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26 avril 2025
International
OBJECTION AVEC MIMI TOURÉ
De l'assainissement des finances publiques aux perspectives offertes par le pétrole, la haute représentante du chef de l'État trace les contours d'un « Sénégal apaisé » un après l'élection de Diomaye Faye
Aminata Touré, haute représentante du président Bassirou Diomaye Faye, a livré une analyse approfondie de la situation politique et économique du Sénégal lors de son passage dans l'émission "Objection" de Sud FM ce dimanche.
À l'occasion des 65 ans d'indépendance du pays, l'ancienne ministre a mis en avant les progrès "impressionnants" réalisés depuis 1960, citant notamment l'augmentation de l'espérance de vie de 41 à 65 ans et l'atteinte de la scolarisation universelle, avec une progression particulièrement notable des filles dans l'éducation.
Concernant la gouvernance actuelle, Mme Touré a défendu avec force l'approche du président Faye axée sur "l'assainissement des finances publiques" et "la discipline budgétaire". Elle a évoqué la découverte d'une dette "cachée" de 4000 milliards FCFA "qui n'était pas répertoriée dans les comptes publics", affirmant qu'il est essentiel de "savoir où cet argent est allé".
"Ce que j'ai compris, c'est que le président appelle nos concitoyens à comprendre sa démarche", a-t-elle expliqué, soulignant que la transparence financière est désormais "non négociable" pour l'exécutif.
Sur le plan judiciaire, l'ancienne Première ministre a défendu les réformes annoncées issues des assises de la justice, estimant que "la justice joue un rôle central dans notre démocratie". Elle s'est montrée favorable à l'activation de la Haute Cour de Justice pour juger d'anciens responsables si nécessaire, affirmant que "ce n'est pas parce qu'on est président qu'on n'est pas justiciable".
Mme Touré a également soutenu la stratégie économique du gouvernement, centrée sur "la résilience" et "le développement endogène". Elle a détaillé plusieurs initiatives, notamment "la coopératisation du milieu rural" visant les jeunes sur 15.000 hectares, insistant sur la nécessité de "créer de la richesse locale" et de "compter davantage sur nous-mêmes".
"Notre avenir est ici", a-t-elle lancé à l'adresse de la jeunesse sénégalaise, tout en évoquant les perspectives offertes par l'exploitation prochaine du pétrole et du gaz qui "va permettre d'élargir le champ des possibilités".
Questionnée sur le débaptisage récent de l'avenue Charles de Gaulle au profit de Mamadou Dia, elle s'est réjouie de cette décision, la jugeant "tout à fait normale" pour honorer "un grand patriote", et l'inscrivant dans "la trajectoire de la souveraineté" défendue par l'actuel régime.
"L'espoir est permis après une année de gestion des nouvelles autorités", a conclu Aminata Touré, reconnaissant que "le contexte n'est pas facile" mais estimant que le Sénégal est "sur la bonne voie".
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LA SOUVERAINETÉ VOLÉE DES NATIONS D’AFRIQUE FRANCOPHONES
Derrière les cérémonies d'indépendance se cache un arrangement anticonstitutionnel. L'économiste Ndongo Samba Sylla démontre comment le contrôle de la monnaie par la France a transformé une indépendance de façade en une dépendance structurelle qui perdure
Selon l'économiste Ndongo Samba Sylla, la décolonisation des pays d'Afrique francophone cache une réalité méconnue : elle s'est déroulée de manière anticonstitutionnelle. Dans une analyse détaillée présentée lors d'une conférence sur l'indépendance économique, il révèle que la France, prise de court par le mouvement d'indépendance après le départ de la Guinée en 1958, a contourné l'exigence constitutionnelle d'un référendum pour libérer les territoires du régime de la communauté franco-africaine.
"C'est une histoire qu'on ne raconte jamais", souligne l'économiste. "Nos États sont même nés anticonstitutionnels, ce qui explique certaines tares qu'on retrouve dans les pays d'Afrique francophone."
L'élément central de cette indépendance de façade reste le franc CFA. Initialement "Franc des Colonies Françaises d'Afrique", rebaptisé plus tard "Franc de la Communauté Financière Africaine" en Afrique de l'Ouest, cette monnaie représente selon Sylla "l'exemple le plus vivide du fait que nous ne sommes pas indépendants".
Contrairement aux autres zones monétaires coloniales (sterling, portugaise, belge) qui ont été démantelées après les indépendances, permettant aux nouveaux États de battre leur propre monnaie, la zone franc a perduré jusqu'à aujourd'hui. Les accords de coopération signés par Michel Debré avec les homologues africains stipulaient clairement : "Vous aurez l'indépendance politique, mais sans souveraineté."
Des documents historiques cités par l'économiste montrent que ce système était conçu sciemment pour préserver les intérêts français. Pierre Moussa, administrateur au ministère des Finances français, écrivait déjà dans les années 1950 que la France avait besoin de ses colonies pour "acheter des matières premières sans dépenser de dollars" et utiliser leurs surplus commerciaux pour son propre développement.
Le philosophe Raymond Aron confirmait en 1959 que "ce qui compte, c'est le maintien de la zone franc" et que les relations économiques entre la métropole et ses colonies étaient comparables à celles "entre Paris et Marseille".
Plus troublant encore, un rapport américain de 1963 commandé par John F. Kennedy qualifiait ce système de "néocolonial" et "totalement anachronique", prédisant sa disparition prochaine. Même d'anciens économistes en chef de la Banque mondiale ont reconnu en privé que "le CFA pénalise le développement économique de ces pays".
L'économiste explique le cercle vicieux entretenu par ce système : le franc CFA, surrévalué, favorise les importations plutôt que les exportations. Pour créer du CFA, ces pays doivent d'abord accumuler des devises étrangères, mais étant structurellement déficitaires en raison même de ce système monétaire, ils doivent les emprunter.
"Un pays qui ne peut pas ordonner à sa propre banque centrale de créditer le compte d'État a le statut d'une colonie ou d'une collectivité locale", rappelle Sylla, citant l'économiste britannique Win Godley.
Pour Ndongo Samba Sylla, la solution est claire : "Il est impossible de développer un pays dans le cadre du système CFA." Il préconise l'établissement de monnaies nationales souveraines, rappelant qu'"aucun État ne peut jamais manquer de sa propre monnaie" et que "tout ce qu'un pays peut faire lui-même, il peut le financer lui-même".
Cette souveraineté monétaire devrait s'accompagner d'un contrôle effectif des ressources naturelles pour financer les importations nécessaires et d'une diplomatie économique permettant des échanges dans les monnaies nationales.
"La monnaie c'est important, mais ce n'est pas suffisant", conclut-il. "Ce qui compte, c'est la planification économique, le projet social derrière. Le franc CFA a été élaboré pour l'économie coloniale. Si vous voulez une économie diversifiée, si vous voulez mobiliser votre créativité, il faut vous débarrasser du franc CFA."
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AMADOU BA LÈVE LE VOILE SUR SA RELATION AVEC ABDOULAYE WADE
L'ancein Premier ministre dresse le portrait d'un dirigeant visionnaire, républicain et souverainiste, dont l'influence sur les politiques économiques et la gouvernance du Sénégal se fait encore sentir aujourd'hui
Amadou Ba a livré un témoignage éclairant sur sa collaboration avec l'ex-président Abdoulaye Wade lors de la présentation du livre "Wade, mille et une vies" de Madiambal Diagne, ce samedi 5 avril.
Dans son intervention, l'ancien Premier ministre a souligné comment Wade l'avait nommé Directeur général des impôts et domaines sans même le rencontrer, illustrant la confiance accordée à ses ministres et son approche méritocratique.
"J'ai serré la main du président Wade deux ans après ma nomination comme directeur général des impôts et des domaines," a révélé Ba, précisant que cette nomination s'était faite "sans me connaître, sans chercher à me voir."
L'ancien candidat défait à la présidentielle a également évoqué son rôle crucial dans l'élaboration du Code général des impôts actuel du Sénégal, suite à une présentation remarquée au Groupe consultatif en 2007 qui avait impressionné "Gorgui".
Sur le plan de l'éthique politique, Ba a partagé un moment significatif pendant les élections : "Entre les deux tours, Wade m'a dit 'Jeune homme, tu es un fonctionnaire, je veux que vous restiez républicain jusqu'au bout'," concernant la délivrance de quitus fiscaux aux candidats.
Amadou Ba a aussi joué un rôle déterminant dans les négociations pour le départ des forces françaises en 2009-2010, sous l'autorité d'un Wade décrit comme "souverainiste" mais pragmatique.
L'influence de Wade sur les politiques économiques ultérieures, notamment le Plan Sénégal Émergent avec son accent sur les infrastructures, a également été soulignée par l'ancien Premier ministre, qui a confié avoir été "inspiré" par la vision économique du président Wade.
"Maître Wade aura beaucoup inspiré l'ancien président mais aussi tous ceux qui avaient le privilège de le côtoyer," a conclu Amadou Ba, rendant hommage à l'homme d'État et à l'auteur Madiambal Diagne pour son travail biographique.
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LE VIBRANT HOMMAGE DE YOUSSOU N'DOUR À AMADOU BAGAYOKO
Le parcours extraordinaire d'Amadou et Mariam, des débuts modestes jusqu'à la reconnaissance internationale, reste gravé dans la mémoire de You qui les avait découverts avant leur célébrité
La disparition d'Amadou Bagayoko, membre du célèbre duo musical "Amadou et Mariam", a suscité de nombreux hommages à travers le monde. Parmi eux, celui de Youssou N'Dour, qui s'est exprimé avec émotion sur cette perte immense.
"Je pense que le monde entier pense à Mariam", a déclaré N'Dour, évoquant l'épouse d'Amadou avec qui il formait ce duo iconique. "C'était la moitié d'Amadou", a-t-il ajouté, soulignant la profonde complicité du couple.
Le chanteur sénégalais, qui avait rencontré le duo "avant même leur grand succès" lors d'un festival qu'il avait organisé à Dakar, garde le souvenir d'artistes "d'une gentillesse extraordinaire" et d'un "côté naturel extraordinaire".
Pour Youssou N'Dour, Amadou et Mariam représentent "les ambassadeurs de la musique africaine" dans le monde entier. Il qualifie la disparition d'Amadou de "lourde perte pour l'Afrique, pour le monde entier, pour la musique".
De sa relation avec le couple, l'artiste sénégalais retient surtout "l'amitié" et "l'amour", ainsi que "ce fin sourire" d'Amadou. Il salue également leur parcours bâti "avec dignité" qui a inspiré de nombreux artistes africains.
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LES ADIEUX D'AMADOU À MARIAM
Le célèbre duo "Amadou et Mariam" perd sa moitié masculine. Dans un témoignage bouleversant, l'épouse raconte ses ultimes instants avec celui qui fut son guide, son amour et son partenaire musical depuis près d'un demi-siècle
Amadou Bagayoko, guitariste et chanteur malien du célèbre duo "Amadou et Mariam", est décédé vendredi dernier à l'âge de 70 ans des suites d'une maladie. Dans un témoignage émouvant, son épouse Mariam Doumbia a raconté les derniers instants passés aux côtés de celui qui partageait sa vie depuis leur rencontre en 1976 à l'Institut des jeunes aveugles de Bamako.
"J'ai pris sa main, j'ai dit à Amadou 'il faut me parler'", confie Mariam en larmes. "Il m'a répondu 'madame, tout ce que tu dis, j'entends'." Ce furent ses dernières paroles avant que son état ne se détériore rapidement.
Malgré une hospitalisation d'urgence à la clinique Pasteur, les médecins n'ont pu que constater le décès. "Le docteur a dit qu'il est parti", raconte Mariam, bouleversée. "Je suis restée seule, je vais rester seule dans ma vie."
Le couple, surnommé "le couple aveugle du Mali", avait conquis la scène internationale avec des tubes comme "Dimanche à Bamako" ou "Je pense à toi", mélangeant musiques traditionnelles maliennes et sonorités modernes. Leur carrière commune s'étendait sur plus de quarante ans.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
ABDOULAYE ELIMANE KANE OU LA MÉMOIRE DENSE DE BEAUTÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - La philosophie « sauvage », riche de 400 pages, est un formidable témoignage de l’histoire du Sénégal du XXème siècle, de la culture peule et de la pensée philosophique africaine dans une démarche globale et plurielle
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Plonger dans les mémoires d’Abdoulaye Elimane Kane est un vrai délice, une véritable immersion littéraire au sens plein du terme. Récit autobiographique, le livre est aussi un formidable témoignage de l’histoire du Sénégal du XXème siècle, de la culture peule et de la pensée philosophique africaine dans une démarche globale et plurielle. Un vrai délice donc ! Car au-delà des qualités esthétiques et littéraires, la voix d’Abdoulaye Elimane Kane est truculente, profonde, universelle, drôle et jamais prétentieuse. Abdoulaye Elimane Kane nous entraîne sur le chemin de sa vie fascinante, de l’enfance à Dakar et sur les rives du fleuve Sénégal, puis de l’âge adulte, celui de l’université Cheikh Anta Diop jusqu’en France, une véritable épopée « nomade » qui nous offre des images vives de notre histoire, de notre culture.
Abdoulaye Elimane Kane possède de grandes qualités de conteur, l’histoire particulière qui est la sienne est aussi la nôtre tant il sait enrichir sa langue dans des détails qui nous emportent sur des terres lointaines mais pourtant si familières, celles de l’enfance, de la vallée du fleuve Sénégal, du Fouta Tooro, des quartiers de Dakar ou encore l’exploration des berges parisiennes, autant de lieux épiés et croqués avec une précision confondante. Tous les endroits qu’Abdoulaye Elimane Kane traverse, il les habite pleinement et les trace avec sa plume de belle manière, à la fois sensible, captivante et pittoresque.
Homme de lettres, de culture et de philosophie, Abdoulaye Elimane Kane sait rendre passionnantes toutes choses dans ce récit, alternant entre ses souvenirs personnels et une histoire plus vaste de plusieurs territoires, de cultures multiples qui appellent à une réflexion absolue qui est de déchiffrer la nature de l’être, cet humain incarné par son environnement, son éducation, ses initiations intimes, ses voyages, ses choix, ses doutes et ses joies. Tout est profondément humanité au cœur de ce voyage littéraire et sincère. Avec une étonnante facilité, Abdoulaye Elimane Kane aborde de nombreux sujets qui imprègnent la culture sénégalaise : la dynastie des familles, les rapports sociaux, la religion, les castes, la spiritualité, les croyances, les traditions ancestrales, l’héritage colonial, les valeurs de justice, la vie politique, puis plus largement le savoir, l’éducation, la transmission, la mémoire, autant de problématiques qui nous questionnent inlassablement.
Ainsi nous pouvons parcourir ce livre comme un guide pédagogique qui dit notre histoire, notre géographie, notre société avec une parfaite acuité, une intelligence fine et une élégance dans le style qui nous révèle la générosité du regard d’Abdoulaye Elimane Kane.
Construit en deux parties, le récit est un formidable document qui nous permet de revivre les faits de l’histoire coloniale, de la période des indépendances et celle de notre société contemporaine. Si la première partie intitulée Le plaisir d’apprendre et d’enseigner, est tout un programme, où l’on suit les étapes de l’enfance, des études, de la vie universitaire et enseignante d’Abdoulaye Elimane Kane, la seconde, intitulée Les chemins de la vie, s’attarde plus volontiers sur la réflexion philosophique et politique, longuement murie par l’âge et l’expérience. Encore une fois, la grande Histoire rencontre l’intérieur de l’homme et c’est une alchimie littéraire qui nous séduit totalement.
Le début de la seconde partie, consacrée au nomadisme « naturel » d’Abdoulaye Elimane Kane et à la description des modes de déplacement au Sénégal, en Afrique, en Europe et en Asie sont comme autant de chroniques savoureuses du temps, des territoires explorés, de la société avec ses contradictions et ses tourments. En filigrane, il y est aussi question de son passé d’homme politique, de quelques aventures diplomatiques et d’échanges avec le vaste monde.
De ces nombreux déplacements qui forment comme des chemins de lumière sur la carte du globe, il reste un voyage qu’Abdoulaye Elimane Kane évoque avec délicatesse, c’est celui de la création littéraire. Il dit que le plus beau voyage reste celui de la pensée, de la fiction reconstruite à partir d’un réel fantasmé, de l’invention fondatrice des mondes, de ces terres inconnues qui se forment au gré de l’inspiration. Au fond, c’est aussi un récit qui possède des qualités poétiques car cette descente au cœur de notre culture, d’un temps qui a disparu, laisse des images symboliques dans notre regard de flâneur littéraire.
Pour le long chapitre consacré à la politique, là aussi nous nous retrouvons dans un moment d’histoire particulièrement vif, ponctué de faits détaillés qui permettent de mieux comprendre la vie politique sénégalaise et plus particulièrement la période du mandat d’Abdou Diouf. De ses responsabilités ministérielles, Abdoulaye Elimane Kane dresse un portrait toujours honnête et enthousiaste révélant un homme portant infatigablement des valeurs de justice et le sens de la république.
La philosophie « sauvage » riche de 400 pages se termine par l’évocation de l’asthme chronique dont souffre Abdoulaye Elimane Kane et de ses nombreuses contraintes. Cela lui permet d’évoquer les frontières de l’inconscient humain entre le plaisir et l’ennui, le désespoir et l’euphorie, les racines et l’identité, la vie et la mort, l’histoire singulière et universelle des hommes.
L’univers littéraire d’Abdoulaye Elimane Kane est si riche, si puissant que rien ne vous empêche de (re)lire ses ouvrages de fiction qui tracent aussi de très beaux et émouvants voyages.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Philosophie « sauvage ». La vie a de longues jambes, éditions Sénégal L’Harmattan, collection Mémoires et Biographies, N°14, Dakar, 2014
Sur le terrain diplomatique comme sur les pelouses, le patron de la FSF vient de subir sa plus cuisante défaite. L'homme qui a mené le Sénégal vers son premier titre continental se retrouve aujourd'hui isolé sous le nouveau régime
(SenePlus) - À la tête de la Fédération sénégalaise de football (FSF) depuis 2009, Augustin Senghor traverse actuellement une période difficile. Sa récente défaite électorale au sein des instances internationales met en lumière des relations complexes avec les nouvelles autorités sénégalaises, comme le rapporte Jeune Afrique dans une analyse approfondie de la situation.
Le 12 mars dernier, Augustin Senghor a subi un revers cinglant lors de l'élection des représentants africains au conseil de la FIFA. Avec seulement treize voix récoltées, il a été éliminé dès le premier tour du scrutin, comme le souligne Jeune Afrique. Les conséquences ne se sont pas fait attendre : "Le lendemain, il décidait de démissionner de son poste de 1ᵉʳ vice-président de la Confédération africaine de football (CAF), qu'il occupait depuis mars 2021", précise le magazine panafricain.
Pour justifier cette décision tout en conservant son siège au Comité exécutif de l'instance, Senghor avait déclaré sans ambages : "Je ne peux pas continuer à diriger des gens qui m'ont battu dans les urnes". Une phrase qui reflète l'amertume du dirigeant face à ce qu'il considère comme un manque de loyauté au sein même de l'organisation continentale.
Si certains observateurs pointent un manque d'entretien de ses réseaux africains, l'absence de soutien franc des autorités sénégalaises n'est pas passée inaperçue. Comme le note JA, "il n'a pas reçu un soutien franc et massif des autorités, contrairement à d'autres candidats africains pour un poste à la FIFA très convoité".
L'enjeu dépassait pourtant largement la simple ambition personnelle du dirigeant. Avec une rémunération annuelle de 240 000 euros par an pour un mandat de quatre ans, ce poste représente également "une manière de renforcer l'influence d'un pays, notamment sur son continent d'origine", rappelle le magazine.
Ferdinand Coly, ancien international sénégalais, confirme cette lecture dans les colonnes du journal : "Ce n'est pas l'entente parfaite. Je n'inventerais rien en disant que les rapports entre Senghor et l'ancien régime, incarné par Macky Sall, étaient plus fluides. Et je ne vous apprendrais rien non plus en vous disant qu'au Sénégal, mais pas seulement, le politique a tendance à regarder de près les affaires du football."
Le "camouflet Cissé", comme le qualifie Jeune Afrique, illustre parfaitement cette détérioration des relations. Le 2 octobre 2023, le départ d'Aliou Cissé, sélectionneur des Lions de la Teranga depuis février 2015, avait été "perçu comme relevant d'une décision politique".
Alors que la Fédération souhaitait prolonger le contrat du technicien champion d'Afrique en 2022, Khady Dième Gaye, ministre des Sports, avait annulé cette prolongation, "officiellement en raison des résultats en baisse et des critiques d'une partie des supporters".
Un dirigeant de club cité par Jeune Afrique affirme : "Tout le monde avait bien compris que cela venait d'en haut, c'est-à-dire du chef de l'État [Bassirou Diomaye Faye] ou de son entourage. La ministre n'aurait jamais pris cette décision toute seule."
Cette source anonyme pointe également les affinités politiques passées du président de la FSF : "Il est de notoriété publique que Senghor était proche de Macky Sall, sans pour autant être membre du parti présidentiel [...] Alors, évidemment, quand un nouveau pouvoir arrive, les choses peuvent changer."
Les relations se sont encore tendues en août 2024, lorsque la ministre des Sports a demandé des comptes à Augustin Senghor concernant les bilans financiers de l'équipe nationale pour 2022 et 2024. Face à cette requête, le président de la FSF avait répondu par écrit en rappelant à Khady Dième Gaye "que les budgets de ces compétitions sont arrêtés par les services du ministère des Sports, soumis au ministère des Finances, et exécutés exclusivement et en totalité par le ministère de tutelle".
Malgré ces tensions, le bilan sportif d'Augustin Senghor à la tête de la FSF reste remarquable, avec cinq titres continentaux : la CAN en 2022, le Championnat d'Afrique des nations (CHAN), la CAN des moins de 20 ans et des moins de 17 ans en 2023, et cinq des six dernières CAN de beach-soccer.
À cela s'ajoutent les qualifications pour les Coupes du monde 2018 en Russie et 2022 au Qatar, marquant le retour du Sénégal sur la scène mondiale après une longue absence.
Ferdinand Coly confirme ce constat : "C'est un excellent bilan sportif. Il y a aussi eu des améliorations au niveau des infrastructures, du championnat national. Mais les gens sont partagés : certains souhaitent qu'il continue, d'autres veulent du changement."
Alors que l'élection à la présidence de la FSF est prévue pour août prochain, l'avenir d'Augustin Senghor reste incertain. D'après Jeune Afrique, "des rumeurs laissaient entendre qu'Augustin Senghor n'avait pas l'intention de briguer un cinquième mandat". Toutefois, le magazine précise que "l'intéressé ne s'est jamais exprimé officiellement sur la question".
Dans ce contexte politique tendu, et malgré un bilan sportif éloquent, la question se pose : Augustin Senghor parviendra-t-il à maintenir son influence sur le football sénégalais face à un nouveau pouvoir qui semble déterminé à marquer sa différence avec le précédent régime ?
par Salla Gueye
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LE CIRQUE DES NOUVEAUX ILLUMINÉS
Cette mise en scène où des hommes, alignés derrière un imam, prient en wolof, avec les sourates du Coran traduites approximativement, voire de façon risible, et des gestures frôlant l'irrespect, interroge sur l'évolution religieuse dans ce pays
Les images choquantes et dégradantes qui déferlent sur les réseaux sociaux n’ont échappé à personne : une scène grotesque où des hommes, alignés derrière un imam, prient en langue wolof.
Cette mise en scène où les sourates du Saint Coran sont traduites de manière approximative, voire risible, et accompagnées de gestuelles qui frôlent l’irrespect, interroge profondément sur l’évolution de la religion dans notre pays. Cette farce religieuse, loin d’être une exception, s’inscrit dans une série d’événements qui témoignent d’une tendance inquiétante au Sénégal : l’exploitation du divin par des individus sans scrupules, prêts à tout pour asseoir leur pouvoir et se faire une place sous le soleil des croyants. Ce n’est donc pas la première fois que de telles scènes surgissent, mais cette fois-ci, l’humiliation semble aller plus loin. Il y a quelques années, une autre scène tout aussi dérangeante a fait la une : des individus vêtus de blanc, membres d’une secte menée par un certain Habib Diawané, avaient été arrêtés en plein « tawaf » autour de la Grande mosquée de Touba. Les exemples de tels « illuminés » sont nombreux au Sénégal : Zeyda Zamane, Omar Diop, Al Hassan Mbacké Rouhou Lahi Daba de Kolda… des faux prophètes qui ont tous tenté de se frayer un chemin dans la sphère publique avec des discours creux et des promesses aussi fallacieuses qu’absurdes.
Tous ces prétendus envoyés de Dieu ont voulu briser les fondements mêmes de notre foi, en s’attaquant à la pureté des enseignements du Saint Coran. Ces nouveaux prédicateurs ne respectent rien de sacré. Ils se réapproprient la foi à leur manière, pour mieux manipuler une population souvent en quête de réponses face aux difficultés de la vie quotidienne avant d’être démasqués au grand jour. Le cas Koukandé, cet illusionniste devenu célèbre sur la toile grâce à ses prétendus pouvoirs mystiques, en est un exemple parfait. Cet homme, qui avait juré de fendre l’Atlantique un premier jour de l’an, a vu ses ambitions démasquées et ses escroqueries mises à jour. Mais même après sa condamnation, son nom continue d’être associé à un culte de la personnalité sur les réseaux sociaux. Ce n’est plus simplement une question de charlatanisme : il s’agit d’une manipulation médiatique, un cirque où la foi devient une marchandise à vendre. Aujourd’hui, un nouveau cap semble être franchi.
Avec la complicité de certains médias, Koukandé, toujours aussi insubmersible, semble s’aventurer dans un domaine encore plus dangereux : celui des chants religieux.
Dans une tentative pour s’attirer la sympathie des croyants, il s’attaque désormais à des hymnes sacrés, comme le « Xilaassu Zahab » de Seydi El Hadji Malick Sy, pour les altérer et les dénaturer. Cette manœuvre n’a rien de spirituel : c’est une tentative délibérée de manipuler les émotions des croyants, de « fendre » leur cœur pour mieux se faire une place dans leur esprit. Ce phénomène n’est pas seulement une menace pour la pureté de notre foi, mais il soulève également de nombreuses questions sur la responsabilité des autorités religieuses, des médias et de la société en général.
Pourquoi permet-on à ces individus de se dévoiler sous des airs de dévotion, alors que leurs actes et leurs discours ne sont que le reflet d’une manipulation éhontée de la croyance ? Qu’attendons-nous pour mettre fin à cette dérive qui transforme la foi en un business juteux pour des opportunistes sans scrupules ? Il est grand temps de se poser les bonnes questions, de revenir aux fondements de notre foi et de rappeler, avec force et conviction, que la religion n’est ni un spectacle, ni une marchandise à vendre. Il est urgent de protéger notre héritage spirituel et de mettre un terme à l’exploitation de la naïveté des croyants. Le Sénégal mérite mieux que ces charlatans, ces faux prophètes et ces faiseurs de miracles. Il est temps de rappeler que la foi, ce n’est pas un jeu.
QUAND TRUMP POUSSE L'AFRIQUE DANS LES BRAS DE PÉKIN
Victimes des nouveaux droits de douane américains allant jusqu'à 50%, plusieurs pays africains pourraient se détourner des États-Unis pour renforcer leurs liens avec la Chine, avertit l'économiste Carlos Lopes
(SenePlus) - La nouvelle offensive protectionniste américaine lancée par Donald Trump risque de redessiner la carte des alliances commerciales africaines, selon Le Monde. "On punit les partenaires engagés dans des relations commerciales plutôt ouvertes et favorables avec les États-Unis, ce qui ne fera qu'accélérer leur réorientation vers d'autres puissances commerciales, notamment la Chine", prédit Carlos Lopes, économiste bissau-guinéen et professeur à l'université du Cap.
Dans cette guerre commerciale mondiale, certains pays africains subissent des taxes particulièrement sévères : le Lesotho se voit imposer des droits de douane de 50%, Madagascar 47%, Maurice 40%, le Botswana 37%, l'Angola 32%, la Libye 31%, ainsi que l'Algérie et l'Afrique du Sud à 30%. Une politique qui, selon Carlos Lopes cité par Le Monde, "s'attaque aux pays qui ont un excédent commercial avec les États-Unis, sans tenir compte de leur niveau de développement ni de la structure de leurs économies".
Pour le Lesotho, petit royaume montagneux avec un PIB par habitant inférieur à 920 dollars en 2023, le coup est particulièrement rude. Donald Trump avait d'ailleurs qualifié ce pays de nation "dont personne n'a jamais entendu parler" lors d'une intervention au Congrès en mars.
L'avenir de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui permet depuis 2000 à une trentaine de pays africains d'exporter vers les États-Unis en franchise de taxes, semble compromis. Ce dispositif doit expirer en septembre et "rares sont ceux à parier sur sa prolongation", indique Le Monde.
Face à cette situation, l'Afrique du Sud, principal exportateur africain vers les États-Unis, s'inquiète pour ses emplois, notamment dans le secteur automobile. Son président Cyril Ramaphosa a "aussitôt plaidé pour la négociation d'un nouvel accord commercial bilatéral mutuellement bénéfique", dans un contexte déjà tendu par des accusations américaines concernant une politique foncière prétendument anti-blanche.
L'impact économique direct devrait toutefois rester "limité" pour le continent selon David Omojomolo, analyste chez Capital Economics, cité par Le Monde. Les importations américaines en provenance d'Afrique, 39 milliards de dollars en 2024, équivalent à peine "à ce que les États-Unis importent du Canada en un seul mois". De plus, le pétrole, le gaz et certains minerais stratégiques sont exemptés de ces taxes.
Les effets indirects pourraient néanmoins être significatifs. Thomas Melonio, chef économiste de l'Agence française de développement, évoque dans Le Monde le risque d'une baisse des prix des matières premières et d'une "remontée des taux, ce qui aurait des conséquences sur la capacité des États africains à lever des capitaux".
Dans cette reconfiguration des relations commerciales, la Chine, qui dispose déjà "d'un net coup d'avance" sur le continent, apparaît comme le principal bénéficiaire potentiel de l'affaiblissement de l'influence américaine.
L'ODYSSÉE WADE
Vingt-cinq ans après son arrivée au pouvoir, Abdoulaye Wade reste une énigme politique. Madiambal Diagne lève enfin le voile sur les mille et une vies du Sphinx, dans un récit où les révélations explosives côtoient les anecdotes savoureuses
L’entrée de Madiambal Diagne dans le monde des Lettres sénégalaises a semblé accidentelle au départ. Voilà une personne qui s’est fait un nom en commettant des «scoops» dans des feuilles de chou à la durée de vie éphémère, et qui voulait acquérir l’immortalité en faisant des coudes dans le cénacle des Senghor, Césaire, Fatou Diome et autres Mbougar Sarr, mais dans un genre bien particulier. Son premier ouvrage tenait plus du témoignage de première main, sur un sujet qui a longtemps tenu en haleine tout le pays, et qui a même divisé des familles. Madiambal Diagne a montré qu’il a eu accès à des sources de première main, pour donner des informations qu’à ce jour, aucun des protagonistes n’a jamais tenté de remettre en cause. Profitant sans doute de la conjoncture politique, il a produit quasiment coup sur coup, deux ouvrages biographiques sur des personnalités qu’il a longtemps fréquentées, les anciens président de la République Macky Sall et Premier ministre Amadou Ba, et retracé leurs parcours respectifs. Il n’avait sans doute pas prévu que leur sort serait celui qu’il a été il y a un an, à l’issue de la Présidentielle.Après ces essais, M. Diagne s’est lancé dans le roman, avec un notable succès. Coïncidence ? L’arrivée de Trump au pouvoir a semblé donner raison à l’auteur, le nouveau dirigeant américain semblant peu enclin à recevoir des Africains à la Maison Blanche. Faudrait-il croire que le fameux «Dîner à la Maison Blanche attendra» la fin de son mandat ? Quoi qu’il en soit, Madiambal revient à un autre essai biographique, en s’attaquant à un monument vivant, Abdoulaye Wade. Aura-t-il eu le temps de faire le tour de ses «Mille et Une vies» ? Le lecteur le découvrira dans le livre dont il a ici les «Bonnes Feuilles». Pourquoi un livre sur Abdoulaye Wade ?
Depuis son départ du pouvoir, il est rare de voir un livre, un essai ou une quelconque forme de publication, axé sur la façon dont le Président Abdoulaye Wade a gouverné le Sénégal, de 2000 à 2012, ou encore l’odyssée du Parti démocratique sénégalais (Pds).
Mamadou Lamine Loum, le dernier Premier ministre de Abdou Diouf, a produit un livre-bilan sur la situation du Sénégal au 2 avril 2000. Macky Sall, quelques mois après la fin de ses deux mandats, a lui aussi engagé ses équipes à éditer un livre-bilan de sa gestion (2012-2024). Ces productions valent assurément ce qu’elles valent, mais elles ont le mérite d’exister, pour donner la perception que les principaux tenants des régimes, qui ont précédé ou succédé à celui de Abdoulaye Wade, ont pu avoir de leur action à la tête du pays.
A ma connaissance, personne n’a encore produit un livre pour tirer le bilan ou analyser le règne du Président Abdoulaye Wade. Quelques livres controversés sont parus durant son magistère : certains le pourfendant durement, d’autres étant de purs panégyriques.
Je dois dire que j’ai entrepris, il y a quelques années, d’écrire un livre sur la gouvernance de Abdoulaye Wade. Je me suis résolu à ne pas le rendre public, parce qu’il ne me satisfaisait pas : la situation que j’y décrivais apparaissant loufoque, trop anecdotique ou même caricaturale.
Il y a aussi que certains proches collaborateurs du Président Wade se retenaient alors de témoigner de bien des situations cocasses, vécues à ses côtés, au cœur du pouvoir. Un de ses anciens premiers ministres me confiait même : «Tant que le Président Wade est en vie, j’aurais bien du scrupule à parler de certaines choses !»
Je manquerais ainsi, pour cet exercice, de recueillir les témoignages les plus pertinents. Il s’y ajoute que moi-même, je m’interrogeais sur ma posture. Ne risquerais-je pas de passer pour verser dans un exercice de règlement de comptes ? Mon objectivité ne serait-elle pas mise en cause ? En effet, mes relations avec le Président Wade paraissaient tumultueuses aux yeux du grand public.
Son pouvoir m’avait emprisonné en 2004, parce que la tonalité du journal Le Quotidien, tout comme certains de mes écrits, dérangeait. Il reste qu’après ce malheureux épisode, qui lui a coûté beaucoup du point de vue de son image, Abdoulaye Wade installa des passerelles avec Le Quotidien, pour faire passer des messages importants ou travailler avec moi sur des questions cruciales, pour la paix et la stabilité au Sénégal et en Afrique. Bien des ministres sortaient d’une discussion avec le président Wade, pour me confier les appréciations positives et la confiance qu’il nourrissait pour Le Quotidien.
En septembre 2012, il m’invita à Versailles. Je suis chaleureusement accueilli… Et devant nombre de ses collaborateurs médusés, il me fait l’accolade avant de déclarer : «Jeune homme, j’ai du respect pour vous !»
Au demeurant, devrais-je continuer à m’autocensurer concernant Abdoulaye Wade, d’autant plus que je suis déjà l’auteur de livres sur d’autres hommes politiques sénégalais ? Il est de mon devoir de témoigner sur l’homme, sa vie et son parcours. Le hasard du calendrier donne des repères ou des prétextes. Le 19 mars 2025 est l’anniversaire de son accession au pouvoir, un certain 19 mars 2000. Vingt-cinq ans, ça se célèbre ! Il en est de même du Parti démocratique sénégalais (Pds), qui porte depuis toujours son action politique, qui a célébré l’année passée ses cinquante ans.
Mon témoignage relève aussi d’un devoir de reconnaissance vis-à-vis de Me Babacar Sèye, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats, membre du Conseil constitutionnel, tué, le 15 mai 1993, par la «Bande à Clédor». Abdoulaye Wade est mêlé à cet assassinat et mes recherches m’ont permis de mettre la main sur des documents et de recueillir des témoignages inédits, qui apporteront définitivement, sans aucun doute, la lumière sur cette affaire.
Mon histoire avec Me Babacar Sèye est particulière.
Jeune greffier au Tribunal de Saint-Louis où je suis affecté, je ne trouve qu’une robe défraîchie au Greffe, le jour de ma prestation de serment. Je la revêts, pour me présenter devant le président Ndongo Fall, qui doit recueillir mon serment de «jurer de garder le secret professionnel et de me comporter en toutes circonstances comme un digne et loyal greffier». Me Moussa Niang, greffier, assiste le président du Tribunal, et Idrissa Barry, le substitut du procureur de la République, occupe le banc du Ministère public.
Me Sèye ne peut supporter que j’entre dans l’institution judiciaire aussi mal fagoté. Il se dévêt de sa robe et me la tend, avec ces mots pleins de tendresse : «La Justice se porte dignement et se rend avec dignité.» Quand je me débarrasse de la robe qui le gêne tant, il ne manque pas de remarquer que, sous le «haillon», je m’étais quand même tiré à quatre épingles. Il m’en fait le compliment.
Par la suite, il s’est plu, très souvent, à demander à son jeune confrère, Me Ladji Traoré, de m’inviter à leur cabinet, et à son domicile de Sindoni (Sud), pour discuter.
Sa mort m’attrista beaucoup.
Le fantôme de Me Sèye poursuivra Abdoulaye Wade jusqu’au Palais présidentiel. Ce livre le démontrera. Evoquer l’affaire Me Sèye, c’est aussi un devoir de mémoire ou de continuité pour moi : c’est justement à l’occasion du procès de l’assassinat de Me Babacar Sèye en 1994, que j’embrasse le métier de journaliste.
Le procès, que j’ai couvert et dont les articles seront publiés dans les colonnes du journal Wal Fadjri, a contribué à ma renommée dans le journalisme. Est-ce un clin d’œil du destin, au moment où je décide d’arrêter le journalisme, que je revienne sur l’affaire Me Sèye, trente ans après ?
C’est une boucle bouclée !
Il n’en demeure pas moins que j’ai la pudeur de ne pas évoquer dans ce livre, et autant que possible, des questions relatives à la vie intime de Abdoulaye Wade. Le lecteur notera également que je n’évoque pas cette affaire de cinquante millions de francs Cfa ou plus, qu’il dégage en 2007, pour, dit-on, appuyer Le Quotidien. Cette affaire que nous avions alors portée à l’attention du public, reste fort douloureuse pour bien des protagonistes, surtout que certains médias, aveuglés par une concurrence malsaine, ont sauté sur l’occasion pour montrer une malhonnêteté sidérante.
L’évoquer dans ce livre pourrait apparaître comme un plaidoyer pro domo.
Au réveil à Touba, Wade est un autre homme
Le 19 mars 2000 est un jour historique. Pour la première fois au Sénégal, une élection présidentielle se conclut au second tour de scrutin.
Le président sortant, Abdou Diouf, qui caracole en tête du premier tour, avec une avance de dix points (41, 51%), sur son challenger Abdoulaye Wade (31, 01%), joue son va-tout. Il obtient les ralliements de certaines grandes figures politiques, comme celle de Djibo Leyti Kâ, leader de l’Union pour le renouveau démocratique (Urd), arrivé quatrième au premier tour du 27 février 2000 (7, 08%). Djibo Kâ, qui avait apporté un soutien franc à Abdoulaye Wade, quelques jours auparavant, tourne subitement casaque, le 14 mars 2000, pour jeter finalement son dévolu sur Abdou Diouf. Ses contradictions avec Ousmane Tanor Dieng, le dauphin putatif de Abdou Diouf, semblent derrière lui. (…)
Wade, une diplomatie peu diplomatique
(…) Lorsque Abdoulaye Wade arrive au pouvoir, il en veut au Président nigérian Olusegun Obasanjo. Dans sa première grande interview publiée dans les colonnes du magazine Jeune Afrique-L’Intelligent, numéro 2046 du 28 mars 2000 au 3 avril 2000, le nouveau Président élu du Sénégal ne cache pas son acrimonie à l’endroit de Olusegun Obasanjo. Répondant à la question : «quels sont les chefs d’Etat africains qui ont financé votre campagne électorale ?», Abdoulaye Wade déclare sèchement : «Je n’ai bénéficié de l’aide de personne et croyez-moi, je me suis bien gardé de leur demander quoi que ce soit. Contrairement à une idée répandue, les membres de ce syndicat sont très prudents : ils évitent généralement de financer des opposants. (…) Prenez le cas du Nigeria. J’ai beaucoup fait pour Obasanjo, mais depuis qu’il est revenu aux affaires, il a carrément coupé les ponts avec moi, sans doute pour ne pas déplaire à Abdou Diouf. Lorsqu’il était en prison, je suis allé à deux reprises voir Sani Abacha pour demander sa libération. J’étais alors ministre d’Etat (1995). Abacha m’a répondu qu’il devrait s’estimer heureux d’être en vie, parce qu’il est passible du peloton d’exécution pour avoir comploté contre lui. Par la suite, j’ai fait venir au Sénégal l’épouse de Obasanjo, qui était, à l’époque, dans un grand dénuement, pour que le Président Diouf puisse l’aider. A sa libération, Obasanjo m’a même écrit pour me remercier. Depuis, c’est le silence radio. Entretemps, j’avais, il est vrai, quitté le gouvernement. J’étais sans doute devenu moins fréquentable.»
Abdoulaye Wade digère mal que Obasanjo, de retour au pouvoir, suite à une élection démocratique cette fois-ci, en 1999, ne lui renvoie pas l’ascenseur. Le Président Wade, qui n’est pas du genre à faire le dos rond face à un affront, va se déchaîner au premier Sommet de la Cedeao auquel il prend part. C’est justement à Abuja (Nigeria) les 28 et 29 mai 2000.
L’esclandre affecte Olusegun Obasanjo qui, à la fin de la journée du Sommet des chefs d’Etat, vient trouver le président Wade, à son hôtel, pour arrondir les angles. Ils vont à nouveau s’affronter au Sommet de l’Union africaine à Durban en 2002. Wade s’investit pour une médiation à Madagascar entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana. Il en fait tant et si bien que c’est un Olusegun Obasanjo caustique qui se demande, au détour de son intervention avec amusement, «si le président Wade n’avait pas un champ de clous de girofle à Madagascar».
Pour lui, le Président Wade est trop enclin à peser sur le dossier de Madagascar. Sa réplique au Président Obasanjo est cinglante : «Bande de putschistes. Je suis le mieux élu ici !» Abdoulaye Wade se déchaîne et rabroue le Président Eyadéma du Togo, qui cherche à le faire taire. Wade lui assène : «Un soudard ne doit pas prendre la parole quand des agrégés parlent !»
Les propos, peu diplomatiques, ne plaisent pas au Président togolais Gnassingbé Eyadéma, qui appelle l’ancien Premier ministre Moustapha Niasse, avec lequel il entretient des relations fort cordiales, pour lui souligner : «Si ton Président continue comme ça, je finirai par lui c…» Le président Alpha Oumar Konaré du Mali dira de Wade «qu’il est iconoclaste !». Le président Obasanjo dira lui aussi à Moustapha Niasse : «Wade a la folie de Bokassa !»
Abdoulaye Wade affrontera durement son homologue togolais, Gnassingbé Eyadema, sur le dossier de la médiation, dans la crise politico-militaire, en Côte d’Ivoire. Le président Eyadéma convoque une réunion de chefs d’Etat à Kara, son fief natal, au Nord du Togo. Abdoulaye Wade s’y rend. Cependant, il est inquiet. Il décide de ne faire qu’un aller-retour, et même de ne pas boire de l’eau sur place. Un collaborateur du président Wade souffle : «On nous avait prévenus que Eyadéma était un sorcier. Le président Wade n’y a pas pris un verre d’eau et est descendu de l’avion avec un bandage improvisé ; il a prétexté une blessure à la main pour ne pas serrer celle de son homologue togolais.»
Ses craintes ont semblé se vérifier quand, à sa descente d’avion, il glisse et s’affale sur le sol. La scène est retransmise en direct à la télévision nationale togolaise (Tvt). Les journalistes sénégalais, témoins de la scène, se passent le mot pour taire l’incident. Aucun média sénégalais ne le relate. Le Président Eyadéma est frustré de l’attitude du Président Wade, avec la main bandée. Le président de l’Assemblée nationale du Togo, Fambaré Ouattara Natchaba, est informé que Farba Senghor pourrait avoir de l’influence sur le Président Wade, pour le ramener à de meilleurs sentiments. Il met donc Farba Senghor en contact avec le Président Eyadéma. Le chef de l’Etat togolais exprime ses griefs et souhaiterait plus de respect et de considération de la part de son homologue sénégalais. C’est à la veille d’un Sommet de la Cedeao, convoqué pour le lundi 10 mai 2003 à Dakar. Farba Senghor se fait rabrouer le vendredi 7 mai 2003 par le Président Wade, quand il cherche à alerter sur le risque d’un boycott de cette rencontre par les autres chefs d’Etats membres de la Cedeao.
Mais le lundi 10 mai 2003, ses craintes se vérifient.
La participation de plusieurs chefs d’Etat, et non des moindres, n’est confirmée par aucun d’eux. Le Président Wade, sentant l’humiliation ou le camouflet diplomatique, charge alors Farba Senghor de prendre contact avec «son père» togolais. Farba Senghor peut accéder au Président Eyadéma, à toute heure, via le chef du protocole présidentiel togolais, Arouna Batiem Kpabré-Silly.
L’initiative est couronnée de succès. Gnassingbé Eyadéma, qui aime le style direct de Farba Senghor, se lie d’amitié avec lui et fait des concessions. Il demande de décaler le sommet d’une journée. Le Président Wade accepte sans discussion. Les frondeurs font le voyage de Dakar et la déclaration incendiaire que ces chefs d’Etat entendaient alors publier, contre le Président Wade, est déchirée.
(…)
A Benghazi, le divorce avec Kadhafi
Le 13 février 2009, le Président Wade est en visite à Beijing. Son homologue Hu Jintao lui déroule le tapis rouge, mais Abdoulaye Wade n’est pas content et le fait savoir. Le Président sénégalais d’expliquer : «En Afrique, la parole d’un patriarche est vénérée et je suis un patriarche dans mon pays. Or, j’avais confiance en votre parole pour annoncer à mon Peuple des réalisations infrastructurelles promises à mon pays. Voilà qu’il y a de grosses lenteurs dans l’exécution des projets !» Hu Jintao ordonne à ses équipes de faire le point sur les projets chinois au Sénégal. C’est ainsi que les travaux de construction des infrastructures comme le Grand Théâtre ou le Musée des civilisations, entre autres, démarrent.
Abdoulaye Wade tente de rejouer le même coup avec Kadhafi à Syrte. Le Guide libyen avait promis d’ériger à Dakar, une tour portant son nom. Une tour haute de deux cents mètres, à la pointe du Cap Manuel, pour un coût de 200 millions d’euros. Tel était le projet que le Président Abdoulaye Wade et son architecte conseil Pierre Goudiaby Atepa avaient soumis, le 18 février 2009 en Libye, au Colonel Kadhafi, lequel a accepté de le financer via la Libyan african investment company (Laico). La Kadhafi African Tower, haute de soixante étages, devait abriter un hôtel cinq étoiles de quatre cents chambres, un centre de conférences et une centaine d’appartements, et serait la première au monde à être majoritairement alimentée (jusqu’à 80%) par de l’énergie solaire.
A Syrte, le président Wade recommence son mélodrame. Babacar Diagne, conseiller en communication, redit sa surprise : «Le Président Wade a attaqué Kadhafi et demandé à l’interprète : «Dis-lui qu’il ment.» L’interprète bafouille et semble ne pas oser faire la traduction. Il insiste : «Dis-lui qu’il ment.»
L’interprète ne traduit toujours pas et le Président Wade demande après l’ambassadeur Moustapha Cissé, pour qu’il fasse la traduction. Mais je pense que Kadhafi, qui parle déjà italien, a bien compris le propos et a éclaté de rire en lui disant : «Non, Abdoulaye. Vous n’êtes pas en Chine !»
Comme quoi, le coup de Beijing avait déjà été l’objet de ragots dans les chancelleries. L’activisme diplomatique du chef de l’Etat sénégalais l’invite en Iran pour plaider, en 2010, la libération de l’universitaire française Clotilde Reiss, détenue à la prison d’Evin à Téhéran. Un ancien ambassadeur précise : «Il y a lieu de souligner que son rôle dans la libération de Clotilde Reiss est marginal. Paris et Téhéran avaient déjà négocié leur deal. Seulement, ils ne pouvaient pas dire non à la démarche d’un ami. Le souhait du Président Wade avait été de ramener Mme Reiss dans son avion. Ce qui n’a pas été le cas.»
N’empêche, Abdoulaye Wade ira au Yémen en 2011, pour tenter de régler la guerre civile dans ce pays.
Au demeurant, poursuit-il, «les initiatives de paix tous azimuts de Wade s’expliquent certainement par la fascination du Prix Nobel de la paix. Il en rêvait constamment, surtout après avoir reçu, en septembre 2004, le Prix Houphouët-Boigny pour la paix, décerné par l’Unesco. Pour lui, c’était naturellement le prélude au Nobel. Toutes ses initiatives de paix ultérieures s’inscrivaient dans cette perspective».
Mais le coup de trop sera sa visite à Benghazi en Libye, le 9 juin 2011. A cette occasion, depuis le fief de la rébellion, Abdoulaye Wade demande à Mouammar Kadhafi de quitter le pouvoir. Il fait cette déclaration à bord d’un porte-avion militaire français. En s’adressant au Guide de la Révolution libyenne, il déclare : «Je te regarde dans les yeux (…) plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra.» Il ajoute à l’endroit des médias : «A l’Union africaine, je suis le seul qui peut lui parler, lui dire la vérité, car je ne lui dois rien.» Le Sénégal sera le deuxième pays au monde, après la France, à reconnaître l’autorité ou la légitimité des insurgés contre Kadhafi. Abdoulaye Wade sera aussi le premier chef d’Etat à se rendre en Libye. Il aurait entrepris cette démarche à la demande du Président Nicolas Sarkozy, en conflit avec le Colonel Kadhafi. Les bombardements de Tripoli menés par les forces occidentales commenceront deux jours seulement après la déclaration du Président Wade, comme si la coalition internationale contre le Colonel libyen n’attendait alors que la caution d’une voix africaine audible.
Le Colonel Khadafi enverra une lettre au président Wade, lui faisant la leçon pour ce qu’il qualifie de traitrise : «Il vous est arrivé de prier derrière moi. J’ai été votre imam, le temps d’une prière. En musulman, on ne doit pas trahir son imam. Malgré tout ce que vous avez dit, je garde toute l’estime et tout l’amour que j’ai pour vous.» L’amertume de Kadhafi est grande car les deux hommes sont depuis longtemps des alliés.
Qui ne se rappelle pas qu’en 1978, des liens étroits unissent déjà Abdoulaye Wade avec le Guide libyen, au point d’être accusé par le régime de Senghor de fomenter une opération de déstabilisation en complicité avec la Libye ?
Au pouvoir, le président Wade se montre si avenant à l’endroit de Kadhafi que les deux chefs d’Etat travaillent, main dans la main, pour la création des Etats-Unis d’Afrique.
C’est la stupeur générale quand on entend sortir de la bouche de Abdoulaye Wad,e cette déclaration selon laquelle «Kadhafi n’avait jamais été son ami».
Ahmed Khalifa Niasse, ulcéré, de répliquer : «Si Kadhafi n’est pas l’ami de Wade, alors Wade n’a pas d’amis.» Des diplomates regrettent encore que «le Président Abdoulaye Wade ne se soit pas déplacé jusqu’à Syrte pour parler en privé à Kadhafi, plutôt que de le lâcher publiquement, le jetant en pâture à partir d’un navire militaire français».
Le Guide libyen sera assassiné le 20 octobre 2011.