôle du gouvernement, ficelée en trois heures par une commission parlementaire réduite et sous les directives du pouvoir exécutif, votée dans la panique, sous les acclamations de l’extrême droite qui a salué en elle une « victoire idéologique », c’est une loi dont la légitimité même pourrait être mise en cause. Sa promulgation devrait être l’occasion de tourner définitivement la page de la France célébrée chez nous comme « la patrie des droits de l’Homme », de pays des lumières, celui qui a inscrit la Fraternité sur le fronton de ses édifices. Il est vrai que ce n’est pas seulement elle mais toute l’Europe qui se ferme à nous, avec cet éternel paradoxe qui la caractérise puisqu’en même temps, elle nous reproche d’emprunter les autres portes qui s’ouvrent devant nous !
Nicolas Sarkozy avait démontré son ignorance de l’histoire de l’Afrique, Emmanuel Macron s’illustre par sa méconnaissance de l’histoire de la France. Le jeune homme immature en politique dont l’arrivée au pouvoir reste encore une énigme a, par cette loi, qu’il dit pleinement assumer et qui ne lui inspire ni honte ni regret, provoqué une rupture politique et morale et mis en cause les principes républicains fondamentaux qui ont fait la démocratie française. C’est une loi qui a dû se faire retourner dans leurs tombes tous ces enfants de l’immigration que sont Léon Gambetta, Emile Zola, Marie Curie, Paul Valéry etc. qui ont vécu sous une république à laquelle la France doit la reconnaissance du droit au sol. Comme on n’est jamais trahi que par les siens, ce sont aussi des enfants de l’immigration, qui sans doute ne laisseront pas les mêmes traces dans l’histoire, Gérald Darmanin, Eric Ciotti, Elisabeth Borne, Yaël Braun-Pivet etc. qui sont parmi les principaux artisans de cette déconstruction.
L’immigration a toujours été, en France, le disque dur du FN puis du RN, et avant de devenir le nouveau flambeau des Républicains, elle a fait l’objet d’une incroyable inflation législative (29 lois en quarante ans). C’est pourtant la première fois qu’une loi sur l’immigration cède sur toutes les lignes rouges de l’extrême droite et reprend ses principales revendications, dont la plupart ne figuraient pas dans le document laborieusement élaboré en 18 mois par le gouvernement -restriction des prestations sociales accordées aux immigrés en situation régulière, exclusion des sans papiers à l’hébergement d’urgence, remise en cause de l’aide médicale d’Etat ;
- glissement vers la préférence nationale et remise en cause des principes d’égalité des droits ;
- limitation du droit au sol dont l’automaticité n’est plus reconnue, mesure qui est pourtant sans lien avec une loi sur l’immigration ;
- durcissement du regroupement familial …
Cependant c’est sur une autre des dispositions de cette loi que je préfère m’appesantir, car si elle ne s’applique qu’à une population restreinte, c’est une mesure chargée de symboles parce qu’elle concerne une catégorie que l’on croyait sacralisée, celle des étudiants. Désormais, en France, il y a chez les étudiants aussi, les bons et les mauvais migrants, et parmi ces derniers figurent ceux qui viennent des pays d’Afrique qui sont à la fois les plus pauvres et les seuls à n’avoir que le français comme unique langue d’enseignement. Il leur est désormais exigé, de s’acquitter, au préalable, d’une caution retour qui ne leur sera restituée que lorsqu’ils quitteront le territoire français, car il est hors de question qu’ils y prennent racines. C’est une forme de prime d’otage, une « marchandisation de l’université », dénoncée par les plus prestigieuses structures d’accueil qui jugent qu’elle dégrade un domaine où précisément la France avait conservé une certaine attractivité. Pour nous, c’est un reniement de l’engagement de l’ancienne puissance coloniale à solder ses comptes et à constituer une communauté solidaire avec ceux auxquels elle avait imposé l’usage de sa langue, et par un curieux hasard, le Niger vient de suspendre sa participation à la Francophonie dont il était l’un des trois membres fondateurs! Cette ségrégation qui ne dit pas son nom ne servira qu’à ternir la réputation de la France comme « terre d’excellence d’enseignement supérieur et de recherches », au moment où on annonce qu’elle ne compte que 4 universités dans le top 100 du dernier classement académique (dit de Shanghai) des meilleures universités mondiales. Alors tant qu’à acheter une place, autant la choisir dans les meilleures, et dans celles qui forment dans des langues qui offrent bien plus de possibilités d’emplois que le français !
Bye bye à la langue française, avait lancé le Rwanda en décidant de basculer de la francophonie à l’anglophonie, et moins de vingt ans ont suffi pour opérer le revirement car, on l’oublie trop souvent, la langue française est une langue très minoritaire dans les pays africains communément appelés francophones. Il est peut-être temps, pour ces pays, de s’interroger s’il ne leur faudrait pas passer directement à la phase suivante : bye bye la France !
Pour en revenir à elle justement, on s’y inquiète que la nouvelle loi ait fracturé la majorité, au point de faire naître une fronde de députés et de ministres. C’est un évènement anecdotique car le macronisme ne survivra pas à Emmanuel Macron qui laissera le nom du président qui avait solennellement promis de faire barrage aux idées de l’extrême droite et qui en fin de compte, aura servi de passeur aux idées lepénistes. Ce qui serait plus lourd de conséquences ce serait que cette loi, qui est texte le plus régressif jamais voté en France sur l’immigration et dont le ministre de l’Intérieur lui-même a reconnu qu’il contenait des « mesures contraires à la constitution », s’avère inapplicable, ou improductive, ou sans effet sur les difficultés qu’elle était censée régler. On peut en tout cas noter qu’elle a déjà suscité une levée de boucliers qui fait vaciller ses auteurs et qui est le fait de parties qui comptent dans le pays et qui n’ont pas toujours les mêmes intérêts : universitaires, responsables humanitaires, professionnels de santé, syndicats, chefs de collectivités territoriales, mais aussi chefs d’entreprises dont certains ont estimé que la France allait avoir besoin de près de 4 millions de travailleurs étrangers d’ici au milieu du siècle.
On assiste ainsi à ce paradoxe : ce sont les initiateurs de la loi, dont le président de la République et la Première Ministre, qui supplient le Conseil Constitutionnel de servir de « voiture-balai à leur conscience », selon le mot d’un de leurs opposants, et de mettre fin à leur calvaire en sabrant les mesures qui font débat.
Dans le langage diplomatique tout ce jeu ressemblerait à de la real- politique, dans le langage ordinaire il porte le nom d’opportunisme ou plus simplement de lâcheté !