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4 mai 2025
Développement
DAARA J EN LUTTE CONTRE LE CAPITALISME
Quatre ans après Foundation, les deux rappeurs, Faada Freddy et Ndongo D, reviennent avec Yaamatele, un nouvel opus forgé entre Dakar, Paris et Kinshasa. Sur ses pistes, ils militent pour l’écologie et s’adressent aussi bien aux peuples qu’aux puissants
Quatre ans après Foundation, les deux rappeurs sénégalais de Daara J Family, Faada Freddy et Ndongo D, reviennent avec Yaamatele, un nouvel opus forgé entre Dakar, Paris et Kinshasa. Sur ses pistes, ils s’insurgent contre le capitalisme, militent pour l’écologie, et s’adressent, en wolof, en français et en anglais, aussi bien aux peuples qu’aux puissants. Pour eux, le rap, hérité des griots, est vecteur d’éducation. Encore une fois, avec Daara J Family, on est à bonne école !
RFI Musique : Que signifie le titre de ce disque, Yaamatele ?
Ndongo D : Yaamatele, c’est un personnage comique d’un dessin animé des années 1980, Onze pour une coupe : un robot, avec une grosse télé à la place du ventre. Depuis, dans le jargon de rues, au Sénégal, on utilise son nom pour désigner les personnes droguées à leurs écrans – télés, ordinateurs, téléphones portables. Notre titre-parabole dénonce cette addiction.
Faada Freddy : Aujourd’hui, tout est tellement digitalisé qu’on en perd notre humanité. Parfois, dans une maison, un membre de la famille regarde la télé dans la chambre, l’autre dans le salon…Et pour communiquer, ils s’envoient des SMS ! Les gens passent tant de temps agglutinés à leurs écrans, qu’ils en oublient de vivre ! Et puis, sur leurs appareils, arrivent tout un flux d’infos non triées : l’annonce de guerres, de décès tragiques, au milieu de bimbos aux seins nus… Le danger, c’est de devenir insensible à tout !
ND : En Afrique, il y aura bientôt 660 millions de smartphones. Même les grands-pères, dans les villages les plus reculés, possèdent ces outils numériques. Désormais, ce ne sont plus les politiciens qui gouvernent le monde, mais Facebook ou WhatsApp. D’ailleurs, les réseaux sociaux s’imposent comme des armes politiques puissantes, dont se sont servi Trump ou Bolsonaro pour arriver au pouvoir. Nous ne demandons pas aux jeunes d’abandonner leurs smartphones, mais d’adopter un recul critique face aux contenus.
Le dessin sur votre pochette de disque représente cette addiction…
FF : Oui, il révèle un arbre à palabres. Auparavant, tout le monde se réunissait autour de lui et de l’odeur d’un thé brûlant, pour s’offrir des moments de discussion, des temps d’échange et de partage. Sur la pochette, dans des lueurs crépusculaires, on voit désormais ces gens obnubilés par leurs écrans. Sur les branches de l’arbre, pendent des smartphones, tels des parasites ! En Afrique, on est même en train de perdre notre culture de l’oralité. Avant, un griot entraînait sa mémoire à garder l’art de la parole... Aujourd’hui, il cherche ses références sur Internet.
ADN, le titre d’ouverture de votre disque, s’avance comme un hymne écologique. Pourquoi ?
ND : Comme beaucoup, nous sommes profondément préoccupés par l’avenir de la planète. Déjà, en 2012, on avait sorti ce titre, Niit (qui signifie "observer de près avec une torche") et nous avions tourné le clip dans la plus grosse décharge de Dakar. Au Sénégal, il commence à y avoir une fragile prise de conscience. Quelques hommes politiques – un ou deux sur dix –, dont le ministre de l’Hygiène Publique, tâtonnent pour trouver des solutions écologiques. Et puis, il y a des initiatives, des mouvements comme Sénégal Ney Set ("Que le Sénégal soit propre") avec lequel nous collaborons.
FF : Au fil de nos voyages, nous croisons des gens qui partagent les mêmes angoisses, sur la déforestation et la pollution. Ainsi, j’ai pu échanger avec le Brésilien Almir Surui, le chef de la tribu Paiter Surui, en Amazonie. Les autochtones sont menacés de mort parce qu’ils protègent la forêt ; ils sont bousculés par les gros industriels qui veulent les faire disparaître. En Afrique, je citerais l’exemple de Kigali, qui interdit le plastique sur son sol : une des solutions vers une planète plus saine…
Vous rappez depuis vingt ans. Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts ?
FF : Dès l’origine, on a tâché de transmettre une parole qui pouvait élever les esprits. Nos parents respectifs étaient instituteurs. On avait en nous ce bagage-là pour prôner l’éducation. D’où notre nom, Daara J : l’école de la vie. Et notre responsabilité s’est accrue avec la notoriété. Depuis vingt ans, ce qui a changé et s’est empiré, c’est cette maladie qui ronge le monde : la globalisation et le capitalisme mondial. Aujourd’hui, la valeur d’un être humain se mesure à son compte en banque. Son bonheur, à son sourire posté sur Instagram. Nous sommes aussi dans une ère de l’ultra-communication, qui peut friser le mensonge. Même pour faire la guerre, on use de la communication. Nous, en tant que colibri, nous faisons notre part. Et en tant que rappeurs, nous tâchons de réinvestir une parole digne de sens.
Quelle est la situation au Sénégal ?
ND : Au niveau culturel, la situation évolue positivement. Il y a par exemple la Biennale des Arts…Beaucoup d’artistes continuent de repousser les limites. Mais là où ça coince, c’est au niveau des politiques, au service du capitalisme… Ca gâche tout ! Tu fais des beaux châteaux de cartes, et ils s’écroulent instantanément. Dans un titre comme Jotna, par exemple, on parle de la mainmise sur les économies en Afrique…
FF : On s’adresse aussi aux dirigeants. Avant de signer un accord, on leur dit : "prenez le temps de réfléchir. Ne voyez pas uniquement vos intérêts, vos amitiés personnelles. Pour protéger un lobby, vous sacrifiez toute une génération sur 50 ou 70 ans. Réfléchissez !". Dans Jamono, on parle au peuple, à tous ces jeunes Africains qui cherchent l’Eldorado en Europe, au péril de leur vie. Comme le dit l’écrivaine Fatou Diome, ils se jettent dans le "ventre de l’Atlantique" en emportant leurs rêves. A ces voyageurs du désespoir, je dis : "Vous partez chercher le diamant, mais vous oubliez que vous êtes assis dessus".
Derrière vos lyrics, votre musique a aussi évolué… Comment ?
FF : On a composé entre Kinshasa, Paris et Dakar. On est sortis de notre zone de confort ! Ainsi, au Congo, on a été inspirés par la rumba, avec des compositeurs comme Kratos. On mélange et ça donne Chaka Zulu, une certaine transe ! A Paris, on a travaillé avec Manu Sauvage qui collabore avec Youssoupha ou Arthur H.
ND : On a effectué un travail de recherche : comment faire pour que nos musiques parlent aux nouvelles générations, sans tomber dans la copie de la tendance, par nature éphémère ?
FF : En gros, on a forgé une musique équilibrée, qui garde ses racines. Je convoque souvent la métaphore de l’arbre : quand les "temps" viennent, les feuilles changent, mais les racines demeurent toujours, qu’importent les saisons ! Et puis, même si on travaille énormément sur nos lyrics et la musique, on essaie aussi de se laisser porter par la vibe, de ne pas tout contrôler, pour recevoir la magie de l’univers.
Comment se porte aujourd’hui le hip hop au Sénégal ?
FF : Le pays regorge de talents. Avec Internet et les home studios, les jeunes s’organisent. Ils osent aller de l’avant, sans attendre que les grosses maisons de disques les produisent. Ils créent leurs affaires, ils nous demandent des conseils…
ND : Il faut que ça devienne une industrie, au même niveau que les pays anglophones, portée par des investisseurs.
De toute façon, le hip-hop vient d’Afrique !
FF : Bien sûr ! C’est ce que nous expliquions dans notre album Boomerang, en 2003. Pour preuve, tous les précurseurs du rap américains avaient des noms africains, Afrika Bambaataa et la Zulu Nation en tête ! Le hip hop trouve directement sa source dans le griotisme, cet art rythmique de la parole. Il y a justement une vidéo qui circule sur le net, où Quincy Jones explique à Kendrick Lamar que le hip hop vient d’Afrique. On est ultra fiers !
Vous pensez que le rap et plus largement la musique, peut-être une solution ?
FF et ND : Evidemment ! On est souvent bien plus écoutés que des politiciens !
par Oumou Wane
MACKY SALL, L’EMPÊCHEMENT PERMANENT !
Le président qui n’est pourtant qu’au début de son second mandat, se bat seul ou presque contre une horde de détracteurs et d’affabulateurs obsessionnels qui n’ont de cesse de croiser le fer avec lui
Plébiscité il y a moins d’un an par la grande majorité des Sénégalais, le président Macky Sall qui n’est pourtant qu’au début de son second mandat, se bat seul ou presque contre une horde de détracteurs et d’affabulateurs obsessionnels qui n’ont de cesse de croiser le fer avec lui. Rien ne lui est épargné !
Entre ses opposants politiques naturels qui le harcèlent par leur virulence, leur insistance et parfois leur violence. Ceux de son propre camp qui pensent représenter à eux seuls un courant au sein de l’APR, pleurant un siège en ébène ou un tabouret doré à l’or fin. Ceux chez qui fait rage le débat autour du troisième mandat et qui spéculent déjà sur son successeur, malgré les mises en garde du président lui-même. Ceux qui, mais c’est peine perdue, font des accusations pour décrédibiliser son action politique. Ceux qui, conspirateurs cachés, l’assurent de leur soutien. Ceux qui, bénis hier, sont honnis aujourd'hui. Ceux qui le regardent avec méfiance dès qu'il s'agit d'argent. Ceux qui disent que sa vision se limite à Diamniadio…
À ces frustrés, s’en ajoutent d’autres qui, n’ont pas assez accès au chef de l’État et se pensent pourtant calibrés pour les gros cigares.
Mais nous dans tout cela, on n’en peut plus ! Fantasmes et ambitions nous tuent ! Dieu merci, les effets ambivalents de l'horizon électoral ne semblent pas affecter la conduite des politiques publiques. Car enfin, comment la vision de Macky Sall pourrait-elle déjà se trouver à l'épreuve des temporalités électorales.
Nous aurions tout à y perdre. Observons sa force de travail, sur tous les chantiers et dans tous les domaines et imaginons ce que cela pourrait être s’il ne devait pas lutter en permanence contre ce volcan en constante éruption.
Après Lomé ce mois-ci et le Royaume-Uni, le chef de l’Etat Macky Sall s’est envolé pour la Suisse, où il prit part au Forum économique mondial de Davos non sans un certain leadership. « Je prends part au Forum de Davos, pour évoquer les enjeux climatiques, économiques et sociaux qui doivent intégrer nos plans de développement »… « C’est en faisant dialoguer l’ensemble des acteurs politiques et la société civile que nous ferons face aux grands défis de ce siècle », a-t-il écrit via son compte Twitter.
Dans le monde entier la parole de notre président est crédible et écoutée. Il n’y a bien qu’ici chez nous que l’on aime casser du Macky sous prétexte que ce dernier refuse d’être l’otage de son propre clan, y-compris de ceux qui ont combattu avec lui dans l'opposition et qui attendent qu’il leur rende la monnaie de leur pièce.
Pour espérer succéder au président de la République, tous ceux-ci devront prendre un autre ascenseur, celui de la sociale démocratie.
Car les temps ont changé et le système a le devoir de promouvoir des hommes et des femmes nouveaux pour assurer le renouvellement politique. Personnellement, j’ai apprécié par exemple le discours de la présidente du Mouvement national des femmes de l’Alliance pour la République (APR) : «Attention les hommes, les femmes foncent sur vous ! Elles arrivent avec l’intention de prendre les mairies, car il est temps qu’elles soient portées à la tête de nombreuses mairies lors des prochaines locales», a déclaré samedi Ndèye Saly Diop Dieng.
Mais revenons à notre président Macky Sall et soyons objectifs. Nous qui l’avons élu et plébiscité pour nous gouverner, cessons de lui mettre des bâtons dans les roues et ayons ensemble l’audace de faire progresser les esprits, de dialoguer pour construire la cité. À commencer par nettoyer devant nos portes.
S’agissant par exemple de la mobilisation citoyenne lors des prochaines journées nationales du nettoiement, prévues le 1er février 2020, donnons à nos villages et nos communes l’appui nécessaire et récoltons les fruits de notre travail.
Il y a tant à faire pour gérer des urgences multiples, particulièrement économiques et sociales dans notre pays, que continuer d’empêcher en permanence sa bonne gouvernance, serait suicidaire. Alors, pour mettre fin à cette guerre des clans et de positionnement à l’extérieur comme au sein du pouvoir, que chacun prenne d’abord un siège et vienne s’asseoir à la table du dialogue national.
A PARIS, LE CAMP DE LA HONTE
Porte d’Aubervilliers, au ras du périphérique, 2 000 migrants survivent dans un flot d’indifférence
Le terrain boueux, casse-gueule, se traverse en équilibriste. Couvertures, bâches, tapis, sacs de couchage retiennent tant bien que mal de la glissade. La gadoue qui les recouvre ne gêne plus les adolescents qui circulent en sandalettes, sans chaussettes. Au pied du muret qui longe la bretelle d’accès au périphérique, un amoncellement de détritus, sur 350 mètres ; des montagnes de vêtements usagés, trop humides pour être portés plusieurs jours : l’hiver les empêche de sécher. Environ 2 000 migrants survivent dans cette poubelle géante, bidonville indigne à 3 kilomètres du Sacré-Cœur. Afghans, Soudanais, Erythréens, Somaliens et, depuis peu, Iraniens et Koweïtiens. A la nuit tombée, une armée de rats vient quasiment doubler cette population. Ils pénètrent sans gêne dans les cabanes et les tentes endormies, y déposent leur urine nauséabonde.
Les cabanes, minuscules, bricolées avec des morceaux de tôle et de contreplaqué offerts par les Roms, s’alignent sur la partie haute du camp. On en compte une soixantaine, la plupart aménagées avec un soin émouvant : au sol, lino carrelé, tabourets rouillés ou fauteuils éventrés ; un seau ou une bassine d’eau ; un réchaud. Des étagères branlantes portent le strict nécessaire pour la toilette et les maigres provisions. Des bougies éclairent un morceau de verre souvent brisé, miroir de fortune. Le lit : une planche en bois et un matelas en mousse détrempé où se serrent deux, trois personnes. Ishaq, 30 ans, a quitté l’Erythrée depuis que l’Etat a entrepris de fermer une à une les églises et les écoles. Il a transformé sa cabane en chapelle. Sur sa porte en bois blanc, Ishaq a inscrit au feutre le psaume 23 de l’Ancien Testament : « L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien. » A l’intérieur, une exposition des portraits froissés des évangélistes, rapportés de son pays, où il devait les cacher. « Dieu nous fait avancer dans les bons jours comme dans les mauvais », murmure-t-il dans un sourire.
On ne compte plus les tentes, collées les unes aux autres, de toutes tailles et couleurs, où s’entassent entre trois et huit personnes. Amir et Asmata, deux Afghans de 23 ans, ont négocié la leur (30 euros) à d’autres Afghans rencontrés ici le 28 décembre 2019, jour de leur arrivée. Réparateurs d’ordinateurs à Kaboul, les deux amis ont décidé de fuir leur pays en juin 2018, après avoir professé leur athéisme sur les réseaux sociaux. Ils sont hazaras, cette minorité chiite cible favorite des talibans qui les torturent ou les décapitent. Ils ont traversé l’Iran, la Turquie, franchi la Méditerranée sur un bateau « très d’occasion », où dix personnes ont trouvé la mort.
Amir et Asmata font partie des rares nouveaux venus en Occident. A Aubervilliers, comme ailleurs en France et en Europe, ces « primo-arrivants » représentent 25 % seulement des migrants. « Depuis la grande vague de 2015, le nombre de demandeurs d’asile est retombé au niveau normal et gérable de 2014 : 600 000 pour l’UE, constate Pierre Henry, directeur de France terre d’asile. Mais ces camps alimentent le fantasme de l’envahissement » : 75 % des occupants de la porte d’Aubervilliers sont arrivés en Europe en 2015, qu’ils sillonnent depuis quatre ans. Résultat « fâcheux et déplorable » du règlement de Dublin III, sur lequel toutes les associations tirent à boulets rouges : le pays dans lequel une demande d’asile a été formulée est celui chargé de son instruction. S’il est débouté, le demandeur peut rouvrir un dossier dans un autre pays de l’Union, mais de douze à dix-huit mois plus tard, selon les règles en vigueur. Conséquence : des mois d’errance utilisés comme arme de dissuasion pour stopper d’éventuels candidats. « On se trompe : l’espoir qui guide ces populations est plus fort que nos traités, poursuit Pierre Henry ; 250 000 êtres humains sont ainsi satellisés au sein de l’Europe. Les pays se les refilent comme une patate chaude », déplore-t-il. Ainsi, sur cette bordure de périphérique, ils sont quelques-uns à avoir été déboutés de toutes les procédures, même par la Cour nationale du droit d’asile.
Devant leur grande tente recouverte d’une épaisse bâche imperméable bleue – un luxe, ici –, huit copains afghans partagent un poulet aux oignons, cuit sur un brasero. Ils ont fui leur pays en 2016, se sont rencontrés au hasard de leur long périple. Déboutés en Serbie, en Hongrie, en Autriche ou en Allemagne, nations qu’ils ont traversées à pied, ils font partie des « réfugiés statutaires » qui possèdent des autorisations de séjour variant de un à cinq ans. « Dublin rime avec inhumain, s’indigne Yann Manzi, cofondateur d’Utopia 56. Le labyrinthe administratif crée un mur invisible. On remet à la rue des milliers de personnes obligées de s’installer dans une clandestinité provisoire. Leurs droits fondamentaux – boire, manger, se laver – sont bafoués. L’Europe est incapable de se mettre autour d’une table pour intégrer ces 0,03 % de sa population. Ça n’est pas une crise migratoire, c’est une crise d’accueil ! »
Selon Pierre Henry, « 80 % du flux migratoire concerne sept pays de l’UE. Il suffirait qu’ils s’accordent à sept sur des critères convergents. » L’Italie et l’Espagne n’enregistrent quasiment plus d’empreintes. Ils considèrent avoir pris leur part, comme l’Allemagne, qui a reçu en 2015 890 000 réfugiés, en majorité syriens. La France supprime des aides aux migrants enregistrés dans un autre pays membre. On n’accueille pas vraiment, on n’expulse pas non plus. « Pour éloigner ces populations, nous signons des accords financiers odieux avec la Turquie, l’Algérie, le Maroc et même la Libye, affirme Yann Manzi. Résultat : on fabrique des sans-papiers, des déçus qui deviennent délinquants de droit commun. Et peut-être même de futures bombes. On alimente aussi les réseaux de passeurs. » Entre 2015 et 2019, 1 362 filières ont été démantelées.
A l’époque de la grande vague migratoire, les permanences de psy traitaient le stress post-traumatique lié aux situations de guerre, aux dangers du voyage – dont les viols en Libye –, aux pertes de proches lors de traversées en mer. Hanaë El Bakkali, psychothérapeute pour Le Chêne et l’Hibiscus, voit désormais apparaître des états dépressifs. « Cette errance engendre la perte d’espoir et surtout d’identité, témoigne-t-elle. Mes interlocuteurs se sentent déshumanisés, rejetés. Leur désillusion se traduit par de la honte, mais aussi par beaucoup de colère. »
Afghans, Soudanais, Erythréens se débrouillent tous en allemand, en italien, en espagnol, langues des pays où ils ont transité. Ahoabta, 26 ans, a quitté en février 2016 Asmara, capitale de l’Erythrée, le pays le plus fermé de la Corne de l’Afrique. Ce ne sont ni la sécheresse ni la pénurie d’eau et de nourriture qui ont motivé son départ, mais l’armée. « Le service militaire est obligatoire, sauf que sa durée, c’est à la tête du client. Il peut durer toute une vie ! Moi, je rêve d’être avocat en France. » Il a accosté en Italie en septembre 2016, donné ses empreintes, qui figurent au fichier Eurodac consultable par toutes les administrations et polices de l’UE.
A 300 mètres du camp d’Aubervilliers, une dizaine de bénévoles de l’Armée du Salut servent chaque matin, en plein air, 700 petits déjeuners financés par la Ville de Paris. Pour les repas du midi et du soir, les Restos du Cœur et la Fondation de l’Armée du Salut disposent aussi d’un vaste local où passent quotidiennement 200 migrants. Ils bénéficient également de consultations médicales et juridiques. Et rechargent leur portable, jouent aux cartes ou aux dominos, roupillent sur les quatre grands canapés. Deux lave-linge et deux sécheuses tournent à plein régime. Certains vêtements sont bouillis : la gale sévit dans le camp. Durant leurs maraudes, France terre d’asile, Utopia 56 et Médecins du monde proposent également les services de personnel médical, d’interprètes, de psys et de juristes. Les migrants demandent sans cesse la signification des SMS de l’Ofpra ou du tribunal administratif qui font état de l’avancement de leurs dossiers. Pas facile de leur annoncer un refus, qui déclenche une longue procédure d’appel. Les intéressés sont censés contacter les administrations, mais les plateformes pour le faire sont payantes et saturées. Alors ils doivent se déplacer, ce qui prend la journée entière. Enfin, les diverses associations gèrent un « réseau citoyen » de 600 hébergeurs. Priorité aux femmes et aux enfants, à qui on évite de demeurer dans le camp. Les prises de territoire provoquent, çà et là, entre communautés, de violentes disputes, voire des rixes plus viriles à couteaux tirés.
Des rivalités qui cessent sitôt qu’on annonce un ravitaillement à l’entrée du camp. Ainsi, jeudi 16 janvier, des fonctionnaires du ministère de la Justice, portant des gants de protection, sont venus distribuer des kits d’hygiène et des provisions. Suivait une rutilante berline de l’ambassade des Emirats arabes unis, porteuse de 70 plateaux-repas. Midi et soir, les Restos du Cœur et La Chorba servent entre 300 et 400 repas porte de la Villette. Vendredi 17 janvier, 15 h 30. Une poignée de riverains manifestent devant l’école maternelle Charles-Hermite pour protester contre « les migrants consommateurs de crack ». Le squat de la « colline du crack », démantelé fin 2019, s’est réinstallé en face du camp. Mais ce no man’s land est peuplé en majorité de ressortissants… français.
Samedi 18 janvier, 17 heures. Ils sont onze. Une poignée de jeunes filles et de garçons de l’Ile-Saint-Denis (93) qui pénètrent gaiement dans le camp, chargés de sacs remplis de vêtements, collectés grâce aux réseaux sociaux. Ils ont créé une petite association, Espoir et Avenir. Ils se penchent vers les tentes, demandent en anglais s’il y a des femmes et des enfants, à qui ils destinent les habits. Des têtes d’enfants apparaissent, qui sourient. Les mères restent au fond de la tente. Elles ont souvent honte. Sur le muret de la bretelle du périphérique, Hussein et Oussman, deux gamins, regardent passer les voitures. Leurs rêves d’avenir ? A des années-lumière de nos soucis de retraite.
LES NOMINATIONS AU CONSEIL DES MINISTRES DU 29 JANVIER
SenePlus publie ci-dessous, les nominations prononcées au Conseil des ministres du 29 janvier 2020.
"Au titre des mesures individuelles :
le Président de la République a pris les décisions suivantes :
Monsieur Thierno Seydou Ly, Ingénieur Polytechnicien, est nommée Directeur des Hydrocarbures, au Ministère du Pétrole et des Energies , en remplacement de Madame Aminata Ndoye TOURE, appelée à d’autres fonctions"
LE GOUVERNEMENT POUR UN AMÉNAGEMENT HARMONIEUX DU TERRITOIRE
Le Ministre des Finances va proposer dans les meilleurs délais, un projet de décret portant réorganisation de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales (CCOD) -COMMUNIQUE DU CONSEIL DES MINISTRES
SenePlus publie ci-dessous, le communiqué du Conseil des ministres du 29 janvier 2020.
"Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL, a présidé le Conseil des ministres, le mercredi 29 janvier 2020, au Palais de la République.
Le Chef de l’Etat a, à l’entame de sa communication, évoqué la tenue, le 24 janvier 2020, sous sa présidence, du Conseil présidentiel de validation du nouveau Plan national d’Aménagement et de Développement territorial (PNDAT).
Le Président de la République a, à cet égard, félicité le Ministre des Collectivités territoriales, l’Agence nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT) et l’ensemble des personnes, structures et partenaires qui ont contribué au processus d’élaboration de ce plan (PNADT).
Le Chef de l’Etat a rappelé l’impératif de veiller à l’aménagement harmonieux et durable du territoire national, ainsi qu’au respect scrupuleux des orientations qu’il a validées sur la base de quatre (4) principes directeurs : (i) la mise en cohérence des plans sectoriels en déploiement, (ii) l’optimisation du potentiel des territoires et de leur développement, (iii) la promotion de l’attractivité du Sénégal et (iv) la consolidation de la compétitivité des territoires.
Il a, en outre, particulièrement insisté sur la nécessité d’accorder une importance primordiale à l’aménagement numérique du territoire ; à la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes ; de même qu’à la décentralisation conséquente de la politique industrielle, en adéquation avec les schémas sectoriels de développement des infrastructures nationales et communautaires.
Le Président de la République a, dans cet élan, indiqué l’urgence de vulgariser le PNADT auprès des institutions, des collectivités territoriales et du secteur privé, avant l’adoption, en avril 2020, du projet de loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable des territoires.
Au demeurant, le Chef de l’Etat a invité le Gouvernement, à adjoindre au PNDAT, un cadastre universel sous le pilotage du Ministre des Finances et du Budget, qui proposera, dans les meilleurs délais, un projet de décret portant réorganisation de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales (CCOD).
Le Chef de l’Etat a aussi demandé au Ministre chargé du Plan de finaliser le nouveau système national de Planification.
Le Président de la République, évoquant la stratégie « Sénégal numérique », SN2025, a insisté sur la nécessité d’’intensifier sa mise en œuvre et invité la Ministre chargée de l’Economie numérique d’accélérer le processus, en précisant à chaque acteur de l’écosystème du numérique impliqué, sa feuille de route actualisée, intégrant les actions consensuelles à déployer sur la période (2020-2025), ainsi que les ressources indicatives à mobiliser.
Le Président de la République a, à ce sujet, rappelé l’importance qu’il accorde au basculement intégral au Numérique pour la Télévision Numérique Terrestre (TNT), durant le premier semestre 2020, et à l’intensification de l’intégration du digital dans le système éducatif afin d’accélérer le développement l’intelligence artificielle et de l’économie de la connaissance.
Le Chef de l’Etat a, au titre de la consolidation de la transparence et de la bonne gouvernance au Sénégal, rappelé la création de structures dédiées (OFNAC, CENTIF) et la mise en place de procédures rigoureuses et inédites. Il a informé le Conseil qu’il présidera, le 30 janvier 2020, la cérémonie de restitution du rapport du Sénégal dans le cadre du Mécanisme africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP).
Le Président de la République, évoquant l’épidémie du coronavirus qui sévit en chine à Wuhan, a informé le Conseil des mesures prises pour assister nos compatriotes, avant d’exprimer la solidarité et le soutien du Gouvernement sénégalais à l’endroit de son Homologue XI JINPING et du peuple chinois tout entier.
Revenant sur la gestion et le suivi des affaires intérieures, le Président de la République a demandé au Ministre de l’Enseignement supérieur de mettre en œuvre, sans délai, en rapport avec le Ministre des Finances, les mesures pédagogiques, financières et sociales d’accompagnement validées pour assurer le meilleur accueil des nouveaux bacheliers orientés au niveau des universités publiques.
S’agissant de la mobilisation citoyenne lors des prochaines journées nationales du nettoiement, prévues le 1er février 2020, le Président de la République a invité les populations, les élus et toutes les bonnes volontés, à poursuivre cet engagement citoyen remarquable. Il a invité le Ministre chargé du cadre de vie à prendre les dispositions nécessaires pour mettre en place la logistique d’appui nécessaire.
Le Chef de l’Etat a clos sa communication sur le suivi de la Coopération et des Partenariats. A ce sujet, il est revenu sur le dynamisme international du secteur privé national et le développement des partenariats gagnants-gagnants. A ce titre, il a informé des résultats du Forum sénégalo - turc qu’il a co-présidé le 28 janvier avec le Président ERDOGAN, en visite au Sénégal, notamment les sept (7) accords signés, venant compléter le cadre juridique des relations sénégalo-turques dans divers domaines de la culture, de l’éducation, du sport, de la diaspora, de la gestion des catastrophes et des archives nationales.
Le Chef de l’Etat a, enfin, évoqué le développement des partenariats avec le secteur privé allemand, suite à sa visite, à Berlin, en compagnie d’hommes d’affaires sénégalais et à l’invitation de l’Association Allemande des PME.
Au titre des communications, le Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République a fait une communication sur la première réunion du Conseil de Surveillance de MCA-Sénégal II, le suivi des directives présidentielles et l’inauguration d’un Centre international de cancérologie a? Ouakam.
Le Ministre des Finances et du Budget a fait le point sur l’exécution du budget 2020, la situation d’approbation du budget des structures autonomes.
Le Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur a fait une communication sur la situation internationale.
Le Ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural a fait le point sur le déroulement de la campagne de commercialisation arachidière et de la campagne horticole.
Le Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération a fait une communication sur le cadre des partenariats publics-privés.
Le Ministre, en charge du Suivi du Plan Sénégal Emergent (PSE) a fait le point sur l’état d’avancement des projets prioritaires et a rendu compte de la réunion tenue le 25 janvier 2020, avec le G7 et les ministres sectoriels, aux fins d’une année scolaire apaisée.
Au titre des textes législatifs et réglementaires, le Conseil a examiné et adopté :
le projet de loi autorisant le Président de la République à ratifier l’amendement de Doha au protocole de Kyoto à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
Au titre des mesures individuelles :
le Président de la République a pris les décisions suivantes :
Monsieur Thierno Seydou Ly, Ingénieur Polytechnicien, est nommée Directeur des Hydrocarbures, au Ministère du Pétrole et des Energies , en remplacement de Madame Aminata Ndoye TOURE, appelée à d’autres fonctions"
LE BASSIN SÉDIMENTAIRE MSGBC ’’N’A PAS LIVRÉ TOUT SON POTENTIEL’
Depuis les années 1950, le bassin MSGC commun à la Gambie, à la Guinée, à la Guinée-Bissau, à la Mauritanie et au Sénégal, a fait l’objet d’activités intenses d’explorations pétrolières et gazières, selon Macky Sall
Le bassin sédimentaire MSGBC, commun à la Gambie, à la Guinée, à la Guinée-Bissau, à la Mauritanie et au Sénégal est loin d’avoir livré tout son potentiel, a révélé, mercredi, le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall
’’Le sommet international sur le MSGC depuis la première édition tenue en 2016 offre l’occasion de montrer aux acteurs mondiaux l’exemplarité de notre coopération, mais aussi l’attractivité de notre bassin, qui est loin d’avoir livré tout son potentiel’’, a-t-il dit, à l’ouverture du quatrième sommet du bassin sédimentaire MSGBC.
Le président Sall a rappelé que depuis les années 1950, le bassin MSGC a fait l’objet d’activités intenses d’explorations pétrolières et gazières.
’’Cela nous a permis, après des années d’efforts, en 2014 de faire d’importantes découvertes de pétrole au Sénégal (le projet Sangomar), mais aussi de gaz naturel en Mauritanie et au Sénégal redonnant ainsi un intérêt accru à notre bassin sédimentaire’’, a-t-il dit.
Macky Sall a fait savoir que ’’beaucoup d’évolutions positives’’ ont été notées depuis ces découvertes dont certaines sont en cours d’évaluation et de développement.
Tous ces projets sont des défis en terme de complexité géologique mais surtout des enjeux financiers, a souligné le chef de l’Etat.
Macky Sall a affirmé que ces évolutions majeures nécessitent ’’des réformes bien structurées et portées par des orientations stratégiques, des mesures ciblées, des dispositions participant à asseoir un cadre de gestion sain et durable de ces ressources naturelles au bénéfice du peuple sénégalais’’.
Selon le chef d’Etat, c’est tout le sens des améliorations apportées dans le dispositif institutionnel et le cadre juridique du Sénégal dans le domaine des hydrocarbures.
par Léo Pajon
ANGÉLIQUE KIDJO ET LE DÉSERT MUSICAL AFRICAIN
Les Grammy Awards ont un problème avec l’Afrique. Avec l’Afrique d’aujourd’hui. Celle qui s’enjaille dans les maquis sur les sons de Fally Ipupa, Tiwa Sawage, Sidiki Diabaté ou Burna Boy...
Jeune Afrique |
Léo Pajon |
Publication 29/01/2020
En accordant à l’artiste béninoise une 4e récompense face à Burna Boy, les Grammy Awards ont démontré leur incapacité à saisir la révolution artistique en cours sur le continent.
Dimanche dernier, lors de la fastueuse cérémonie des Grammies au Staples Center de Los Angeles, regroupant quelques-uns des plus influents professionnels de l’industrie, c’est Angélique Kidjo qui s’est vue décerner le Grammy Award du meilleur album de musique du monde.
La récompense est à la fois entièrement méritée et totalement décourageante. Méritée car son disque « Celia », hommage solaire à la diva cubaine Celia Cruz, est une réussite, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire. Décourageante parce que, encore une fois, la cérémonie passe à côté du formidable bouillonnement artistique qui se joue en ce moment sur le continent.
Nouvelles générations écartées
Les Grammy Awards ont un problème avec l’Afrique. Avec l’Afrique d’aujourd’hui. Celle qui s’enjaille dans les maquis sur les sons de Fally Ipupa, Tiwa Sawage, Sidiki Diabaté ou Burna Boy. Ce dernier faisait partie des quatre artistes en lice, avec Angélique Kidjo, pour cette catégorie « musique du monde », décidément très fourre-tout.
Plutôt que de décerner un premier Grammy à Burna Boy, le jury a donc préféré en offrir un quatrième à Angélique Kidjo. Ironiquement, les deux géants africains se connaissent bien, le Nigérian ayant d’ailleurs invité la Béninoise à participer à un des titres de son dernier disque (« Different », avec également Damian Marley).
Et, chose à peine croyable, lors de la cérémonie, aussitôt son trophée en mains, la chanteuse se fendait d’un discours offensif et généreux pour le dédier à Burna Boy : « Il y a quatre ans sur cette scène, je vous disais qu’une nouvelle génération d’artistes venus d’Afrique allait vous prendre d’assaut. Ce temps est venu. Ceci est pour Burna Boy (en montrant sa récompense). Burna Boy fait partie de ces jeunes artistes africains qui changent la façon dont notre continent est perçu, et qui montre que la musique africaine est l’un des principaux composants de toutes les musiques ».
Plusieurs influenceurs noirs se sont aussi émus du choix discutable des Grammies. Naomi Campbell (8,4 millions d’abonnés Instagram) présentait même des excuses au chanteur nigérian sur son compte : « C’est seulement à cause du manque d’éducation que vous n’avez pas été honoré des distinctions que vous méritez vraiment. »
Manque d’éducation ou logiciel vieillissant ? Les professionnels qui votent pour les récompenses semblent être attachés à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Lors des éditions précédentes des Grammies, ce sont globalement des vieux routiers de la scène internationale qui ont reçu le précieux gramophone. Le groupe de musique touareg Tinariwen, créé en 1982 ; le soweto gospel choir, formé en 2002 (encore récompensé en 2019), le groupe vocal masculin sud-africain Ladysmith Black Mambazo, fondé en 1960…
La chose serait moins grave si les Grammies étaient les seuls à préférer les baobabs aux jeunes pousses. Or nous avons pu le constater autour de nous en France : journalistes, organisateurs de festivals, programmateurs de radio… à l’extérieur du continent, une vieille garde veille aussi à préserver les anciens face aux modernes, par amitié pour les premiers et mépris ou méconnaissance des seconds. De là la rareté d’articles, de concerts, de diffusion radio de titres afrobeats, notamment, qui font pourtant vibrer toute l’Afrique, et dont la qualité n’est plus à prouver.
Une voie de salut existe pour tous, pourtant, celle qu’ont dessinée Burna Boy et Angélique Kidjo en collaborant : ne plus envisager les générations comme adversaires. L’« African Giant » porte d’ailleurs à son cou en permanence un médaillon incrusté de diamants représentant Fela, qu’il cite à longueurs de tubes. Tout un symbole.
par Yoro Dia
LA SUBLIME PORTE DE L’ÉMERGENCE
Un pays ne peut pas vouloir émerger en faisant appel à l’investissement étranger et passer son temps à dénoncer la neo-colonisation française, turque, chinoise, marocaine…
La semaine dernière, je vous entretenais du Dialogue national qui n’est rien d’autre qu’une arme de distraction massive, l’art de perdre du temps à chercher des solutions à des problèmes artificiels, parce que le Sénégal n’a pas fondamentalement un problème politique. C’est cet art de perdre du temps à chercher des solutions à des problèmes artificiels qui fait que la vie politique sénégalaise est mortellement ennuyeuse. Tout est réduit à des problèmes d’ego et d’attaques personnelles. La vie politique sénégalaise est devenue une torture intellectuelle. Pour fuir cette torture, je m’exile sur l’International.
Je vais commencer mon long exil par la Turquie. Un grand pays, un grand peuple, une grande histoire, comme la Russie, ou l’Iran. Derrière l’Iran «perce» toujours la Perse antique. De Gaulle qui avait le sens de l’histoire, a toujours compris que derrière l’Urss qui était une création artificielle, perçait toujours la Grande Russie. De la même manière, derrière la Turquie perce toujours l’empire ottoman. Il faut partir de ce postulat que derrière la Turquie perce l’empire ottoman, pour comprendre la politique extérieure de Erdogan et sa «volonté de puissance» qui, à défaut de recréer l’empire ottoman, veut créer une zone d’influence dans la plupart des anciens territoires de l’empire (le Maghreb, le Moyen Orient, l’Arabie et l’Europe). Les Turcs sont comme les Perses et les Russes. Ils ont l’orgueil national très développé. C’est le propre des pays qui ont eu un passé impérial. Le Mali est dans la catégorie mais n’a pas les moyens de son orgueil, alors que les Turcs s’en donnent les moyens. Ils veulent adhérer à l’Union Européenne. La porte se ferme de devant la Sublime Porte (autre nom de l’empire ottoman), Erdogan ferme la porte de l’Europe et ouvre celle de l’Orient, en rappelant aux Turcs que leur empire s’étendait des Balkans à l’Arabie. Et Jérusalem, la Mecque, Médine, la Bulgarie, la Roumanie … ont été des provinces ottomanes comme a failli aussi l’être Vienne, assiégée deux fois sans succès par les Ottomans. Donc, on se tourne vers l’Orient mais on ne désintéresse pas de l’Europe, où s’est passée la plus grande partie de l’Histoire de la Turquie, qui a dominé la Grèce pendant des siècles, guerroyé des décennies dans les Balkans et mené de multiples guerres contre la Russie en Crimée. Sur le plan purement historique, la Turquie est européenne mais la peur de l’Islam a poussé les Européens à utiliser tous les subterfuges pour lui fermer la porte.
La Turquie est tellement européenne que François 1er dans sa bataille contre Charles Quint, s’est allié au sultan Soliman, que les Européens appellent Soliman le Magnifique, que les Ottomans appellent le Législateur. Après le déclin de l’empire, Mustapha Kemal Atatürk, pour reformer le pays, a tourné le dos à l’Orient pour se tourner vers l’Europe et ses standards. Erdogan regarde vers l’Est mais tient l’Europe par l’épée de Damoclès de l’immigration, en menaçant d’ouvrir les vannes vers l’Europe car la Sublime Porte est devenue la porte de l’Europe pour les migrants. La Turquie a des merveilles qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie, comme Sainte Sophie bâtie par l’empereur Byzantin Justinien, qui avait l’ambition de dépasser le Roi Salomon et son temple de Jerusalem, le Palais de Topkapi qui a donné son nom au Lounge de l’aéroport Blaise Diagne, mais aussi et surtout Byzance-Constantinople-Istanbul, l’unique ville au monde où l’on peut «changer de continent, sans changer de pays en restant dans la même ville».
L’idée de Sublime Porte pour qualifier l’empire ottoman, renvoie aux nombreuses portes qu’il fallait traverser pour accéder au sultan. L’Emergence pour le Sénégal est aussi une sublime porte. La première qu’on doit franchir est celle du complexe d’infériorité qu’on masque par l’orgueil anachronique. Un pays ne peut pas vouloir émerger en faisant appel à l’investissement étranger et passer son temps à dénoncer la neo-colonisation française, turque, chinoise, marocaine… Dubai est ouvert à tous les investisseurs, et sans que les Arabes pensent que leur pays a été vendu aux étrangers, parce qu’ils n’ont pas de complexe d’infériorité. Le Fondateur des Emirats a aidé ses populations à dépasser le cap. Quand les investisseurs ont commencé à affluer, les Arabes avaient commencé à dénoncer l’invasion étrangère. Il convoqua une grande réunion tribale en leur rappelant que leur pays était un désert. Que les Arabes vivent dans les déserts parce qu’ils n’ont pas le choix, d’où toute cette poésie autour de l’idéal du jardin, de la verdure et de l’eau, qui est l’antithèse du désert. Que si des Occidentaux, pour des raisons irrationnelles, venaient y bâtir des tours, on devrait les encourager parce que, en rentrant chez eux, ils ne ramèneraient pas leurs tours dans leurs sacs et ne les amènent pas non plus dans leurs tombes. Une très grande sagesse qui a fait aujourd’hui que Dubaï est la «ville rêvée» des Arabes. Inspirons-nous de cette sagesse, et de cette ouverture pour faire de Diamniadio la ville rêvée des Africains. Réapproprions-nous Senghor. Soyons ouverts au monde tout en restant enracinés.
"MOUSTAPHA DIAKHATE EST UN CAS DE FLAGRANT DÉLIT"
Cheikh Bakhoum qui milite pour une structuration de l'APR, juge «regrettable» la situation agitée que vit le parti au pouvoir
Cheikh Bakhoum milite pour une structuration de l’Apr même s’il ne partage pas la démarche de Moustapha Diakhaté. Le responsable apériste de Grand Yoff juge «regrettable» la situation agitée que vit le parti au pouvoir.
Etes-vous d’accord avec l’exclusion de Moustapha Diakhaté ?
Je suis tout à fait en phase avec la décision du parti. Moustapha Diakhaté est un camarade qui était là depuis la création de l’Alliance pour la République. Il fait partie des premières personnes que j’ai connues dans le parti. La situation que nous connaissons au sein du parti est extrêmement regrettable. Tout ça est dû au fait que l’Apr est un très grand parti. C’est normal que les gens donnent leurs avis. Il est par contre très regrettable que ces avis soient donnés sur la place publique, dans la presse. Nous pouvons poser nos idées, nos divergences dans le cadre des instances du parti. J’espère que Moustapha Diakhaté pourra revenir à de meilleurs sentiments et réintégrer le parti. Mais je dénonce vigoureusement ses attaques contre le parti et, parfois même, contre son président. Cela a conduit naturellement à son exclusion. Si j’avais posé ces actes, je ne pourrais qu’attendre une exclusion. Quand on est responsable de l’Apr, on se doit de défendre ce parti et sa direction.
L’Apr est-elle scindée en deux avec la création du mouvement de Moustapha Diakhaté ?
Son mouvement ne peut pas prospérer au sein du parti. Soit on est membre de l’Apr ou on ne l’est pas. Les statuts de l’Apr ne prévoient pas la création de mouvements en son sein. Les actes de Moustapha Diakhaté sont désormais posés hors de l’Apr et n’engagent pas le parti.
Mais un organe dénommé conseil de discipline n’existe pas au sein des statuts de l’Apr. Ce conseil n’a-t-il pas violé la loi ?
Dans le cadre des statuts, le président du parti peut désigner une commission pour évaluer n’importe quelle situation. Dans le cadre de l’exclusion, il est prévu la création d’une commission qu’on peut appeler conseil de discipline ou autre chose. Moustapha Diakhaté est un cas de flagrant délit. Quand quelqu’un a la prétention de créer au sein du parti un mouvement sans l’aval des instances, la résultante ne doit être qu’une exclusion.
L’opposition et les non-alignés vont au dialogue national en rangs dispersés. Ces concertations ne constituent-elles pas un piège pour ces segments de la classe politique ?
Chacun est responsable de ses actes. Au niveau de l’Apr, le Président Macky Sall a pris l’option, après sa réélection, de dialoguer avec toutes les forces vives de la Nation sur les questions à enjeu national. Certains ont pris l’option de ne pas répondre, on l’accepte. Demain, ils devront se justifier devant le Peuple. Est-ce que c’est un piège ? On n’a contraint personne à venir dialoguer. Les parties sont là pour donner leurs avis. Il n’y a pas de piège. Je pense que les Sénégalais doivent évaluer ceux qui veulent diriger le Sénégal à partir de leurs capacités à absorber les divergences, les contradictions.
Etes-vous pour la restructuration de l’Apr ?
Le débat est posé depuis longtemps. L’Apr a été créée en 2008. En 2009, on a gagné une dizaine de collectivités territoriales. En 2012, on accède au pouvoir et une réélection en 2019. Maintenant, on a ce défaut de structuration classique à partir de la base. Au niveau de la Convergence des cadres républicains avec le coordonnateur Abdoulaye Diouf Sarr, nous sommes en train de réfléchir sur des propositions de structuration. Il est important au sein de l’Apr de nommer des responsables au niveau de la base, au niveau national pour avoir une meilleure animation au-delà des structures officielles comme la Cojer, le Meer, le Mouvement des femmes, la Convergence des cadres… On s’achemine vers des Locales et je pense que la réflexion pourrait être approfondie pour que l’Apr soit mieux structurée et demeure ce parti fort, capable d’incarner l’espoir des Sénégalais pendant plusieurs décennies.
La majorité a gagné à Grand Yoff lors de la dernière présidentielle. Avec la sortie de prison de Khalifa Sall, ne craignez-vous pas de perdre cette commune, fief de l’ex-maire de Dakar ?
Vous avez bien fait de rappeler que Benno bokk yaakaar a gagné à Grand Yoff lors de la réélection du Président Macky Sall. D’élection en élection, les populations nous montrent leur attachement à notre projet. Grand Yoff ne dispose plus de maternité, c’est grave. Nos structures de santé sont dans un état extrêmement inquiétant. La gestion des marchés est une calamité. Grand Yoff mérite mieux que sa situation actuelle. Maintenant, nous ne faisons pas de fixation sur des personnes. Nous allons présenter une offre politique aux Grand Yoffois et l’avenir que nous voulons leur donner. C’est sur ça que nous sommes en train de travailler.
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
PENDA MBOW, À LA RECHERCHE D’UNE SOCIÉTÉ CIVILISÉE
EXCLUSIF SENEPLUS - Ses récentes prises de position sur la question du voile lui ont valu de vives critiques. Retour sur le parcours d’une progressiste forcenée, témoin de la grande Histoire sénégalaise récente - INVENTAIRE DES IDOLES
Historienne, militante, citoyenne, Penda Mbow est l’une des plus grandes figures de la société civile sénégalaise. Ses récentes prises de position, notamment sur la question du voile, lui ont valu de vives critiques, qui ont attaqué jusqu’à sa réputation. Retour sur le parcours d’une progressiste forcenée, témoin de la grande Histoire sénégalaise récente. Portrait.
La scène remonte aux treize ans de Penda Mbow et quand elle la raconte, la précision du détail est frappante et le tonus dans la voix encore perceptible. Flash-back dans les années 60. Elle est envoyée par sa mère pour apporter un plat de courtoisie à un dignitaire religieux à Dakar. Enthousiaste, elle arrive et souhaite serrer la main du clerc. Son bras sera le seul tendu jusqu’à ce que, quelques secondes plus tard, sans un égard pour elle, la femme de ce dernier ne la reprenne : « il ne serre pas la main aux femmes ». La déception vire vite à l’affront ; son enthousiasme douché. L’adolescente fond alors en larmes, jette le bol et rebrousse chemin, l’amertume vive. C’est sa naïveté qu’on lui arrache sans la prévenir d’un coup sec. Cette anecdote est-elle fondatrice de quelque chose ? En tout cas, c’est celle que raconte l’intéressée presqu’un demi-siècle plus tard, suggérant y avoir forgé des marques de son tempérament, sinon son destin tout entier. L’épisode a-t-il à voir quelque chose avec la soutenance de sa thèse bien des années plus tard, en 86, à Aix-en-Provence ? Dessinait-il les contours de la future figure d’icône du féminisme national ? Imprimait-il son attrait pour la spiritualité religieuse, en particulier le soufisme ; ou encore son discours progressiste sur la religion au Sénégal ? Annonçait-il les différents honneurs institutionnels reçus, au cours d’une carrière riche de celle que certains considèrent, avec son volontiers consentement, comme une réplique de Simone Veil au Sénégal ? Le risque pourrait être pris, tant s’enfoncer dans les archives personnelles de Penda Mbow, c’est plonger dans l’histoire récente du Sénégal, de ses grands hommes, de ses grands sujets, de ses dates majeures, grand maelström dont elle fut sinon témoin, grande actrice.
Impossibilité d’un débat serein sur l’islam
Première halte à Tivaouane. Ville intéressante à double titre chez Penda Mbow. L’histoire de la ville religieuse, fief de la Tijaniyya locale, a donné au Sénégal de grands hommes mais aussi une petite fille. Elle en garde l’empreinte et une part de sa spiritualité, inculquée par un père mécanicien et une mère ménagère, qui en sont originaires. Native de Dakar, la ville sainte près de Thiès reste pourtant le bastion où, régulièrement, en compagnie de son mari Saliou Mbaye, paléographe, elle va puiser une énergie pour tous les fronts où elle mène son combat. Récemment encore, elle en a eu besoin, pendant l’affaire dite du voile du lycée Jeanne D’arc. L’institution privée catholique avait interdit le port du signe religieux et créé l’émoi dans un vif débat national. Penda Mbow s’était alors fendue d’un avis, peu commun, qui lui avait valu une volée de bois vert. En prenant la défense de l’école et en pointant des dérives liées à l’abus de religiosité, la spécialiste de la civilisation musulmane s’était exposée jusqu’à susciter la défiance. Sa foi questionnée, ses intérêts jugés duplices, sa légitimité contestée, elle finit par un texte sur l’impossibilité du débat serein sur la religion au Sénégal, avec une pointe de déception. J’ai mal pour le Sénégal, titre de son adresse, commence par ce propos amer : « je suis bien malheureuse car je vois dans mon pays, une certaine forme de régression du débat intellectuel et le terrorisme verbal finit par s’incruster… » et s’achève sur une note résignée : « notre société devient tellement intolérante et anti-intellectuelle qu’on se demande s’il est nécessaire de partager et de débattre ». Le texte n’émeut pas tellement ses détracteurs. Sur cette période, elle revient généreusement, recourt au besoin à ses études en tant qu’arabisante, sur la technicité des notions de Hijab (voile) et de Himar (châle), et la compatibilité à ses yeux entre foi et raison. Pour preuve, le Himar, ce châle traditionnel, est plus « culturel que cultuel », selon elle. Elle en appelle à adopter l’islam sans « subir les influences arabes » en voyant dans le voile « le symbole d’une propagation d’un certain islam peu souhaitable ». Consternation dans une bonne frange de la population qui ne partage pas cette vision et même dans une partie du féminisme islamique qui a trouvé des accommodements avec la religion. Elle revendique pourtant, en guise de défense que sa piété va au-delà, éprouvant même de la sensibilité pour toute forme de spiritualité, juive ou catholique, se souvenant de tous les séjours dans ces endroits mystiques où elle a tiré une part de son identité. Elle a d’ailleurs reçu le prix Jean Paul II, en 2011, décerné par le Vatican. Dans son texte inquiet et savant, Penda Mbow a fait l’économie de recourir à ses études, à son background évoqué rapidement comme pour rappeler sa légitimité, mais le texte baigne dans une émotion contrariée. Pour elle qui a enseigné la tradition intellectuelle islamique longtemps, le raidissement de l’opinion sur ces sujets est préoccupant.
Pourquoi semble-t-il si difficile d’en discuter de manière apaisée ? La féministe tente une réponse. L’islam sénégalais a longtemps été un « islam civil » pour elle. Les dignitaires religieux, les grands fondateurs de confréries, avaient à cœur « l’éducation, la transmission ». Cette voie spirituelle était selon elle une singularité sénégalaise dans l’histoire de la religion dans la sous-région. Pour preuve, cet islam civil, s’opposait à un « islam politique », dans le califat de Sokoto par exemple. La fragmentation géopolitique, ainsi les changements générationnels dans les dynasties religieuses, ont « produit » cette politisation plus marquée de l’islam au Sénégal, aux dépens de la spiritualité. Un détour dans la littérature actuelle et ancienne, sur le djihadisme, les luttes de conquêtes ou de libération, dans le continent, contribue à accréditer cette scission. A la querelle habituelle, sur l’opposition entre soufisme et djihadisme, elle émet cette nuance capitale, préférant parler de « civil et de politique » et d’une convergence sous l’effet de la mondialisation de cette cristallisation néo-puritaine. Cette uniformisation et la perte des singularités l’émeuvent, d’autant plus que toute sa carrière, elle a enseigné « le fait religieux », et mené un combat pour une émancipation des dogmes.
Des mentors prestigieux et un éveil précoce à la chose politique
La polémique du voile a presque fait oublier la richesse du parcours de Penda Mbow. Un cheminement a commencé très tôt. De tous les marqueurs de sa carrière, ce qui frappe chez Penda Mbow, c’est un sens de l’histoire, au figuré comme au propre. Pensionnaire de l’école primaire des filles de la Médina, elle décroche, « en étant la seule », son entrée en 6ème, durant la fameuse grève de 68. En 72 c’est le BEPC, l’ancêtre du BFEM, et ensuite le Bac en 75, au lycée Van Vollenhoven. A l’école, la passion pour l’histoire s’affirme comme une évidence. « Une soif d’apprendre », dit-elle. Elle est « fascinée par le Coran », « l’histoire ancienne et récente et l’ébullition historique postindépendance ». La vocation est alors écrite, elle s’inscrit en histoire à l’université Cheikh Anta Diop. Pourtant, c’est surtout hors de l’école que la jeune fille dégourdie, engageante et effrontée, va aussi accrocher les premiers faits marquants à son tableau de conquête. D’abord en curieuse, convoyée par sa mère par habitude à diverses réunions politiques, dans un Dakar qui balbutie sa démocratie et goute à l’effervescence intellectuelle. Le contexte voit l’éclosion ou l’affirmation de plusieurs intellectuels de premier plan : Lamine Gueye, Babacar Sine, Cheikh Anta Diop, Senghor, Pathé Diagne, Amadou-Mahtar Mbow. Coïncidence ou miracle, avec tous ces glorieux précités, Penda Mbow a quasiment une histoire personnelle ; elle n’est pas en manque de mentors et d’anecdotes. Comme ce long après-midi, passé dans le bureau de son idole Cheikh Anta Diop, de « 16h à 20 » - elle est précise - où elle boit les paroles du maître de l’Ifan et sa bienveillance à l’endroit de la jeune admiratrice. Senghor aussi, dont elle sera la filleule symbolique, qui lui fait envoyer via le père de Rama Yade, ses ouvrages dédicacés ; Amadou-Mahtar Mbow, dont elle reçoit des sous pour des virées culturelles pendant ses séjours parisiens. Hors du Sénégal, les historiens Ki Zerbo, burkinabè, ou encore Ibrahima Baba Kaké, guinéen, jusqu’au sanctuaire de Présence Africaine. Une nostalgie enraye sa voix quand elle évoque ce passé. Mesure-t-elle la chance de cet alignement des étoiles ? C’est un « oui » catégorique, d’autant plus qu’ainsi couvée, elle a été aux premières loges pour vivre et éprouver l’Histoire, comme sa discipline et comme grand cours.
Aux origines d’un combat civique
De tout ceci, Penda Mbow fait son miel et soutient une thèse à Aix-en-Provence en 86 sur la société militaire des Mamelouks, ces esclaves affranchis reconvertis dans la défense des souverains. Elle milite précocement, dès la deuxième année d’histoire, sur les questions de l’eau, d’assainissement, de droits des femmes, et des castes. Elle consacre, dans le journal des africanistes, un texte remarqué à cette délicate question qu’elle achève avec ce vœu « disons en guise de conclusion que militer en faveur de la suppression des castes, est un principe élémentaire pour les droits de l’Homme ». Le texte, très riche, constelle les plus belles références sur la question, du pionnier Abdoulaye Bara Diop spécialiste de la société wolof, à Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Bathily, Landing Savané, en passant par Senghor, dont certains verbatims valent le détour : « je nomme les castés à des postes de responsabilité, car ils sont plus intelligents que la moyenne, et je donne mes nièces en mariage a des castés bien éduqués. » Sans rappeler le contexte, le propos du poète peut paraitre brutal mais il dit la réalité d’une époque. Tous ces combats de Penda Mbow sont consignés dans des textes, articles et interviews, de celle qui s’impose comme l’égérie principale de la société civile, dont l’avatar le plus prestigieux, sera les Assises nationales. Elle crée le mouvement citoyen. En 2011, le temps fort contre les tentations antidémocratiques de Wade revivifie le front civil. Société civile, comme une marque déposée, poursuivra la femme combattive. Elle est de tous les combats, au risque de se perdre et de laisser des ressources en route.
Ecrasée dans un débat politique qui n’a cessé de s’appauvrir, peu sollicitée par un univers médiatique occupé par sa survie, la société civile s’est déclinée, à mesure du temps, comme un vaste ensemble hétéroclite qui sert de variable d’ajustement, et sur lequel divers pouvoirs s’appuient pour gagner en sursis et en tranquillité. Si les syndicats, les restes des grands bastions politiques et intellectuels, le monde universitaire, la masse non partisane, les initiatives transversales, les nouvelles vigies démocratiques, les mobilisations citoyennes des jeunes générations comme Y’en à marre, sont venus redonner un autre contenu à la société civile, elle reste fragmentée, plus que jamais utile, et vit une recomposition. Comment dans ce grand chamboulement, garder encore des traces de cette histoire qui l’a forgée, sans la trahir ? Tenir encore les rênes ? Rester fidèle à des idées qui ne sont plus forcément populaires, percutées par les clivages générationnels, les nouvelles donnes technologiques ? Est-elle larguée ? Penda Mbow déporte le combat sans tout à fait renoncer, avec un poil de regrets et de déceptions mêlés. Elle aimerait « se rendre utile », « offrir son expérience » mais pour l’heure, rien de consistant. Elle a encore un cours à l’université qu’elle dispense et un titre honorifique de représentant du chef de l’Etat auprès de la francophonie qui barre sa carte aux couleurs de la république. Des titres pour voiler son aplomb et l’anesthésier ? L’ensevelir sous les honneurs pour la dépolitiser ? Ça en a tout l’air. Cette retraite précoce ne convient pas à cette femme qui reste énergique, la voix maternelle et la confession généreuse. Elle a gardé sur le visage, des airs mutins malgré la grande chaleur pouponne.
Des honneurs et des horizons de luttes intacts
Les titres justement, elle croule dessous. Elle a reçu plusieurs bourses dans les années 80 de différentes fondations. Elle a dirigé en 1998 le Gender Institute du prestigieux CODESRIA. D’autres honneurs ? Elle est commandeur de l’Ordre national du mérite, chevalier de la Légion d’Honneur française. Aux quatre coins du monde, on la célèbre, Docteur Honoris Causa de l’université d’Uppsala (Suède) de Cluj (Roumanie). Ses discours de réception sont autant d’occasions pour prêcher cette parole d’historienne, avec une pénétration scientifique et une coloration politique progressiste. De sa fascination pour le soufisme, à ses études et lectures, notamment son grand respect pour Souleymane Bachir Diagne autre fin connaisseur de la tradition de la pensée dans l’islam, Penda Mbow n’a pas renoncé aux lumières intellectuelles. Si elle semble en retrait, elle empile les convictions sous de savantes réflexions. Le paradigme décolonial actuel la séduit-elle ? Elle y trouve « un grand intérêt » mais pousse le bouchon plus loin en revendiquant sa très grande affinité avec Boubacar Boris Diop. Elle désire une authenticité plus marquée, libérée de toutes les hégémonies. Le « discours de Dakar » a été pour elle, « révélateur » de quelque chose. Alors qu’on la conviait à répondre à Sarkozy, elle refusa, préférant se préoccuper du sort « des locaux et de leur survie ». D’ailleurs, elle en veut « aux africanistes depuis Paris, qui disent la météo politique de l’Afrique » …Elle croit même se voir dans le texte très controversé d’Axelle Kabou (Et si l’Afrique refusait le développement, 1991) qui la cite de façon détournée à l’en croire, et dont elle reprend certains arguments. Mais son constat le plus terrible, c’est que « l’école n’est plus le référentiel de promotion » au niveau national. Cette « désacralisation de l’école » est le problème central, croit-elle. Elle ose même une analyse sur l’existence d’un « centre » et d’une « périphérie », entre, respectivement, un centre géographique, du bassin arachidier à la capitale, qui a dévalué l’école et une périphérie provinciale qui la sanctifie encore comme mode d’ascension sociale. La réflexion peut prêter le flanc, face à des détracteurs de ce régionalisme inversé. Mais elle persiste et voit en Ousmane Sonko un ou le symbole de cette géographie de l’attachement à l’école plus marqué hors du centre du pays.
Du parcours, émerge clairement une fibre politique, intellectuelle et spirituelle. Une stature grignotée par des coups inhérents à la vie politique. Si Penda Mbow a milité quelques années au RND (le rassemblement national démocratique) fondé par Cheikh Anta Diop, et plus tard côtoyé de façon éphémère Abdoulaye Wade président, comme ministre de la culture au début des années 2000, c’est surtout une femme intellectuelle dont les combats historiques, jadis évidents comme voix unique de l’émancipation, entrent en zone de turbulence dans une période de destitution des idoles et de leurs héritages. Edifier une société civile, mieux, une société civilisée, où l’affrontement des idées serait encore possible sans l’hostilité, le débat sans anathèmes, la radicalité sans la violence, est la nouvelle quête de Penda Mbow. Une nostalgie et un rêve. Un art de la conversation. La croyance en la possibilité d’un dialogue toujours vainqueur comme marque de l’intelligence de toute une société. Ce n’est qu’un pari. Civilisation ou barbarie ? La société est appelée à faire son choix, pressée par une de ses filles.